Frederick Kawuma laisse à son successeur à la tête de l’OIAC un nouvel accord café pour l’Afrique

 Frederick  Kawuma laisse à son successeur à la tête de l’OIAC un nouvel accord café pour l’Afrique
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Lors de sa 60ème assemblée générale qui s’est tenue virtuellement mi-novembre (lire nos informations : La réforme de l’OIAC en marche : l’ouverture aux pays africains consommateurs de café), l’Organisation interafricaine du café (OIAC) a adopté un nouvel Accord permettant à l’Organisation de s’ouvrir aux pays africains importateurs de café ce qui renforcerait sa capacité d’agir, ainsi qu’au secteur privé. Il ouvre la porte aussi à une rationalisation des rapports avec l’Union africaine et à la possibilité de pouvoir accéder aux bailleurs.

Dans une interview exclusive à CommodAfrica, Frederick Kawuma, secrétaire-général de l’OIAC dresse les grands traits de cet accord, de la réunion et fait le bilan de ses huit années à la tête de l’OIAC et des défis auxquels sera confronté son successeur, également ougandais, Solomon Rutega.

Lors de cette dernière Assemblée générale, le nouvel accord OIAC a été accepté. Mais sur un plan général, comment se sont déroulées les réunions ?

Ce n’était pas seulement un événement ponctuel. Nous en discutions depuis longtemps, plus de trois ans. C’est en juillet 2020 que nous avons eu une Assemblée générale extraordinaire pour examiner le nouvel accord, page par page. Nous avons fait beaucoup de changements et tout le monde était satisfait. Le Secrétariat devait incorporer tous ces changements et les renvoyer aux membres pour tout commentaire supplémentaire. Cela a été fait entre juillet et novembre. Ainsi, ce fut un moment passionnant lorsque le nouvel Accord a été adopté par la 60ème Assemblée générale annuelle.

Quels sont les points qui ont soulevé le plus de débats ?

L’un des problèmes soulevés a été de savoir comment s’articulerait la relation entre les pays consommateurs africains de café s’ils étaient intégrés et les autres membres ? À l’Assemblée générale, comment seraient déterminés leurs votes et leurs contributions ? Nous sommes convenus que ce serait le même mécanisme que pour les pays exportateurs, similaire aux règles applicables à l’Organisation internationale du café (OIC). A l’OIC, les contributions des pays exportateurs sont basées sur le volume des exportations, tandis que pour les pays consommateurs, leurs contributions sont basées sur leurs volumes d’importations. Nous utiliserons également les statistiques d’importations et d’exportations de l’OIC pour déterminer respectivement les niveaux de contribution et le droit de vote de chaque membre.

À l’heure actuelle, en Afrique, à l’exception de quelques pays comme l’Éthiopie, la consommation de café est assez faible. En outre, si ce type de calcul est fait, peut-être cela découragera-t-il la consommation et les importations ? Ou y aurait-il un taux préférentiel si le café est importé d’autres pays africains ?

Dans l’Accord, nous avons les deux catégories de membres : les membres exportateurs et importateurs. Il est entendu que les membres exportateurs consomment aussi du café, mais ce sont à la base des exportateurs nets de café. Et les pays importateurs sont ceux qui ne cultivent pas de café et doivent en importer. Donc, les chiffres de l’OIC seraient utilisés. Nous ne pouvons pas baser nos calculs sur la production car, par exemple, l’Éthiopie consomme la majeure partie du café qu’il produit et exporte le reste. Cela explique pourquoi l’Ouganda est le plus gros contributeur au budget de l’OIAC parce que l’Ouganda exporte plus de café que l’Éthiopie.

Est-ce la raison pour laquelle, pour la deuxième fois, c’est un ressortissant ougandais, Solomon Rutega, qui a été élu nouveau secrétaire général pour vous succéder ?

Pas forcément. L’annonce de l’appel à candidatures des États membres de l’OIAC a été faite lors de la 59e Assemblée générale annuelle à Nairobi, au Kenya, en novembre 2019, précisant les qualifications requises et les critères de sélection pour le nouveau secrétaire général. Ce sont ces critères qui ont été retenus lors des entretiens par le conseil d’administration et les membres ont voté par la suite pour choisir le candidat qui répondait à leurs attentes. Lors de la présentation aux membres, les candidats ont chacun fait une présentation de leurs visions respectives, décrivant leur expérience du café et comment ils entendaient faire avancer le programme de l’organisation. Après quoi, les membres ont voté. C’est ainsi que s’est déroulée l’élection du secrétaire général.

