Le retour du Cirad en Côte d’Ivoire change la donne

 Le retour du Cirad en Côte d’Ivoire change la donne
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Le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement  (Cirad) est de retour en Côte d'Ivoire après 13 ans d'absence, avec pour directeur régional Patrice Grimaud, jusque là à Ouagadougou. Une direction ivoirienne qui se veut forte, avec une dizaine de chercheurs (le Cirad est en pleine période d'embauche), s'appuyant sur le CNRA mais aussi le Firca qui bénéficie de fonds du C2D, le Conseil du café-cacao, véritable chef d'orchestre pour tout ce qui touche au cacao, mais aussi les universités et grandes écoles qui se tournent de plus en plus vers la recherche sur les filières agricoles -le coton, les productions animales, les fruits, le maraîchage, entre autres.

Patrice Grimaud (à gauche sur la photo ci-dessous), qui est également représentant d'Agreenium, l'Institut agronomique, vétérinaire et forestier de France, livre en exclusivité à  CommodAfrica son analyse et ses objectifs.

Le 19 mai dernier, le Cirad a rouvert un bureau à Abidjan. Pouvez-vous nous décrypter l'importance de l'évènement ?

C'est une étape supplémentaire à celles qui ont réellement commencé lorsque le président Hollande à proposer à notre président directeur général, Michel Eddi, de l'accompagner en Côte d'Ivoire en juillet 2014. Je venais d'être nommé à Ouagadougou comme directeur régional Afrique de l'Ouest continentale et on en a profité pour signer une convention cadre avec le Centre national de recherche agronomique (CNRA) de Côte d'Ivoire qui avait été le lieu d'accueil et le partenaire privilégié des instituts à l'origine même de la création du Cirad.

Suite à cela, en avril 2015, alors que j'étais à Ouagadougou et faisant des voyages réguliers à Abidjan, on s'est rapproché du Fonds interprofessionnel pour la recherche et le conseil agricoles (Firca) sur le conseil de beaucoup de nos partenaires, notamment de l'Agence française de développement (AFD). C'est au Firca que vont être confiés de nombreux financements dans le cadre du contrat de désendettement et de développement (C2D). Le Firca ayant le terme "recherche" dans son sigle, il paraissait effectivement incontournable de passer des accords permettant de travailler ensemble, notamment de pouvoir profiter de fonds qui existaient déjà lors d'une première phase du C2D mais dans laquelle la recherche agronomique n'était pas du tout impliquée.

Avec le Firca, il a été décidé de travailler sur des projets pour que le CNRA et le Cirad puissent bénéficier de ces fonds C2D dans une deuxième phase dont on attend toujours la mise en route mais qui devrait arriver assez rapidement.

C'est-à-dire?

Ce mois de juin, sans doute. Toutes les conventions d'attribution des fonds de l'AFD vers la Côte d'Ivoire sont signées. Maintenant, nous sommes au stade où nous allons passer de l'attribution des fonds aux organismes bénéficiaires à ceux qui vont être les opérateurs. Et le Cirad fait maintenant partie de ces opérateurs. Il est maintenant dans la photo alors qu'il ne l'était absolument pas lors de la première phase.

De quels montants sont ces fonds ?

Le Firca va recevoir une enveloppe de € 8 millions qui sont à partager entre plusieurs partenaires et nous, Cirad, espérons pouvoir en bénéficier en partie au travers d'appels à fonds compétitifs qui vont être passés dès que le Firca aura réceptionné ces fonds. Pour l'instant, nous sommes dans une phase un peu d'expectative, sachant que certains des projets que nous avions présentés avec le CNRA, notamment les projets sur le coton, sur les productions animales, sur les fruits et maraîchage, ont, quant à eux, déjà été arbitrés. On va avoir environ FCFA 800 millions (€ 1,2 million) pour commencer à travailler sur ces trois spéculations agricoles particulières dès la signature ce mois-ci entre les ministères maître d'œuvre du C2D et les opérateurs.

La volonté de partenariat avec les universités et grandes écoles

Quelle est votre position actuelle avec le CNRA ?

Plusieurs structures du CNRA sont tout à fait en accord avec le Cirad mais d'autres le sont un peu moins, car on va toucher à des intérêts et à des données sensibles, notamment tout ce qui est sélection génétique et productions de semences.

