Pourquoi, malgré tous les rapprochements, paie-t-on plus cher le cacao du Ghana que de Côte d’Ivoire ?

 Pourquoi, malgré tous les rapprochements, paie-t-on plus cher le cacao du Ghana que de Côte d’Ivoire ?
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Carine Poé, ingénieur agronome, directeur adjoint chargé des Délégations régionales au sein du Conseil du café cacao (CCC) en Côte d’Ivoire et membre de la Commission commercialisation et économie de la coopération Côte d’Ivoire-Ghana dans le secteur du cacao, explique le pourquoi du comment des différences qui subsistent encore entre les systèmes de commercialisation de la fève entre les deux premiers pays producteurs mondiaux et ce que la Côte d’Ivoire est en train de mettre en place. Une longue réponse à une première question de CommodAfrica permet à Carine Poé de retracer l’historique et de comprendre d’où la filière cacao ivoirienne vient et où elle va.

 

Un rapprochement des filières cacao de Côte d’Ivoire et du Ghana est en cours mais il reste des différences encore majeures. Notamment, grâce à des sacs scellés et gradés, le Cocobod arrive sur les marchés mondiaux avec une qualité considérée comme plus homogène, meilleure, parfaitement traçable et donc bénéficie d’une prime plus importante que la Côte d’Ivoire. Pouvez-vous nous expliquer quel maillon demeure encore faible dans la filière cacao en Côte d’Ivoire et pourquoi une différence notamment de prix subsiste encore entre les deux origines voisines ?

Pour vous répondre, on va commencer par la fin et par une question  : parvient-on, en Côte d’Ivoire, à assurer une traçabilité totale ? La Côte d’Ivoire y travaille. Parce qu’on a eu trois étapes en termes de traçabilité. Avant les années 2000, jusqu’à 1996-1997, c’est-à-dire avant la dissolution de la Caisse de stabilisation (Caistab), la Côte d’Ivoire travaillait un peu comme le Ghana. C’est elle qui était chargée de collecter le produit auprès de producteurs, de faire le tri et l’ensachage. Là, on maîtrisait à 100% la qualité.

Puis, il y a eu la réforme de 1997  demandée par les institutions de Bretton Woods, avec toutes les crises qu’on a connu au niveau des matières premières en Côte d’Ivoire, et nous sommes passés au système de libéralisation à partir d’octobre 2000. Ce système de libéralisation était censé donner tout le pouvoir aux producteurs. Ce sont eux les maîtres de la production et donc il s’agissait de leur redonner le pouvoir sur leurs produits et leur permettre de les porter eux-mêmes à marché. Or, les producteurs, qui étaient assistés depuis bien avant les indépendances et jusqu’à 2000, n’avaient pas nécessairement cette capacité à gérer leur production une fois qu’elle était mise en sac. Au temps de la Caisse de stabilisation, il y avait les GVC mais ils étaient toujours encadrés par la Caistab. Donc on a donné le pouvoir aux producteurs sans qu’ils aient nécessairement toute la technique pour la gestion du produit une fois que toutes les étapes post-récoltes étaient réalisées. Car il faut pouvoir stocker, transporter jusqu’aux zones portuaires et pouvoir mettre le cacao à marché.

Des producteurs non formés, laissés à eux-mêmes

C’est à ce moment là que la Côte d’Ivoire a été obligée de laisser introduire dans son système de commercialisation des acteurs extérieurs que sont les exportateurs et les traitants. Ils sont arrivés et étaient complètement autonomes. Ils sont arrivés avec leurs moyens et ont traité directement avec les producteurs qui, eux, ne sont pas formés. Et il s’inscrit un biais car les producteurs n’ont pas été aidés à prendre en charge les aspects qualitatifs mais on leur fait ressentir ceci au niveau du prix. Ils arrivent à l’entrée usine et on leur dit : ‘votre cacao est bien mais il ne répond pas à certaines normes qualité’, d’où la réfaction. Quant aux traitants et exportateurs, c’est bien pour eux : ils sont venus pour faire du business et donc ils achètent à moindre coût, font eux-mêmes le traitement et enlèvent les fèves défectueuses, etc. Mais, sur le marché international, l’image du cacao ivoirien commence à être déprécié. Car les chiffres qu’ils donnent sont les résultats des analyses du cacao qu’ils récupèrent auprès des producteurs mais ils ne disent pas qu’eux-mêmes font ensuite des opérations de tri, de nettoyage, etc.

