Kouassi Constantin, AIPH : prix, Ukraine, jeunes, le malaise de la filière palmier à huile en Côte d’Ivoire

 Kouassi Constantin, AIPH : prix, Ukraine, jeunes, le malaise de la filière palmier à huile en Côte d’Ivoire
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Un certain malaise plane sur la filière huile de palme en Côte d’Ivoire avec des prix intérieurs gelés depuis un an face à la flambée des cours mondiaux et donc peu incitatifs alors que les jeunes ne s’intéressent déjà pas à cette culture. Ceci met en péril l’avenir de cette filière qui est pourtant, sans doute, la seule du pays à être totalement intégrée de  la production à la transformation et consommation.

Dans une interview exclusive à CommodAfrica à l’occasion du Salon international de l’agriculture (SIA 2022) à Paris, Kouassi Constantin, président de l’Association interprofessionnelle de la filière palmier à huile (AIPH), explique la situation et tire la sonnette d’alarme.

CommodAfrica : Avec la flambée des cours internationaux des oléagineux et l’impact de la guerre en Ukraine, comment voyez-vous les implications et la situation de la filière huile de palme en Côte d’Ivoire mais aussi en Afrique de l’Ouest puisque vous exportez sur l’ensemble de la région ?

Kouassi Constantin : Effectivement, nous avons beaucoup de difficultés aujourd’hui à vendre car notre produit est arrimé au mécanisme international, c’est-à-dire qu’il est vendu CAF Rotterdam. Or, le président de la République en son temps disait qu’il faut toujours donner au moins 60% du prix CAF au producteur. Mais je vous avoue qu’aujourd’hui, avec cette situation, les producteurs de Côte d’Ivoire n’ont pas 60% des prix CAF alors que le panier de la ménagère est affecté par la flambée des prix.

En effet, pour produire, il faut utiliser des intrants. Mais lorsque vous avez un engrais qui est passé de FCFA 13 000 à FCFA 30 000, que peut faire l’agriculteur ? Il y a un problème de rendement. Aujourd’hui, on nous dit de ne pas déforester, de ne pas faire çi ou ça mais on est surtout face à un prix des engrais qui a flambé.

L’Etat nous demande de ne pas répercuter la hausse des prix des intrants car lorsque le prix était à FCFA 100 000 la tonne pour le producteur, la tonne d’huile brute était à plus de FCFA 800 000 pour les première et deuxième transformations. Et donc si on veut appliquer la vérité des prix sur l’ensemble de la chaine, le consommateur ne pourra pas suivre.

C’est pourquoi le gouvernement a demandé depuis un an -nous sommes dans la deuxième année- de bloquer les prix. Les producteurs ne sont pas d’accord car ils ont perdu plus de FCFA 25 milliards en moins d’un an. Mais il y a une part de sacrifice à faire.

Le prix réel serait de combien aujourd’hui ?

Selon le mécanisme de fixation de prix de l’AIPH qui existe depuis plus de dix ans, le prix réel au producteur en mars est de FCFA 106 000 la tonne de régimes mais aujourd’hui, le prix imposé est de FCFA 80 000.

Qui paie la différence ?

Personne. C’est une perte nette pour le producteur. C’est une façon d’aider le gouvernement à juguler cette flambée des prix qui est mondiale.

Mais comment font les producteurs ? Car la Côte d’Ivoire, ce n’est pas la Malaisie avec ses immenses plantations ? Ce sont surtout de petits producteurs…

Justement ! A leur corps défendant, tout a augmenté, même la main d’œuvre. Et quand l’agriculture n’est pas attractive, les producteurs se tournent vers d’autres spéculations et il n’y aura plus de matières premières pour permettre aux usines de tourner. C’est en cela que nous demandons aux uns et aux autres qu’il y ait un équilibre sur la chaîne de valeur. S’il n’y a pas d’équilibre, si on tire absolument sur la corde qui se rompt, l’Etat sera obligé de mettre beaucoup de devises pour importer de l’huile brute. Donc mieux vaut aujourd’hui faire en sorte que ces producteurs ne se découragent pas et n’abandonnent pas leurs parcelles.

Beaucoup ont-ils déjà abandonné ?

Oui car il n’y a pas de main d’œuvre. Tous ceux qui s’intéressent à la culture du palmier sont plus ou moins vieillissants aujourd’hui et les jeunes gens ne sont pas intéressés car ce n’est pas attractif. Ils préfèrent aller sur d’autres spéculations. C’est là la difficulté.

Que disent les consommateurs ?

Les gens ne comprennent pas car ils se disent que l’huile est produite localement mais les prix flambent tout de même. Mais nous sommes obligés de tenir compte du marché international ! La Côte d’Ivoire est le premier pays producteur de cacao mais ce n’est pas elle qui fixe le prix, le prix est fixé à Londres… Il faut que les gens comprennent.