Le Cirad, quant à lui, veut travailler avec le CNRA. Mais d'autres structures comme les universités ivoiriennes qui se lancent de plus en plus dans la recherche ou de grandes écoles comme l'Institut national polytechnique de Yamoussoukro s'intéressent à la recherche agronomique, et des partenariats avec ces institutions peuvent être envisagés, en espérant la collaboration du CNRA. Après les deux conventions CNRA et Firca que j'ai évoquées, deux autres ont été signées, l'une avec le ministère de l'Agriculture lors du Salon de l'Agriculture de Paris (voir notre interview de Michel Eddi) et le second il y a deux semaines avec le ministère de la Recherche.

Face aux autres acteurs, étrangers et nationaux, déjà présents en Côte d'Ivoire, notamment dans la recherche sur le cacao, quelle sera la carte novatrice du Cirad?

Dans le cade du cacao, le Conseil du café-cacao (CCC) est l'ordonnateur de tous les projets que ce soit en recherche, développement ou tout autre domaine. Sur le cacao et le café, mais essentiellement sur le cacao puisque c'est là où se trouvent les priorités affichées par la Côte d'Ivoire notamment à cause du swollen shoot, des problèmes de déforestation, etc.

Tout un système ivoirien s'est mis en place, avec lequel le Cirad tient à collaborer. Le Firca ne travaillera sur le cacao qu'avec l'accord du CCC et le Cirad pourrait mener des recherches sur le café-cacao que par le biais du CCC qui privilégie une recherche partenariale avec le CNRA. Le CCC est véritablement au centre de ce système.

Ensuite, il y a des structures ivoiriennes, solides, sur d'autres spéculations comme le riz avec l'Office national de développement du riz, sur les forêts avec la Sodefor, etc.

Donc, nous nous mettrons totalement dans la position du wagon tiré par une locomotive, laquelle locomotive est une institution ivoirienne reconnue et qui bénéficie, pour certaines d'entre elles, de fonds du C2D mais également d'autres. Des fonds ivoiriens par les ministères, des fonds européens par le biais des ministères et du 11ème FED, des fonds grâce au programme de la Banque mondiale du WAPP-PPAOO.

Le délicat dossier de la sélection variétale

Quels sont les segments sur lesquels le Cirad a le plus d'avantages comparatifs ?

D'ores et déjà, un agent du Cirad, François Ruf, est affecté à l'Institut national polytechnique de Yamoussoukro. Il travaille sur la durabilité de la filière cacao en prenant en compte des aspects socio-économiques. L'objectif est que le cacao soit "un ami de la forêt" pour reprendre la terminologie de l'Agence française de développement (AFD), que les planteurs de cacao et de hévéa puissent mieux produire tout en évitant d'aller chercher un nouveau foncier qui se trouve dans la forêt. Ce sont des pistes novatrices.

D'autre part, l'Etat ivoirien veut mettre l'accent sur le cacao, sur la production mais aussi sur la transformation où il veut avoir un rôle de leader. Là, des partenariats public-privé se nouent. Le groupe français Cemoi, par exemple, commence à jouer un rôle très important en Côte d'Ivoire et il va être pour cela l'un des bénéficiaires des fonds du C2D, entre autres. Donc, des liens sont en train d'être créés avec des structures qui sont impliquées dans ces filières.

Après, dans le travail que nous avons fait en amont avec le CNRA lors de la signature de l'accord cadre en juillet 2014, certaines spéculations avaient été identifiées par le ministère de la Recherche comme étant prioritaires. Notamment, dans le Nord, le coton et les productions animales et, sur le reste du territoire, les fruits et le maraîchage, en prenant de nombreuses spéculations allant de l'anacarde à l'ananas, la mangue, etc.

Ce sont des recherches agronomiques ou plutôt sur la valorisation des produits ?

C'est beaucoup sur l'agronomie, la filière elle-même et la transformation. Après, lorsque l'on parle de spéculation agricole, on ne peut pas faire l'économie de la sélection variétale et de la production de semences. Mais là, souvent, c'est quelque chose qui dépasse la seule dimension pays. On est dans un environnement très particulier, qui est en mouvance.