Nous avons vécu cette situation  jusqu’en 2011 lorsqu’une seconde réforme a été instaurée, à la demande de l’Etat cette fois-ci. Car on se rend compte que les producteurs sont de petits producteurs et leurs organisations ne sont pas suffisamment structurées et organisées pour pouvoir se défendre sur le marché. Donc les mêmes institutions de Bretton Woods ont donné quitus au gouvernement pour cette réforme. Mais dans cette réforme, les acteurs qui étaient déjà installés -les exportateurs, les traitants- ne sont pas sortis du système : ils sont là, avec la différence cette fois–ci qu’il y a un organe de régulation qui est le Conseil du café-cacao.

On ressert les normes entrée usine

Le CCC arrive donc et s’attaque au premiers problème qui est la qualité du cacao ivoirien qui a perdu de la valeur au niveau international. Donc, on ressert les normes entrée usine et c’est là la force de la réforme : désormais, les traitants et les exportateurs, bien que se situant à la fin du système de commercialisation intérieure -car le système de commercialisation intérieure commence du bord champ à l’entrée usine- sont face à l’organe de régulation, le CCC, qui s’insère pour dire : ‘nous, on donne tout ce qu’il faut au producteur au niveau du champ (intrants, conseils, appui agricole, sacherie, etc.) et on vous impose, à vous exportateurs et traitants, des normes pour pouvoir prendre le cacao. Et pour s’assurer que ces normes sont respectées, on installe des concessionnaires qualité dans vos usines. Donc, quand on dit qu’il y a telle qualité de cacao qui est entrée dans votre usine, nous, organe de régulation, on peut certifier cette qualité car les concessionnaires sont payés sur la base d’une redevance. Ainsi, on commence à rétablir progressivement les choses.

Une traçabilité partielle

A ce niveau, on a une traçabilité partielle. Pourquoi partielle? Parce que, aujourd’hui, quand vous avez un volume de cacao qui rentre chez un exportateur ou un traitant, on a des outils informatiques, des applications, qui nous disent exactement le volume qu’un opérateur a acheté, où il a acheté et à quel exportateur final il a livré. Donc, ça on le sait.

Ce sur quoi nous travaillons en ce moment est la relation entre l’opérateur et le producteur. Car les producteurs ont la possibilité de s’affilier à des coopératives, ils ont la possibilité de travailler directement avec des traitants -ce qu’on appelle des acheteurs- ils ont ainsi la possibilité d’être des producteurs indépendants, affiliés ou non affiliés à l’un ou à l’autre et ils vendent à ceux dont ils sont le plus proche, ou avec qui ils ont le plus d’affinité.

Recenser pour contrôler

Comment capte-t-on cette transaction entre le producteur lambda et un opérateur X ? Pour le moment, c’est sur la base des informations que l’opérateur rentre chaque fois dans le système et il a obligation d’enregistrer tout ce qu’il fait comme achats bord champ. Il doit tout enregistrer car un volume de cacao ou de café qui n’est pas dans notre base de données ne peut pas être vendu à un exportateur.

Ce qui explique qu’aujourd’hui, on est dans une vaste opération de recensement des producteurs et de leurs vergers, ce qui va nous permettre à la fin d’avoir un seul numéro, un seul identifiant : par exemple, le producteur, M. X, ne pourra pas avoir un identifiant chez un exportateur ou chez un opérateur X et avoir un autre identifiant auprès de l’organe de régulation qu’est le CCC. Ce sera un seul identifiant, unique, par producteur avec en back-off, la superficie de ce producteur et donc la capacité de production afin qu’on puisse résoudre en même temps le problème des volumes qui ne seraient pas déclarés à l’avance et qu’on puisse anticiper sur les programmes de restructuration de l’agriculture. C’est-à-dire que si M. X,  dans trois ans veut régénérer sa parcelle et demande un appui, on lui signifiera que, selon les données qu’on a, sa parcelle a 15 ans et que ce n’est qu’à partir de 25 ans que la vie économique du cacaoyer commence à se déprécier. Donc, avant 10 ans, il n’aura pas la possibilité de planter de nouveaux plants. Cela nous permet aussi , en même temps, de contrôler la production parce qu’un des objectifs de ce recensement est justement de maîtriser et de contrôler notre outil de production.