Pouvez-vous expliquer la méthode de calcul de la contribution des pays importateurs ?

Le montant que le pays doit payer au titre de sa contribution sera basé sur la proportion de ses importations par rapport aux importations totales des autres pays. Le budget changera chaque année en fonction de ce que décide l’assemblée générale. Mais le budget administratif du Secrétariat ne devrait pas beaucoup changer car il doit couvrir ses dépenses de fonctionnement, avec des variations limitées, tout en répondant aux activités spécifiques approuvées par l’Assemblée générale.

Les pays importateurs africains étaient-ils présents à l’Assemblée générale de l’OIAC ?

Nous avons eu des demandes de renseignements de certains d’entre eux, mais ils ne se sont pas réellement joints à la réunion. La Namibie était présente et à la fin, a exprimé son intérêt à rejoindre l’OIAC. Une invitation leur sera envoyée pour ratifier et signer l’accord une fois qu’il aura été déposé auprès du bureau de la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies à Addis-Abeba.

Alors, comment savez-vous que les pays consommateurs africains seront intéressés à adhérer ?

Il y a quelque temps, j’ai rencontré l’ambassadeur d’Algérie qui m’a dit qu’ils étaient intéressés à rejoindre l’organisation parce que l’Algérie importe beaucoup de café mais il vient principalement d’Europe. Une partie vient de Côte d’Ivoire et transite par l’Europe avant d’être expédié en Algérie – ce que nous appelons habituellement le « commerce triangulaire ». Il m’a dit qu’ils seraient intéressés à importer directement. J’ai eu d’autres réunions avec l’Égypte, le Soudan, le Soudan du Sud, le Maroc, etc., et ils ont tous exprimé leur intérêt pour l’OIAC. Maintenant, qui y parviendra est une question d’engagement diplomatique. Le nouveau secrétaire général est un ambassadeur donc un diplomate chevronné et je pense qu’il saura très bien gérer cela.

Mais tout ceci devra être discuté sous les auspices de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf). L’Accord de libre-échange continental africain renferme certaines dispositions relatives à des droits de douane nuls sur les échanges entre les États membres. Si le café doit être expédié directement d’Abidjan à Alger, il ne subira que des frais d’expédition et pas de frais supplémentaires pour les transbordements et autres frais logistiques.

Quels sont les points saillants du nouvel accord de l’OIAC ?

Dans le nouvel accord, nous avons pris en compte les tendances actuelles, y compris la mondialisation et la question de la durabilité. Dans le cadre des nouveaux objectifs, nous avons fait spécifiquement référence aux objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies. Nous avons également inclus la question de l’Union africaine (UA), en veillant à ce que les relations de l’OIAC avec l’UA soient mentionnées dans l’Accord. Ceci est important car lorsque l’OIAC a été fondée en 1960, c’était avant la création de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), qui a été transformée en Union africaine. L’UA a entrepris un processus de rationalisation de toutes les agences qui en dépendent, et l’OIAC n’avait pas encore été officiellement impliquée, mais nous espérons que cela se produira très bientôt. Ainsi, il était important de faire référence à l’UA dans l’Accord. L’OIAC doit veiller à suivre l’agenda de l’Union africaine.

Une fois que le sommet de l’UA aura approuvé la motion visant à faire du café l’une des cultures stratégiques de l’UA et que l’OIAC sera reconnue comme une agence spécialisée de l’Union africaine, elle ouvrira la voie à de nombreux autres partenariats. J’insiste sur ce point depuis un certain temps, parce que de cette façon, l’OIAC aura la liberté de traiter avec tous les différents partenaires multilatéraux, comme la Banque mondiale, l’USAID, etc. Pour le moment, les partenaires de développement traitent bilatéralement avec des États souverains ou directement avec l’UA par le biais d’un protocole d’accord (MoU), mais l’UA n’a pas encore de MoU avec l’OIAC. Ainsi, il n’existe actuellement aucun cadre pour les relations entre la Banque mondiale et l’OIAC, par exemple.

Voulez-vous dire qu’aujourd’hui l’OIAC ne peut pas obtenir de financement direct de l’Union européenne (UE), par exemple, pour un projet de café ?

