Banane : la hache de guerre déterrée entre les ACP, l’UE et l’Amérique

 Banane : la hache de guerre déterrée entre les ACP, l’UE et l’Amérique
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Contrairement à ce que l'Union européenne (UE) voudrait laisser penser, la hache de guerre de la banane n'est pas enterrée ! A telle enseigne que les représentants d'organisations profes-sionnelles africaines, en l'occurrence l'Ocab et l'Obam-CI de Côte d'Ivoire et l'Assobacam du Cameroun, sont partis fin juin rencontrer leurs homologues des Caraïbes. Depuis lors, ils ne lâchent pas le dossier. 

Que se passe-t-il ? Tout simplement, la signature ces dernières années d'accords bilatéraux de libre échange avec un certains nombre de pays d'Amérique centrale et andins a quasiment vidé de son contenu l'accord multilatéral, dit "de Genève", sur la banane du 15 décembre 2009, signé dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

"Les pays ACP constatent qu'après la signature de l'accord de Genève le 15 décembre 2009, l'UE l'a rapidement vidé de sa substance dans le cadre des négociation bilatérales. Des nouvelles inquiétantes annoncent de nouvelles concessions lors des révisions de ces accords bilatéraux", souligne Anatole Ebanda Alima, représentant Europe de l'Association bananière du Cameroun (Assobacam).

Doha, resté lettre morte

Rappelons que cet accord de Genève devait s'inscrire dans le cadre plus global de l'accord de Doha qui  entendait organiser de façon multilatérale, au sein de l'OMC, la libéralisation de l'ensemble des échanges commerciaux mondiaux. Or, ces négociations multilatérales globales n'ont pas abouti mais l'accord de Genève sur la banane est entré en vigueur.

En vertu de ce dernier –aboutissement d'années de négociations et de rebondissements entre l'UE, les pays producteurs ACP qui bénéficiaient d'un accès libre au marché européen, et les pays d'Amérique centrale et latine qui exigeaient une plus grande libéralisation du marché européen– les droits de douane européens sur les bananes des pays non-ACP devaient être graduellement réduits, de € 176 la tonne à € 148 la tonne dès le 16 décembre 2009 jusque € 114 la tonne au 1er janvier 2017 si le cycle de Doha était conclu avant le 31 décembre 2013, sinon au 1er janvier 2019 après une pause de deux ans (2014 et 2015) de la baisse du droit, ce qui est le cas actuellement. Ainsi, en 2015, le droit de douane stipulé dans l'accord de Genève était de € 132 la tonne.

La montée en puissance du bilatéral

A ce premier écueil, les pays ACP producteurs de bananes en comptent un second. Face à l'échec des négociations commerciales multilatérales, on a assisté à une montée en puissance des accords bilatéraux de libre échange au niveau mondial. 

L'UE n'a pas été en reste. Dès  2007 un dialogue avait été entamé entre l'UE et les pays d'Amérique centrale (Costa Rica, Honduras, Guatemala, El Salvador, Nicaragua et Panama) relatif à un accord d'association, qui sera signé en juin 2012 avec l'entrée en vigueur du volet commercial en décembre 2012. Ce sera le premier accord de région à région conclu par l'UE.  

Côté Andin, des négociations ont été entamées en 2009 entre l'UE, la Colombie, le Pérou et l'Equateur, avec un accord signé en 2012 avec les deux premiers ; l'Equateur ne s'est raccroché au wagon que l'année dernière. 

Les répercussions sur la filière banane sont majeures. Si l'accord de Genève prévoit de parvenir à un tarif de € 114 la tonne en 2019, l'accord avec l'Amérique centrale stipule atteindre en 2020 les € 75 la tonne. D'ores et déjà, cette année, les droits de douane sur les bananes d'Amérique centrale sont de € 110 la tonne alors qu'ils auraient dû être de  € 132 la tonne selon l'accord de Genève.

"L'accord c'est € 75 en 2020. Mais, d'ores et déjà, les pays d'Amérique centrale, qui en sont maintenant à réfléchir à la renégociation de l'accord, disent : c'est un accord de libre échange donc allons plus loin et faisons sauter le dernier verrou de ces 75 euros. Jusqu'à maintenant, ils ont un plafond mais qui a été savamment calculé et ils ne l'atteignent pas à l'exception du Pérou qui a moins bien négocié ou qui a mal anticipé l'évolution de sa production. En 2020, les volumes ne seront plus plafonnés. Nous sommes très inquiets", déclare Philippe Mavel, délégué Europe de l'Ocab (Organisation centrale des producteurs-exportateurs d'ananas et de bananes de Côte d'Ivoire).

 

Accord d'association UE-Amérique centrale : Volet spécial bananes

Année

Droits douane préférentiels

Volumes d'importation déclencheurs, en tonnes

 

€/tonne

Costa Rica

Panama

Honduras

Guatemala

Nicaragua

Salvador

Au 31.12.2010 145 1 025 000 375 000 50 000 50 000 10 000 2 000
Au 31.12.2011 138 107 625 393 750 52 500 52 500 10 500 2 100
Au 31.12.2012 131 1 127 500 412 500 55 000 55 000 110 000 2 200
Au 31.12.2013 124 1 178 750 431 250 57 500 57 500 11 500 2 300
Au 31.12.2014 117 1 230 000 450 000 60 000 60 000 12 000 2 400
Au 31.12.2015 110 1 281 250 468 750 62 500 62 500 12 500 2 500
Au 31.12.2016 103 1 332 500 487 500 65 000 65 000 13 000 2 600
Au 31.12.2017 96 1 383 750 506 250 67 500 67 500 13 500 2 700
Au 31.12.2018 89 1 435 000 525 000 70 000 70 000 14 000 2 800
Au 31.12.2019 82 1 486 250 543 750 72 500 72 500 14 500 2 900
Au 01.01.2020 et après 75 non applicable non applicable non applicable non applicable non applicable non applicable
Source:http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2011/march/tradoc_147669.pdf      

 

Pour couronner le tout, les deux accords bilatéraux signés comportent une clause de type Nation la plus favorisée (NPF) : si l’UE applique au Brésil, au Venezuela ou à un des pays signataires de  ces deux accords un droit inférieur, celui-ci s’applique automatiquement à tous.

