Frederick Kawuma veut révolutionner l’OIAC avant de devenir Ambassadeur Café de l’Afrique

 Frederick Kawuma veut révolutionner l’OIAC avant de devenir Ambassadeur Café de l’Afrique
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C’est une course contre la montre … A la fin de cette année, Frederick S.M. Kawuma termine son deuxième et dernier mandat en tant que secrétaire général de l’Organisation interafricaine du café (OIAC). Mais il veut quitter son poste en ayant mis sur rails les principales réformes qu’il a initiées avant d’endosser son prochain costume d’ambassadeur du café en Afrique. Ces réformes majeures seront un véritable tournant dans l’histoire de l’Organisation car elles portent sur un nouvel accord international, l’entrée au sein de l’OIAC des pays consommateurs et du secteur privé africains, ainsi que l’instauration de la viabilité financière de l’institution avec une approche totalement nouvelle de son siège (lire Frederick Kawuma : nouveau siège, nouveau Fonds, nouvelle mission café pour l’OIAC) et en devenant une agence de l’Union africaine (UA).

Une interview exclusive de Frederick S.M. Kawuma à CommodAfrica.

 

Cette année est probablement assez inhabituelle pour vous : vous avez lancé une véritable révolution à l’Organisation interafricaine du café (OIAC) alors que vous quitterez votre poste à la fin de cette année. Entre-temps, la Covid-19 est passée par là. Quelle est votre analyse de tout ceci ? Trouvez-vous cette situation étrange ?

Non. Selon l’Accord international de l’OIAC révisé en 1998, le secrétaire général a deux mandats de quatre ans chacun. Mon deuxième mandat se termine en décembre 2020. En décembre de l’année dernière, l’Organisation a tenu sa 59ème assemblée générale annuelle et nous avons approuvé la décision de recruter un nouveau secrétaire général. Nous sommes actuellement dans ce processus et, espérons-le, lors de la prochaine assemblée générale qui se tiendra à Accra, au Ghana, en novembre, nous aurons un nouveau secrétaire général. Je pourrai alors céder la place à mon successeur et passer à autre chose.

Vous savez, IACO me passionne et je voudrais tout faire pour qu’elle réussisse. Je souhaite donc soutenir le nouveau secrétaire général qui sera engagé afin qu’on puisse travailler ensemble à accomplir des choses encore plus grandes pour l’Organisation. C’est pourquoi je me suis engagé en tant qu’ambassadeur du café en Afrique afin que nous puissions nous assurer de placer le café africain à un niveau plus élevé qu’il ne l’a jamais été auparavant. C’est excitant ! J’ai eu 60 ans au début de cette année et je pense qu’il est bon d’avoir une personne plus jeune à bord, avec une nouvelle énergie. Je veux soutenir cette personne.

Avez-vous déjà de bons candidats pour vous succéder ?

 

Oui, cinq candidats ont postulé dont deux ont d’excellentes références. Mais lors de la réunion du conseil d’administration en avril, nous avons décidé de laisser un peu plus de temps pour le dépôt de candidatures pour qu’à l’assemblée extraordinaire en juillet, nous ayons plus de candidats parmi lesquels choisir. Ceci dit, à ce jour, n’importe lequel de ces deux candidats ferait un excellent travail.

 

De nombreuses réformes sont en cours à l’OIAC dont l’intégration du secteur privé. Pouvez-vous nous dire où vous en êtes ?

 

Quand je suis arrivé à l’OIAC, j’ai dit : “Voyons comment nous pouvons transformer cette organisation.” Depuis sa création en 1960, elle a été une entité dirigée par les gouvernements, une institution qui s’est concentrée sur les questions de politique et elle l’est toujours. Cela ne laissait pas de place à l’engagement du secteur privé étant donné qu’à l’origine, les institutions publiques dominaient le fonctionnement des filières dans tous les États membres.

 

Mais aujourd’hui, l’industrie est portée par le secteur privé : les producteurs, les transformateurs, les exportateurs. Alors, pourquoi les gouvernements devraient-ils fixer toutes les règles ? Donc, quand je suis arrivé, j’ai dit qu’à l’OIAC nous allions faire de la place au secteur privé. J’ai donc lancé ce qu’on appelle le Symposium du café africain, invitant les gens du secteur privé à venir faire leurs présentations, à soulever des questions. A chaque Assemblée générale, nous avons eu un Symposium du café africain qui n’a cessé de grandir : l’année dernière, plus de 500 personnes sont venues et sont restées jusqu’au bout. Cela fait toute la différence lorsque vous avez le secteur privé …

 

Compte tenu de la libéralisation mondiale et du rôle important du secteur privé, les membres se concentrent actuellement sur la conclusion d’un nouvel accord qui devrait être adopté lors de la 60ème Assemblée générale annuelle qui fera partie des réunions annuelles 2020 de l’OIAC qui seront accueillies par la République du Ghana en novembre 2020. Ce nouvel accord donnera plus de place au secteur privé au sein de l’Organisation. Il existe un grand potentiel pour développer la consommation africaine de café, stimulée par les innovations du secteur privé qui profitent des opportunités du marchés en Afrique. La création de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA) est également très importante, ouvrant de plus grandes opportunités encore pour le commerce intra-africain, où la chaîne de valeur du café africain devrait connaître d’importantes transformations. Le nouvel accord en tiendra compte.

