Le différentiel cacao ne changerait guère la donne pour le producteur

 Le différentiel cacao ne changerait guère la donne pour le producteur
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Cela fait un mois que la campagne cacao 2020/21 a démarré en Afrique de l’Ouest, singulièrement en Côte d’Ivoire et au Ghana, deux pays qui appliquent sur cette récolte le différentiel de revenu décent (LID de l’acronyme anglais) fixe de $ 400 la tonne sur tout contrat de cacao exporté. Il est trop tôt pour en tirer conclusions et enseignements , hormis les réactions que ceci a engendré ces derniers jours au sein de la filière notamment en Côte d’Ivoire (lire nos informations : Les exportateurs de cacao demandent à la Côte d’Ivoire de réduire le différentiel et La Côte d’Ivoire peine à vendre son cacao sur la campagne intermédiaire) ainsi que par rapport aux autres pays producteurs (lire nos informations . En outre, ce premier mois de campagne qui, en volume, démarre très fort en Côte d’Ivoire, a une visibilité obstruée par la campagne électorale, le scrutin présidentiel s’étant tenu samedi. On n’en connait pas encore les résultats au moment d’écrire ces lignes.  

Cette situation donne l’occasion d’évoquer l’étude réalisée en juin par le Bureau d’analyse sociétale pour l’information des citoyens (BASIC) pour la FAO, la Commission européenne et  l’Association européenne du cacao (AEC).  Une étude riche de 200 pages mais dont l’essentiel saute aux yeux: la répartition totalement inégale  -“le constat d’asymétrie“, selon les auteurs-  de la richesse tout au long de la chaîne de valeur.

En moyenne, 70% du total de la valeur et 90% du total des marges générées sur ces produits, depuis les producteurs de cacao jusqu’aux consommateurs finaux, reviennent aux deux derniers acteurs de la chaîne, à savoir les marques et les distributeurs.  En amont, seulement 18,6% de la valeur totale et moins de 7,5% des marges cumulées reviennent aux acteurs des pays producteurs de cacao (depuis la production agricole jusqu’à l’exportation des fèves)”, souligne BASIC, une situation qui a  déjà souvent été mise en avant par des études antérieures.

L’amont de la chaîne influe peu, voire pas

Que faire, côté pays producteurs ? A la lecture de l’étude, on pourrait dire : pas grand-chose sauf pour les pays producteurs d’investir dans le capital des acteurs en aval de la filière.

En effet, l’étude note : “Contrairement aux facteurs relatifs à l’aval de la chaîne, ceux liés à l’amont ont un impact relativement limité, voire aucun impact, sur la répartition de la valeur et des coûts depuis les producteurs de cacao jusqu’aux consommateurs finaux, qu’il s’agisse : du pays d’origine (y compris quand il est indiqué sur l’emballage du produit fini), de la teneur en cacao du produit final (pour un même « mix marketing »), du pays de première transformation. “

Et un peu plus loin, les auteurs indiquent que ce sont “trois facteurs clés associés aux acteurs de l’aval de la chaîne (enseignes de grande distribution et marques) [qui] ont un impact déterminant sur la répartition de la valeur et des coûts : le type de marque (marque nationale ou marque distributeur), le « mix marketing » (qui détermine la segmentation des tablettes de chocolat en 3 groupes : basique, pâtissier et dégustation), la performance des produits (« best-sellers » ou autres produits).”

A ceci, on peut ajouter la TVA perçus dans les pays consommateurs – et cela a été un débat soulevé par la Côte d’Ivoire et le Ghana ces dernières années (lire nos informations : En marche vers le rééquilibrage du pouvoir dans la filière cacao mondiale) -et la place importante que prennent de produits ajoutés autres que le cacao comme le lait, le sucre, les noisettes, etc.  “Ces deux différences combinées génèrent une pression accrue sur tous les maillons de la chaîne du cacao, car le prix au kilo des tablettes de chocolat au lait nature et des barres chocolatées est en moyenne légèrement inférieur à celui des tablettes de chocolat noir nature sur le marché français.” Et pourquoi ? Car “la création de valeur au sein de la chaîne est majoritairement due à des leviers immatériels (la segmentation du marché, la réputation de la marque…). Ces derniers sont principalement entre les mains des marques et des distributeurs, et prévalent largement sur d’autres facteurs comme l’origine/le terroir et les spécificités du travail des producteurs de cacao qui sont rarement valorisés auprès du consommateur en aval de la chaîne.”

Veut-on un chocolat démocratisé ?

Basic rappelle deux éléments majeurs aux yeux des consommateurs et qui déterminent, précisément, cette répartition de la valeur au sein de la chaine de valeur : d’une part, tout le monde veut ou peut consommer du chocolat car son prix est “relativement bas” grâce à “un degré élevé d’industrialisation et d’importantes économies d’échelle au niveau de la transformation des fèves de cacao” ; d’autre part, le consommateur utilise le vecteur “teneur en cacao”  comme “information clé” pour définir “la qualité des tablettes de chocolat vendues en grande distribution (tout particulièrement pour le segment du chocolat gourmet), plutôt que le terroir ou le travail des producteurs.

Et le prix du cacao, de la matière première, n’intervient guère dans tout ça. Lorsque le prix LIFFE-ICE du cacao a augmenté de plus de 20% entre 2014 et 2016 pour ensuite chuter de 35% en 2017 et 2018, rappelle BASIC,  “la part combinée de la valeur générée en France par les distributeurs et les marques a augmenté entre 2014 et 2016, répercutant ainsi aux consommateurs la hausse des prix mondiaux du cacao. Cette valeur combinée a continué à croitre jusqu’en 2018 malgré la chute des cours mondiaux du cacao, atteignant une hausse de +15% en comparaison à l’année 2014.” A l’inverse, le prix bord-champ dans les pays producteurs a suivi les évolutions du cours mondiaux, hormis au Ghana “où le Cocobod a utilisé son fonds de mitigation afin d’atténuer en partie la chute des prix).

Et la certification n’a guère changé la donne non plus, hormis dans les cas d’association de certifications bio et commerce équitable.

Alors quel impact aura l’introduction du LID ? Essentiellement côté consommation, “une hausse des prix aux consommateurs de + 1,5% pour les tablettes de chocolat au lait et de + 2,0% pour les tablettes de chocolat noir.” Et quid du producteur ? La question reste ouverte…

 

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