L’huile de palme de Côte d’Ivoire face au double défi du marché croissant et du ‘bashing’

 L’huile de palme de Côte d’Ivoire face au double défi du marché croissant et du ‘bashing’
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Au Salon international de l’agriculture à Paris (SIA 2020) qui a fermé prématurément ses portes samedi par mesure de précaution envers le coronavirus, la filière huile de palme en Côte d’Ivoire a été longuement évoquée lors d’un atelier organisé par la Fondation FARM. Elle avait invité, notamment, les responsables de l’Association interprofessionnelle du palmier à huile (AIPH) de Côte d’Ivoire.

Deux défis majeurs, entre autres, ont été évoqués : comment parvenir à capter tout le potentiel que représentent des marchés national et régional croissants, en contrant les importations ; comment s’assurer que ce marché ouest-africain ne sera pas sensible à la violente campagne anti huile de palme menée au plan international depuis des années, alors que le dossier de la déforestation dans ce pays se trouve au dessus de la pile.

La demande africaine augmenterait de 50% d’ici 2030

L’enjeu est de taille, résume Maxime Cumunel de la Fondation Farm en livrant les résultats de l’étude qu’il a mené sur le terrain l’année dernière. Le secteur de l’huile de palme représente 2% du PIB ivoirien, fait vivre directement ou indirectement 10% de la population soit 2 millions de personnes, représente une activité de transformation majeure soit en huile rouge (1ère transformation), soit en huile raffinée (2ème transformation). Sa production, de l’ordre de 481 000 t en 2017/18, en hausse de 66% sur les 10 années précédentes et dont 60% provient des petites plantations, parvient largement à satisfaire la demande intérieure qui était de 352 000 t en 2017/18, en progression annuelle de 6% sur 10 ans. Environ 45% de sa production est exportée dans la sous-région, la demande africaine devant augmenter de près de 50% entre 2017 et 2030. Et sur ces marchés africains, la concurrence asiatique est très forte.

La Côte d’Ivoire exporte donc. Non sur le marché mondial, sa production ne représentant que 2% de l’offre globale donc un nain face aux géants asiatiques, mais en Afrique. Car, en moyenne, l’Afrique subsaharienne importe 59% de sa consommation d’huile de palme. Pour sa part, la Côte d’Ivoire n’importe que 11% de sa demande mais ses exportations ont bondi de 133% entre 2007/08 et 2017/18, à 219 000 t cette année là.  Le Nigeria, qui produit le double de la Côte d’Ivoire, importe 900 000 t d’huile de palme, a précisé Jean-Louis Kodo, président de l’AIPH.

Si on poursuit ce trend favorable, poursuit Maxime Cumunel, sur les 13 prochaines années, la production ivoirienne augmenterait de 94% par rapport à 2017/18 à 933 000 t d’ici 2030/31, la consommation interne grimperait de 116% à 701 000 t et les exportations seraient multipliées par trois, à 658 000 t. Toutefois, les importations d’huile de palme en Côte d’Ivoire augmenteraient très fortement, de l’ordre de 384%, estime-t-il, à 179 000 t soit 26% de la consommation nationale contre 11% en 2017/18.

Comment accroître la production ?

Alors, comment augmenter cette production afin que la Côte d’Ivoire tire pleinement parti de ces marchés nationaux, ouest-africains et continentaux en plein essor ? Contrairement à d’autres productions, on ne peut guère jouer sur l’amélioration organisationnelle entre producteurs de la filière qui a fait ses preuves et dont l’AIPH est “la cheville ouvrière”. Rappelons que contrairement à la filière huile de palme en Asie, en Côte d’Ivoire, la production s’effectue sur de grosses plantations qui comprennent  une unité de transformation, ainsi que des petits planteurs qui représentent 60% de la production nationale.

L’articulation entre ces deux groupes d’acteurs, apparemment, se fait bien. Sur les grosses plantations, les rendement sont déjà très élevés, quasi optimaux, à environ 20 tonnes/hectares (t/ha) selon l’AIPH (22 à 25 t/ha, selon Maxime Cumunel) ; on est à environ 30t/ha en Asie, le décalage étant essentiellement lié à des raisons climatiques. La carte maîtresse à jouer est d’accroître les rendements des petits planteurs, aujourd’hui de l’ordre de 4,5 t/ha, voire de 7 t/ha si on tient compte de l’autoconsommation et des ventes sur le marché informel, note le n°2 de la Fondation Farm. Un rendement de 3 à 5 fois inférieur à ceux en Asie, selon l’AIPH.