Mais il est légitime pour un consommateur de se demander pourquoi un produit cultivé sur place, transformé sur place et consommé sur place devrait dépendre du marché mondial pour déterminer son prix….

Mais dans la filière, il n’y a pas que les producteurs, il y a les usiniers qui doivent être compétitifs car à un moment donné, ils doivent vendre. Pour les usiniers, il est plus intéressant de prendre l’huile localement plutôt que sur le marché international parce que le prix est réduit sur le marché local. Mais ces industriels ne peuvent pas opérer en vase clos. Aujourd’hui, on parle de changement climatique, de traçabilité, de développement durable, … C’est planétaire. Vous ne pouvez pas rester isolé. Lorsque vous faites une certification RSPO, de nombreuses contraintes sont imposées au producteur. Mais si, à côté, il n’y a pas de moyens qui leur permettent de répondre à ces contraintes, ils vont à un moment donné abandonné leurs parcelles.

Rappelons que la Côte d’Ivoire est autosuffisante en huile de palme car nous consommons 70% de notre production et les autres 30% vont dans la sous-région.

Puisque vous êtes auto-suffisant, pourquoi répondre aux exigences du RSPO, pourquoi tenir compte du marché mondial, etc ?

Si vous ne le faites pas, à un moment ou un autre, cela va vous rattraper.

C’est vrai si le prix du marché mondial est inférieur au marché local mais s‘il est supérieur…

On ne peut pas jongler ainsi. Ce qu’il se passe sur le marché international touche ; on le voit bien avec le cacao. Ceci dit, si les agriculteurs que nous sommes sommes prêts à prendre notre part du sacrifice, il faut aussi que les consommateurs prennent leur part. L’agriculteur a besoin de construire une maison, d’avoir un environnement décent, de mettre ses enfants à l’école, de se soigner… S’il n’a pas les moyens pour le faire, cela pose problème.

Comment voyez-vous l’impact de la guerre en Ukraine sur la filière des oléagineux ? L’Ukraine, c’est davantage l’huile de tournesol…

En Côte d’Ivoire, nous consommons très peu d’huile de tournesol. Mais nous consommons du pain donc de la farine de blé, par exemple. Il y a aussi les engrais et beaucoup d’autres choses. La guerre a des conséquences par rapport à tout ça.

C’est pour ça mais aussi de façon générale, pour anticiper, que l’Etat a créé l’organe de régulation de la filière palmier, le Conseil hévéa palmier. On ne va pas attendre que, demain, on nous tombe dessus. Notre organisation nous permet d’anticiper tout ce qui arrive au niveau planétaire. Nous avons déjà anticipé pour faire la traçabilité de nos produits en utilisant des drones pour compter les plants à l’hectare. On ne peut pas se mettre à l’écart des exigences du RSPO car nous avons des groupes comme Sifca entre autres qui travaillent avec les industries de biscuiteries et d‘autres entreprises agroalimentaires. Si on ne fait pas ce qu’on nous demande au plan international, demain la Banque mondiale dira que pour financer la Côte d’Ivoire, la production doit être tracée, ou qu’il faut faire ceci ou cela. Comme on le voit pour la filière cacao. Donc, nous nous anticipons. C’est pourquoi nous devons nous mettre au niveau mondial.

Mais vous n’avez pas du tout la même problématique que l’Indonésie ou la Malaisie…

Non. D’ailleurs, chez nous, on ne déforeste pas. Ce sont les jachères que nous utilisons pour cultiver le palmier. C’est pour ça que nous nous battons aujourd’hui pour augmenter les rendements à l’hectare, pour éviter d’accroître les superficies. Aujourd’hui, nous tournons autour de 5 t/ha alors que le potentiel est entre 20 et 25 t. Si nous ne faisons que doubler notre rendement actuel, nous pourrons alimenter la sous-région. C’est à cela que nous travaillons actuellement.

Les jeunes s’intéressent-ils à la filière ?

Malheureusement, non. Le travail est très pénible dans la filière palmier et c’est pourquoi avec nos partenaires comme le Firca, on est en train de développer la mécanisation, par exemple, de la récolte. Des études sont très avancées.

Est-ce envisageable ou réalisable à moyen terme en Côte d‘Ivoire d’utiliser l’huile de palme comme carburant ?

Pour l’instant, ce que nous produisons et uniquement destiné à l’alimentation nationale et à la vente à la sous-région. Mais ce que les gens ne savent pas est que, sauf erreur de ma part, nous sommes la seule spéculation où nous produisons localement toute la production et nous la consommons localement. C’est une filière intégrée parfaite, une filière totalement aboutie. Nous devrions avoir un traitement spécial. Mais, ça on ne le sait pas et c’est toute la difficulté.

Donc on a besoin d’aide pour que cette filière ne se désagrège pas. L’Etat en est conscient mais c’est compliqué car on peut pas déshabiller Pierre pour habiller Paul. Cela ne résoudrait pas le problème.

 

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