Chaque spéculation agricole est un peu particulière sur les aspects de sélection variétale et de génétique. Sur le cacao, il y a la variété Mercedes que le CNRA a développée et qui représente, entre autres, une rentrée budgétaire qui leur permet d'avoir des fonds pour faire de la recherche. Une réflexion sur le coton est en cours à l'échelle régionale.

Tout ceci constitue un environnement très dynamique qu'on espère va pouvoir s'organiser de façon la plus cohérente possible dans les mois à venir.

Le Cirad recrute 30 nouveaux chercheurs

Quelle physionomie aura le Cirad en Côte d'Ivoire d'ici la fin de l'année ?

La première étape c'était déjà la réouverture d'une direction régionale permanente du Cirad en Côte d'Ivoire. Elle va couvrir tout le Golfe de Guinée, de la Guinée Conakry au Nigeria.

Nos locaux, inaugurés le 19 mai, ont été mis à notre disposition par l'Institut [français, Ndlr.] de recherche pour le développement (IRD). Donc on créé un campus de la recherche française à Abidjan avec l'IRD, la Conférence des présidents d'universités et maintenant le Cirad.

A partir de là, nous sommes en train de travailler sur cette possibilité de collaboration avec les organismes de recherche, mais également les organismes d'enseignement supérieur. L'objectif que se donne Michel Eddi est d'avoir au moins une dizaine de chercheurs supplémentaires d'ici un an.

Ceci impactera-t-il les autres antennes du Cirad dans la région ?

Non car nous avons un repositionnement des directions régionales. Pour l'instant, il y avait une direction régionale à Dakar qui couvrait tout l'Ouest de cette zone géographique et une direction à Ouagadougou qui couvrait en verticale la partie un peu plus à l'Est (Niger, Mali, Burkina Faso et quatre pays côtiers.

Avec l'ouverture de la direction en Côte d'Ivoire, ce repositionnement des directions régionales à effectif constant entraine une partition beaucoup plus ambitieuse de l'Afrique de l'Ouest, de façon horizontale ; c'est d'ailleurs la partition du Coraf (Conseil Ouest et Centre africain pour la recherche et le développement agricoles) dont on veut se rapprocher. Nous aurons toujours un directeur régional à Dakar et une direction régionale à Abidjan. Vis-à-vis du Burkina Faso, un pays particulièrement amical où le Cirad a une longue tradition de travail, Michel Eddi s'est entretenu il y a une quinzaine de jours avec les autorités pour leur indiquer un renforcement de nos affectations au Burkian Faso, et la réflexion est avancée avec le CNRST avec lequel le Cirad a renouvelé un accord-cadre l'an dernier.

Donc d'ici 12 mois, combien y aura-t-il de chercheurs Cirad en Afrique de l'Ouest ?

Le Cirad compte actuellement une petite quarantaine de chercheurs en poste actuellement, dont 16 au Sénégal, 13 au Burkina, 2 au Mali, 1 en Côte d'Ivoire et 3 au Bénin. A un horizon de 12 mois, il devrait y avoir 20 chercheurs au Sénégal et 20 au Burkina et 10 sont espérés en Côte d'Ivoire. Mais je suis persuadé que ces chiffres seront dépassés.

Aux dépens d'autres régions à travers le monde ?

 Non, justement, c'est là toute la force de notre dispositif. C'est la volonté d'expatrier de plus en plus de chercheurs. On est dans un processus de recrutement de jeunes chercheurs, des jeunes qui sont appelés à s'expatrier le plus rapidement possible. Le Cirad est en train de recruter 30 nouveaux chercheurs au Cirad. Donc c'est une augmentation significative du nombre de chercheurs.

Des chercheurs français ?

Pas forcément. La force du Cirad est d'être un centre international, donc ce sont bien évidemment, en grande majorité, des Français, mais je vois que parmi les chercheurs qui travaillent en Afrique, il y en a qui sotn Africains ou d'autres nationalités européennes. Mais les contrats sont tous signés au Cirad, donc de droit français.

 

*La démarche Contrat de désendettement et de développement (C2D) est une procédure d'annulation des créances d’aide publique au développement (APD) pour les pays pauvres très endettés (PPTE). C'est un des volets spécifiques français entrant dans le cadre général de l’initiative de traitement de la dette. Elle vise à procéder à un refinancement par dons, dans le budget du pays, des échéances d’APD remboursées par les Etats partenaires.

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