Grosso modo, la productivité de ces petits planteurs ivoiriens est la seule variable d’ajustement pour accroître la production en Côte d’Ivoire puisque les plantations industrielles sont à leur rendement maximal et qu’il n’est pas question d’accroître les superficies en coupant des forêts. Maxime Cumunel rappelle que non seulement les trois-quarts des forêts ivoiriennes ont disparu depuis les années 80  mais cela continue au rythme proche des 3% par an. Mais, tient à préciser l’auteur, “la production d’huile de palme contribue moins à la déforestation que celle d’hévéa et de cacao”.

La cohérence dans l’organisation de la filière

En revanche, l’AIPH pourrait gagner en puissance et donc en force d’action si l’ensemble des acteurs était contraint d’adhérer à l’Association. Une revendication appuyée avec force, notamment par le président de l’AIPH, Jean-Louis Kodo, qui estime qu’entre 5% à 10% des acteurs ne sont pas affiliés, ce qui està la fois beaucoup et peu.

En réalité, les textes sont prêts pour rendre cette adhésion à l’AIPH obligatoires mais les procédures trainent en longueur, sans autre explication. Ainsi, l’interprofession -l’AIPH- a été créée en 2003 mais la loi pour formaliser la gestion de la filière et donc rendre obligatoire l’adhésion n’est sortie qu’en 2015 et on attend encore les décrets d’application… En parallèle -et source d’incompréhensions- le gouvernement a voulu répliquer dans toutes les filières ivoiriennes le concept du Conseil du café-cacao (CCC) avec ses fonctions régulatrices, et a créé en 2018 le Conseil Hévéa et Palmier à huile. Un Conseil qui se cherche encore et dont, apparemment, les missions ne sont pas comprises de la même façon par tous. Doit-il agir comme intermédiaire entre l’interprofession et le gouvernement ? Mais, est-ce réellement nécessaire étant donné le poids de l’AIPH ? Doit-il se consacrer à réguler la filière ? S’il intervient dans l’opérationnalité de celle-ci, comme le fait l’AIPH, n’y aura-t-il pas doublon ? Doit-il se consacrer à l’aspect formation comme il semble vouloir le faire dans la filière hévéa (lire nos informations Le Centre français du caoutchouc pourrait former des ingénieurs ivoiriens ).

L’autre carte à jouer pour la filière est d’accroître la contractualisation entre les petits producteurs et les acteurs de la première transformation, cette contractualisation étant “un vecteur essentiel de traçabilité et donc impactant la déforestation“, a souligné Constantin Kouassi, vice-président de l’AIPH. Mais, a précisé Jean-Louis Kodo, “On ne peut pas passer de contrat si on ne connait pas la parcelle. Donc, il faut, dans un premier temps, recenser les planteurs et géolocaliser les parcelles.”

Autre carte majeure pour accroître les rendements, la défiscalisation des intrants pour les petits planteurs. Une discussion serait en cours entre l’AIPH et le gouvernement.

L’impact de l’huile de palme bashing

L’objectif est bien compris : il faut augmenter les rendements des petits producteurs pour que la Côte d’Ivoire puisse bénéficier de l’essor de la consommation à venir sur son marché et celui de la région. Mais l’essor de la demande sera-t-il véritablement au rendez-vous ? Les consommateurs ivoiriens et ouest-africains ne seront-ils pas sensibles à la campagne mondiale contre l’huile de palme ?  

Car, en Côte d’Ivoire, dans les rayons des supermarchés se trouvent des produits destinés aux marchés mondiaux, qui ont comme argument de vente la mention “sans huile de palme”. 

On ne peut pas laisser dans nos supermarchés des produits estampillés sans huile de palme“, a déclaré Jean-Louis Kodo, précisant vouloir se rapprocher du Ministère ivoirien du Commerce, pour faite aboutir ce dossier. Dans certains pays producteurs, a-t-il précisé, ces produits ainsi étiquetés sont interdits.

Pour contrer cette offensive, la filière doit être dotée de budgets communication très importants pour faire valoir les vertus de l’huile de palme africaine qui ne doit pas être apparentée à celle asiatique en terme de modes de production. Des budgets qui, actuellement, sont quasi inexistants car “c’est seulement maintenant qu’on se saisit réellement de la question de la communication“, conviennent les responsables de l’AIPH

Malgré cette campagne internationale virulente contre l’huile de palme, les responsables de l’AIPH déclarent ne pas avoir constaté de fléchissement de la consommation nationale ou régionale. Et s’il devait y avoir fléchissement parmi quelques uns des classes moyennes et aisées, la croissance démographique conjuguée à la hausse de la consommation d’huile de palme par habitant lié notamment à la progression du pouvoir d’achat assureront un avenir très dynamique à l’huile de palme en Afrique de l’Ouest, assurent-ils.

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