Nous avons eu des discussions avec l’UE pour soutenir des projets régionaux de café et ils s’y intéressent car ils estiment qu’il y a de la valeur dans une approche régionale et d’éviter la duplication des efforts. Cependant, ils ont demandé à l’OIAC de s’assurer que le soutien demandé à l’UE soit approuvé par l’Union africaine. Nous l’avons été, dans la mesure où nos soumissions à l’UE sont passées par le bureau du commissaire de l’UA pour l’agriculture. Nous avons eu des discussions avec l’UA sur les questions relatives au café au cours des six dernières années, il est donc notoire à l’UA que le café était en discussion. En fait, l’OIAC a participé à de nombreuses réunions consultatives et ateliers organisés par l’UA.

Outre le nouvel accord, quels ont été les autres grands enjeux de la réunion annuelle ?

Nous avons eu l’élection du secrétaire général et la nomination de nouveaux directeurs qui ont été confirmés par l’Assemblée générale, un pour la recherche et le développement et un pour les affaires économiques qui remplace le directeur sortant et dont le mandat se termine en février 2021.

Nous avons également eu le Forum politique de haut niveau avec deux domaines clés abordés par le président de l’OIAC, son parrain, le Commissaire de l’UA à l’Agriculture et différents ministres des États membres de l’OIAC : la question de la Covid-19 et son impact sur l’industrie du café en Afrique ainsi que la promotion de la consommation de café en Afrique. Les ministres ont décrit les mesures prises pour traiter ces deux questions clés. Il a été noté que les questions de politiques spécifiques dans les pays qui n’encouragent pas la valeur ajoutée nationale doivent être abordées, afin de promouvoir l’industrie, en particulier en tenant compte des jeunes entrepreneurs, en particulier les femmes entrepreneurs qui s’aventurent dans le secteur du café. Nous devons créer un environnement politique qui les soutienne – des politiques qui les aideront à avoir accès à un financement abordable et à éliminer les divers goulots d’étranglement dans l’entreprise. Dans certains pays, les réglementations nationales rendent difficiles le fonctionnement de ces entreprises.

Comment se déroule le projet du nouveau bâtiment de l’OIAC ?

Le projet a été interrompu par la montée de la pandémie de la Covid-19. Le Secrétariat continuera à dialoguer avec les partenaires et lorsque les détails seront résolus -notamment la date de l’inauguration – une communication sera envoyée à nos membres.

Quelle est la santé financière de l’OIAC en pleine crise mondiale ?

Nous avançons avec les mêmes problèmes que la plupart des organisations panafricaines. C’est l’un des défis auxquels mon successeur devra faire face. Le budget a été réduit de 5% par rapport au budget de l’année dernière. Ces 5% sont significatifs surtout à un moment où de nouveaux responsables prennent leurs fonctions.

Quel est le budget de l’IACO pour 2021 ?

C’est un peu moins de € 640 000. Mais le défi permanent est que tous les États membres soient à jour dans leurs versements de contributions. Même à l’OIC, c’est un très gros problème. Dans le cadre du nouvel accord de l’OIAC, les États membres devront être à jour sous peine de se voir exclus. Seuls les membres qui le seront bénéficieront des nouvelles initiatives telles que la Facilité du café africain et d’autres partenariats. J’ai lancé la construction du siège de l’OIAC, et ce bâtiment générera probablement des revenus qui pourront être consacrés à des projets pouvant être bénéfiques aux États membres. Si l’organisation doit réaliser un projet dans un pays et que le pays n’est pas à jour, il sera exclu.

Pouvez-vous dire un mot sur la Facilité africaine du café ?

Quand je suis entré en fonction en 2013, vous vous souviendrez peut-être que lorsque nous nous sommes rencontrés au Gabon, en février 2013, j’ai mentionné que je travaillerais à la création d’un fonds de développement du café africain. Et je travaille sur cette initiative depuis ma prise de fonction. Vous réalisez que certaines de ces choses prennent du temps et exigent de la persévérance. En fait, avant de prendre mes fonctions, j’avais déjà rédigé une note conceptuelle sur ce Fonds de développement du café africain. Il fait désormais partie du nouvel accord de l’OIAC. La Facilité du café africain en est le démarrage, en tant que partenariat avec différents partenaires au développement.

Quelle est la différence entre le Fonds et la Facilité ?