Et de rester à une production nationale annuelle de 2 millions de tonnes…?

Oui, à 2 millions de tonnes. Certes, le recensement n’a pas pour but de réduire la production mais de connaitre la situation exacte. Car les volumes qui sont mis à marché fluctuent d’une année à l’autre. On sait qu’il y a des transferts de produits entre nos différentes frontières. On parle du Ghana mais le produit peut aussi aller vers le Liberia où les gens sont friands de café et de cacao. Il y a du café qui va facilement en Guinée car ils en consomment. Donc il y a beaucoup de mouvement à travers les frontières. il faut donc, déjà, qu’on maitrise exactement ce que nous avons comme production aujourd’hui et à terme pouvoir faire de la modélisation de la production.

Pour revenir à votre question initiale, ce qui nous différencie du Ghana aujourd’hui, c’est qu’au Ghana, vous n’avez pas d’exportateurs, ni d’opérateurs au contact du producteur. Ce sont les agents du Cocobod qui récupèrent le produit auprès des producteurs, comme on le faisait avant ici, en Côte d’Ivoire. Ces agents font les premières opérations de traitement. Et ce qui donne au Ghana sa plus-value -le “différentiel pays”- c’est qu’aucune petite fève ne sort du Ghana pour aller à l’exportation. Toutes les fèves qui ne sont pas calibrées comme il faut restent au Ghana pour être transformées localement.

Vous aussi, en Côte d’Ivoire, vous avez resserré votre contrôle sur la qualité ?

Oui, nous avons resserré mais on vous dira que c’est du 100 grammes pour 100 fèves, alors qu’au Ghana vous vous retrouvez avec 90 fèves aux 100 grammes, ce qui donne plus de valeur. Tout ce qui peut faire chuter la qualité, que ce soit visuel ou au toucher du cacao, ils le font sortir et ça reste pour la transformation interne.

La coopération entre nos deux pays nous ont permis de comprendre ça et je pense que nous allons aussi vers ce système.

Un projet pilote pour le système de scellé

Quant au système de scellés de sacs, il se fait déjà en Côte d’Ivoire avec certaines coopératives  et certains exportateurs et le Conseil est en train de travailler avec une structure pour mettre en place un projet pilote pour ce système de scellé. Il sera réalisé avec un certain nombre de coopératives pour avoir une certaine représentativité. Il se fera avec des scellés et  une identification digitale du producteur. Donc M. X ne pourra pas vendre le produit de M; Y. Il faudra identifier M. X avec sa carte de producteur ou son empreinte digitale pour être sûr que ce soit bien lui. On veut s’appuyer sur ce qui est déjà fait ailleurs et aller plus loin.

La technologie est déjà au point. Elle a déjà été expérimentée sur plusieurs spéculations en Afrique de l’Est et en Côte d’Ivoire par des exportateurs qui en tirent  un grand bénéfice car ils arrivent à assurer leur clients finaux qui sont les chocolatiers. Donc nous allons faire un pilote qui va nous permettre de ne pas dire : ‘voici ce qui se passe avec tel exportateur mais voici ce que le CCC, organe régulateur, a constaté ou a obtenu comme acquis à la suite de ce pilote, et voici comment il veut le porter à échelle. On y travaille. Cela a été une faiblesse de notre système car on avait pour défi majeur de relever la qualité du cacao qui était en train  de vraiment se dégrader avec la première réforme de 2000.

Voici comment les choses ont commencé et où elles sont à ce jour.

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