Les ACP malmenés 

Troisième écueil pour les ACP, le temporel. Pour l'Amérique centrale comme pour les pays Andins, dès l'accord signé, les dispositions avec les nouveaux tarifs ont été mises en œuvre, à l'exception de l'Equateur, pour lequel l'entrée en vigueur se fera en 2016, ayant rejeté la première offre de l’UE. " Ils ont gagné de suite en compétitivité du fait de la baisse immédiate des droits de douanes", constate Philippe Mavel.

Côté ACP, si l'UE leur avait promis € 190 millions sur 5 ans et € 10 millions additionnels pour 10 des pays ACP afin d'aider les filières à se mettre à niveau face aux nouvelles donnes de la concurrence sur le marché européen, les décaissements ont beaucoup tardé. "Nous avons dû attendre 4 à 5 ans pour obtenir un peu d'argent qu'on a été contraint d'utiliser dans certains domaines bien définis. Ce n'était pas nécessairement comme nous le voulions. Ce n'était pas de l'argent immédiatement utilisable comme nous le souhaitions", poursuit le représentant des bananes ivoiriennes. "Donc ça fait 2 poids 2 mesures. Car pendant 4 à 5 ans, les Latino-américains ont pu accumuler des centaines de millions d'euros d'économie pour réinvestir dans la productivité et donc peser sur le marché."

Et Anatole Ebanda Alima de conclure sur ce point : « Finalement, quatre ou cinq pays NPF auront déjà économisé plus d’un milliard d’euros en droits de douane tandis que 10 pays ACP attendront les effets des € 190 millions partiellement investis dans la productivité. Imaginez la catastrophe qui se profile pour les pays ACP si l'UE procédait à une réduction supplémentaire du droit NPF en dessous de € 75 la tonne..."

 

Les producteurs européens également mécontents

Et les ACP ne sont pas les seuls mécontents. En juin, les producteurs européens de bananes de Madère, des Canaries, de la Martinique et de la Guadeloupe ont dénoncé le refus par la Commission européenne de cofinancer le programme de promotion du logo Rup (régions ultrapériphériques) de l'ordre de € 10 millions sur 2015-2018. Leurs associations Apeb et UGPBAN (Guadeloupe et Martinique), Gesba (Madère) et Asprocan (Canaries) ont dénoncé une décision "irrecevable" face à des "concessions substantielles faites à (leurs) concurrents régionaux ": accord de partenariat économique avec les Caraïbes, système de préférence généralisée, tarifs douaniers en forte réduction pour les pays d'Amérique centrale et du Sud, souligne notre confrère FLD Hebdo. Dans leur communiqué, les producteurs veulent que l'UE tienne "compte de la spécificité des Rup" et expriment "les craintes les plus vives que ce recul soit annonciateur d'un recul plus général vis-à-vis de notre agriculture. Ce rejet du programme Rup est, selon nous, purement et simplement inadmissible."

Et maintenant ?

"Avec nos collègues des Caraïbes, fin juin, nous avons estimé qu'il était temps de rappeler à la Commission européenne que, dans les pays ACP, il y a encore des femmes et des hommes qui se battent tous les jours pour essayer de se maintenir sur le marché européen, qui font des progrès, qui appliquent les normes, qui participent au développement de leurs régions, …etc. Donc, maintenant, nous allons nous rappeler au bon souvenir de la Commission…", poursuit Philippe Mavel.

Car le conflit frontal est bien entre les pays ACP et les pays d'Amérique centrale et du Pacte andin. "Quand on regarde les statistiques de 2014, on constate qu'il n'y a quasiment rien qui est rentré dans l'UE qui soit du domaine de l'accord multilatéral à  Genève", précise-t-il. "Il n'y a que la banane des Philippines pour environ 600 tonnes. Tout le reste provient des pays qui ont signé un accord bilatéral. On a vidé de toute sa substance l'accord de Genève."

"Il faut rappeler à Bruxelles que, pour l'instant, ils nous ont soutenu –un petit peu, que le marché n'a pas été trop mauvais ces 4 dernières années et que, malgré ça, nous sommes dans une situation d'équilibre fragile. Que si, dans les 3 ou 4 années à venir, il y a des choses à faire évoluer, nous souhaiterions que ce ne soit pas une nouvelle fois sur la banane. Que Bruxelles ne se dise pas : finalement, on ne les entend plus, on leur a donné de l'argent, le marché est à peu près correct, tout va bien et donc on entérine le problème. La banane ACP risque de passer à la trappe ; il n'y a d'ailleurs plus de "Monsieur Banane" à la Commission, tout ça est dans un grand fourre-tout."

Affaire à suivre….

Principales provenances des bananes importées dans l'UE en 2014
dont plantains, fraîches, sèches (en tonnes) (Eurostat/CommodAfrica)

Source : Eurostat/CommodAfrica

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