 

Lorsque je quitterai l’OIAC à la fin de cette année, mon nouveau rôle en tant qu’ambassadeur du café africain sera de continuer à travailler à consolider les avancées que l’industrie a réalisées et à soutenir le développement de partenariats pour transformer la chaîne de valeur africaine du café.

 

Vous souhaitez également vous concentrer sur la consommation africaine …

En effet, l’OIAC s’est historiquement concentrée sur la promotion de l’exportation du café vert. Ces dernières années, le développement des marchés intérieurs du café a suscité un intérêt croissant et la promotion de la consommation intérieure est désormais une priorité. C’est pour cette raison que l’OIAC a lancé en 2019 un programme pour promouvoir la consommation intérieure dans les États membres de l’OIAC. Les problèmes liés à cette consommation intérieure sont traités dans le nouvel accord.

Quand on regarde les statistiques de l’OIC, l’Afrique consomme plus de café qu’elle n’en exporte. Cela signifie que nous pourrions profiter du marché africain et maintenant, avec le nouvel accord de libre-échange africain, nous pouvons réellement développer la chaîne de valeur en Afrique et cela créera de nombreuses opportunités. J’en ai discuté avec l’Union africaine et les commissaires de l’Agriculture et du Commerce et nous pensons que cela pourrait être très bénéfique pour l’Afrique.

Comment se fait le lien avec l’Union africaine ?

J’ai entamé des discussions avec l’Union africaine pour que l’OIAC devienne une agence de l’UA. J’ai tout d’abord demandé si le café pouvait être l’un des produits sur lesquels l’UA se concentre et on m’a répondu qu’actuellement il ne l’était pas et que cette question n’était pas à l’ordre du jour de l’UA. J’ai donc demandé comment nous pourrions en faire un ordre du jour et ils ont dit que c’est une question politique : elle doit donc être présentée au Sommet parce que l’UA est gouvernée par le Sommet. Donc, comme notre organisation est intergouvernementale, j’ai dû soumettre la motion à notre Assemblée générale qui a voté pour que nous la présentions. Cela s’est produit lors de la 55ème assemblée générale annuelle qui s’est tenue en Angola en novembre 2015. Lorsque cela a été fait, le ministre des Affaires étrangères de l’Angola a écrit au président de l’UA au début de 2016 pour présenter la Déclaration de Luanda qui décrivait les deux résolutions: le café comme partie intégrante de l’agenda agricole de l’UA et l’OIAC en tant qu’institution spécialisée de l’UA sur les questions relatives au café.

Josefa Leonel Correia Sacko est Commissaire à l’Economie rurale et à l’agriculture de l’UA et a dirigé l’OIAC pendant 13 ans avant vous …

Oui ! J’ai travaillé avec elle sur cette question de l’inscription du café à l’ordre du jour de l’UA et elle est d’une grand aide. Bien sûr, nous sommes maintenant retenus à cause du coronavirus. Mais nous avons vraiment mis le café sous les projecteurs de l’Union africaine. Et c’est passionnant.

Qu’en est-il du projet d’un nouveau bâtiment pour l’OIAC ?

Quand je suis arrivé à mon poste, j’ai parlé au gouvernement ivoirien et nous nous sommes dits que la meilleure façon d’assurer la durabilité de cette organisation serait d’avoir un bâtiment qui générerait des revenus pour l’Organisation(lire Frederick Kawuma : nouveau siège, nouveau Fonds, nouvelle mission café pour l’OIAC). Le président Ouattara a aimé l’idée et ils nous ont attribué des terres. Parfois en Afrique, les choses prennent beaucoup de temps, mais ce qui m’a encouragé, c’est que nous avions une lettre d’attestation de la présidence indiquant que le gouvernement nous avait donné le terrain.

Nous avons donc poursuivi nos discussions avec les partenaires et ainsi de suite pour son financement, jusqu’à ce que nous arrivions à un stade où nous nous sommes rendu compte que nous ne pouvions pas lever des fonds sur la base de cette seule lettre mais que nous devions avoir le certificat de titre foncier. Nous ne l’avions pas. Ces processus peuvent prendre beaucoup de temps. Lorsque nous avons obtenu le certificat au milieu de l’année dernière, nos partenaires nous ont dit que cela avait pris beaucoup de temps et que nous devions recommencer tout le processus.

Nous en sommes maintenant à ce stade. Nous avions espéré que le lancement des travaux aurait lieu au premier semestre de cette année, puis le coronavirus est apparu. Donc, maintenant, nous attendons que nos partenaires reviennent pour discuter et nous finaliserons tout. Mais je voudrais quitter l’organisation avec la construction lancée et ensuite, mon successeur mènera à bien le projet.