La Facilité africaine du café est le partenariat sur lequel nous travaillons actuellement avec les différentes institutions ; la Banque africaine d’import-export (Afreximbank) a déjà alloué une partie substantielle des fonds nécessaires et nous devrions être en mesure de lancer cette facilité dès que possible. L’Union africaine sera le parapluie sous lequel l’opération se déroulera. Cette Facilité est un projet réunissant de nombreux partenaires pour soutenir l’industrie du café africaine, avec un calendrier précis. Cependant, le Fonds de développement du café africain, qui doit être créé en tant que l’un des organes de l’Accord de l’OIAC, sera une institution qui tirera les leçons du fonctionnement de la Facilité et deviendra partie intégrante de la structure de l’OIAC en fournissant un soutien à la chaîne de valeur du café en Afrique à plus long terme.

Et le secteur privé entre dans l’OIAC…

Oui. Ils ne viendront pas en tant que membres, mais ils participeront à ce que nous appelons le Groupe consultatif du secteur privé qui comprendra le secteur privé des pays exportateurs et importateurs. Ils assisteront aux réunions de l’OIAC au sein des délégations de leurs États membres respectifs. Ce groupe consultatif du secteur privé fait désormais partie du nouvel accord de l’OIAC. Son rôle sera de conseiller l’Assemblée générale sur les questions liées au commerce et à la chaîne de valeur du café en général. J’ai commencé à introduire le secteur privé avec le lancement du Symposium sur le café africain, qui a été très réussi : cette année était notre 8ème édition. L’intérêt que présente l’OIAC pour l’industrie deviendra de plus en plus évident au fur et à mesure que l’OIAC impliquera davantage le secteur privé dans ses activités. En fait, à l’OIC, j’ai participé en 1995 aux discussions qui ont conduit à la création du Comité du secteur privé qui deviendra finalement le Conseil consultatif du secteur privé qui a ensuite été intégré dans l’Accord international sur le café de 2007.

Quel sera votre activité en tant que nouvel ambassadeur de l’Afrique pour le café et comment s’intégrera-t-il à l’OIAC ?

Pour faire simple, je quitterai l’OIAC mais je ne quitterai pas le café. Je serai toujours un ambassadeur pour l’industrie du café en Afrique. Il n’y aura pas de budget de l’OIAC parce que l’ambassadeur de bonne volonté est un poste honorifique ; il n’est pas financé par l’organisation. Je serai un porte-parole du café africain, saisissant chaque opportunité pour promouvoir le café, pas seulement le café ougandais mais tout le café africain. J’espère travailler en étroite collaboration avec le Secrétariat de l’OIAC, le président de l’OIAC et aussi son parrain qui est actuellement l’ancien Premier ministre de l’Éthiopie (Hailemariam Desalegn). Je vais discuter avec le nouveau secrétaire général pour connaitre ses idées et savoir en quoi je peux l’aider.

Vous êtes à la fin de vos deux mandats. Quelles leçons pouvez-vous en tirer ?

Ayant été à ce poste pendant 8 ans, j’ai appris que vous devez écouter les gens et comprendre les différentes situations auxquelles ils sont confrontés dans les différents pays. Mon successeur devra être conscient des différents enjeux culturels. La dichotomie anglophone et francophone est une chose à laquelle le secrétaire général doit faire attention et être capable de respecter.

Quelle est selon vous la différence fondamentale entre les mondes du café francophone et anglophone ?

Dans les pays francophones, vous avez les reliques des anciens systèmes Caistab avec des filets de sécurité pour les producteurs, avec des prix minimums garantis ; cela reflète les attentes particulières des pays francophones. Ce n’est pas le cas dans la plupart des pays anglophones.

L’autre leçon que je peux tirer de mes mandats est que j’espérais que des progrès pourraient être réalisés dans le partage du matériel génétique, ce que nous n’avons pas réussi à résoudre. C’est l’un des problèmes auxquels la nouvelle direction sera confrontée, en particulier le nouveau directeur de la recherche et du développement. Le Réseau africain de recherche sur le café (Reca) est désormais un organe de l’OIAC qui a été intégré dans le nouvel accord. Le Reca conseillera l’assemblée générale sur les questions de recherche et développement. Le nouveau directeur de la recherche et du développement pourra utiliser le réseau du Reca pour faire avancer ce dossier du partage de ce matériel génétique.

La question est délicate car la recherche est financée par des États souverains sur des ressources financières nationales. Des mécanismes doivent être trouvés pour le partage des résultats de la recherche et aussi s’accorder sur l’aspect financier. Lorsque cet objectif sera atteint, il y aura une recherche collaborative accrue et cela favorisera le partage des résultats de la recherche pour des avantages mutuels et évitera la duplication des efforts.

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