La viabilité financière est essentielle pour une organisation comme la nôtre car nous n’avons pas d’argent pour faire fonctionner les choses et les États membres n’ont pas des budgets extensibles et il existe déjà tant d’institutions panafricaines. Et les États membres de l’OIAC versent déjà des contributions à l’Organisation internationale du café (OIC). Une fois que nos partenaires auront achever le bâtiment et que nous partagerons une partie du loyer qu’ils perçoivent, cela aidera à couvrir les frais de fonctionnement de l’institution. Et l’accord que nous avons est qu’après 20 ans, le bâtiment reviendra à l’organisation. Cela soutiendra l’organisation à perpétuité.

Existe-t-il d’autres moyens de renforcer l’OIAC ?

Oui, une autre manière est d’amener une personne de haut niveau à soutenir l’Organisation. Nous avons contacté le président Obassanjo qui a d’abord dit oui mais a ensuite décliné car il était trop engagé et ne pouvait pas consacrer tout le temps nécessaire à cette tache. Il a été conseillé que nous  contactions d’autres chefs d’État.

Nous avons donc contacté le président éthiopien et le gouvernement éthiopien a nommé l’ancien Premier ministre, Son Excellence Hailemariam Desalegn, comme parrain. Il est venu à notre dernière Assemblée générale et a prononcé un très bon discours d’ouverture, nous donnant de nombreux conseils sur la façon d’aller de l’avant. Nous pouvons donc continuer à travailler avec ce parrain pour relever les problèmes parce que nous avons besoin d’une personne comme celle-là qui connaît les politiques de l’Afrique.

Si l’OIAC devient une agence de l’UA, cela aura un impact financier …

Oui, en effet mais l’Union africaine a elle-même des difficultés à se financer elle-même. Notre dossier présenté à l’Union africaine était donc de dire que nous ne cherchions pas à ce que l’UA finance l’OIAC mais soit un partenaire. Ceci est très important car l’OIAC peut alors obtenir des fonds de l’UA pour mettre en œuvre des projets et ainsi de suite, mais l’UA ne financera pas les coûts administratifs de l’OIAC. C’est la stratégie que j’examine.

Si nous pouvons avoir des ressources autres qui nous permettent de couvrir nos frais administratifs (salaires, etc.), alors en termes de programmes, d’interventions dans les États membres, de projets qui doivent être réalisés à travers le continent, ce type de financement peut provenir de l’UA au travers de partenariats et de programmes de l’UA. Cela devient une stratégie gagnant-gagnant. Nous serons donc une agence de l’UA mais non financièrement soutenue par l’UA. Ainsi, l’OIAC bénéficiera de nombreux leviers financiers en tant qu’agence de l’UA.

Le secteur privé entrant à l’OIAC ouvre-t-il la porte à ce qu’un futur secrétaire général soit issu du secteur privé ?

La personne qui dirigera l’organisation proviendra des États membres et lorsque l’État membre désignera une personne, cette personne pourra être issue du gouvernement ou du secteur privé. Il n’a pas besoin d’être fonctionnaire. Moi-même, j’étais fonctionnaire, puis je suis parti pour rejoindre le secteur privé – c’est moi qui ai fondé l’EAFCA [East African Fine Coffee Association] qui est devenu plus tard une association du secteur privé. Ensuite, le gouvernement m’a appelé et m’a dit : “Vous avez fait du bon travail dans le café et nous voulons vous demander de revenir au gouvernement pour pouvoir vous nommer à l’OIAC“. Mme Sacko était du gouvernement : elle travaillait avec le ministère de l’Agriculture. Ainsi, comme vous pouvez le voir, d’après mon expérience, il est possible à l’avenir d’avoir davantage de personnes issues du secteur privé pour venir à l’OIAC.

Qu’en est-il de la Facilité du café africain* ?

C’est un programme sur lequel nous avons d’abord travaillé avec la Banque africaine de développement puis avec l’Afreximbank. Et l’Afreximbank avait décidé que nous pourrions lancer la Facilité en juillet de cette année. La banque avait déjà engagé US$ 500 millions. Mais avec l’arrivée du Covid-19, la priorité s’est déplacée vers des mesures liées à la Covid. Maintenant, nous travaillons sur des mesures d’urgence pour faire face à l’impact de la Covid-19 sur l’industrie.

Mais la Facilité du café africain fera partie de ce que l’OIAC mettra en œuvre dans un avenir proche. Et cela apportera beaucoup de valeur à l’industrie.En outre, au début des années 1990, l’OIAC a créé le Réseau africain de recherche sur le café (ACRN) qui était une institution distincte ; nous l’avons maintenant intégré dans le nouvel accord. Il servira d’organe consultatif en matière de recherche et développement dans le secteur du café. Il jouera également un rôle clé dans le cadre de la Facilité du café africain.

Donc tout ceci sont les changements que nous envisageons d’apporter et nous pensons que l’OIAC sera en mesure de progresser en tant qu’institution formidable en Afrique. Je suis tellement heureux d’avoir fait partie du processus pour résoudre les problèmes de l’IACO et maintenant de laisser quelqu’un d’autre prendre le relais et poursuivre le travail de transformation à l’IACO.

 

*lire Lancement du Fonds du café africain de $ 950 millions par l’OIAC, CABI et l’OIC

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