Sylvain Dépigny, Cirad : Face à son avenir énorme, la production de banane plantain doit s’intensifier sans intrants chimiques

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La production de banane plantain à grande échelle a un avenir énorme devant elle, avec des débouchés très diversifiés. Or, jusqu’à maintenant, son offre annuelle en Afrique de l’Ouest et centrale culmine à 10 millions de tonnes (Mt). La demande locale, intégrant la consommation en frais et la matière première pour l’industrie agro-alimentaire, représente le double de cette production.

Pour y répondre, sa production doit donc s’intensifier mais sans recourir aux intrants chimiques. C’est le double défi auquel répond le Cirad à travers son initiative pour l’intensification écologique de la banane plantain en Afrique (IPA) lancée le 1er mars au Salon international de l’Agriculture (SIA) qui s’est tenu à Paris la semaine dernière. Sylvain Dépigny, agronome bananiers et plantains au Cirad, explique à CommodAfrica les enjeux et comment parvenir à des résultats qui pourraient révolutionner cette filière jusqu’à maintenant avant tout familiale et vivrière.  

Parmi les partenaires d’IPA se trouvent, en Côte d’Ivoire, l’Anader (Agence nationale d’appui au développement rural), le CNRA (Centre national de recherche agronomique), le CSRS (Centre suisse de recherches scientifiques) et le Firca (Fonds interprofessionnel pour la recherche et le conseil agricoles) ; au Bénin, l’Unstim (Université nationale des sciences, technologies, ingénierie et mathématiques) ; au Ghana, le CRI (Crops Research Institute) et au Cameroun, le Ministère de l’Agriculture et du développement rural, l’ACEFA (le programme d’Amélioration de la compétitivité des exploitations familiales agropastorales), l’AFOP (le programme d’Appui à la rénovation et au développement de la formation professionnelle dans les secteurs de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche), le Carbap (Centre africain de recherches sur bananiers et plantains) et l’IRAD (Institut de recherche agricole pour le développement).

 

CommodAfrica : L’initiative pour la densification écologique de la banane plantain en Afrique a pour ambition de fédérer tous les acteurs de la filière banane plantain, des chercheurs aux producteurs en passant par la formation et l’encadrement technique. De quoi s’agit-il précisément ?

Sylvain Dépigny : On parle principalement de la filière africaine qui, en réalité, recouvre toutes les filières nationales. L’idée est d’aider à mieux structurer ces filières et à les accompagner dans leurs mutations actuelles vers une spécialisation et une intensification de la culture. Aujourd’hui, c’est en train de se passer et on a suffisamment de connaissances agronomiques pour acciompagner la mutation sans pesticides et en faisant de l’agroécologie.

Mais la banane plantain n’utilise pas beaucoup de pesticides actuellement…

Oui, la banane plantain aujourd’hui est plutôt une agriculture vivrière, familiale, en association avec d’autres plantes souvent plus basses que le bananier, des racines et tubercules. On a des systèmes très mixtes, très mélangés, qui produisent beaucoup en global mais pas beaucoup au niveau de la banane plantain. Ils n’utilisent quasiment pas d’intrants, en tous cas très peu de pesticides.

Puisqu’ils n’utilisent pas beaucoup de pesticides, pourquoi votre projet ?

Car il y a une grosse demande qui est de deux ordres. D’une part, la population augmente, la banane plantain est un plat quotidien et de ce fait, les besoins augmentent sans arrêt. D’autre part, il y a l’agroalimentaire qui souhaiterait utiliser la banane plantain pour faire de la farine infantile, de la farine panifiable, des chips. On a malheureusement un exemple avec la guerre en Ukraine aujourd’hui où le prix des céréales augmente en Europe et l’Europe exporte des céréales pour les farines infantiles en Afrique. Donc, on imagine la répercussion à plusieurs bandes et le prix des céréales dans quelques mois probablement sur le continent africain.

Donc il y a un intérêt à valoriser des produits locaux avec lesquels on peut faire des farines comme la banane plantain, par exemple.

Mais encore une fois, comme le producteur de banane plantain n’utilise pas d’intrants, ne cherche-t-on pas la petite bête ?

En fait, pour produire plus, il y a deux voies : soit on reste sur des systèmes de culture actuelle avec peu de densité de bananes plantain et plein d’autres cultures et de ce fait on augmente les surfaces pour produire plus. Dans ce cas-là, on va aller vers de la déforestation ou vers de la compétition vers d’autres cultures vivrières et cela pose un problème.

L’autre solution est d’intensifier la culture du bananier plantain, donc de se spécialiser, d’enlever telle culture et de mettre plus de bananiers au mètre carré ou à l’hectare. On va alors vers une problématique où lorsqu’il y a plus de densité d’une plante, on a plus de problèmes notamment de ravageurs et maladies. Ainsi, les agriculteurs qui souhaitent faire ça aujourd’hui car il y a un enjeu, un business, une demande, ils se lancent dans ces parcelles en monoculture. Sauf qu’avant, ils exerçaient plutôt dans un type d’agriculture familiale. Et on ne s’improvise pas agriculteur du jour au lendemain : on ne sait pas nécessairement gérer un peuplement unique d’une seule variété de plante quand on gérait auparavant des mélanges, on ne gère plus le risque climatique de la même façon, on ne gère plus l’alimentation de la famille de la même façon, etc. De nombreux nouveaux problèmes apparaissent et souvent ils ne sont pas gérés avec réussite. Quelques-uns y arrivent mais souvent en mettant beaucoup de pesticides, d’engrais, des nématicides, d’insecticides parce que le problème numéro un du bananier, c’est le charançon : aujourd’hui, un agriculteur au Cameroun plante 100 bananiers et il ne récoltera que 60 régimes à cause du charançon.

Donc nous voudrions dire qu’on peut éviter de mettre tous ces pesticides. D’abord, parce que ce n’est pas nécessairement très pertinent de les utiliser car on n’a pas de vente au poids. On vend la banane plantain au régime sans être à quelques centaines de grammes près, voire même un ou deux kilos près. On n’a pas de ventes à l’export. Si on compare à la banane dessert, elle a des normes de qualité importants car elle doit voyager trois semaines et donc elle a des traitements fongicides qu’on a du mal à supprimer parce qu’il faut qu’elle arrive dans un certain état. La banane plantain, quant à elle, est vendue bord champ et elle est transportée dans des camions en vrac. Il n’y a pas cette même attente de qualité.

C’est de l’export aussi mais entre Etats africains…

C’est en effet aussi de l’export sous-régional mais dans les mêmes conditions que sur le marché national, en vrac, dans des camions. Du coup, ce n’est pas nécessairement très pertinent d’utiliser des pesticides parce que la valeur ajoutée n’est pas si évidente.

Par conséquent, nous disons qu’il serait dommage d’aller vers cette mutation de la production de plantain. Si c’est un souhait des agriculteurs et des Etats, on ne peut que le respecter mais on peut essayer de ne pas faire les mêmes erreurs qu’on a faites auparavant en utilisant l’intensification conventionnelle basée sur des intrants chimiques. Nous avons suffisamment de recul sur les méthodes de culture du bananier au sens large pour savoir qu’il y a des techniques aujourd’hui qui permettent de le faire, de produire davantage sans pesticides.

Lesquelles ?

Il s’agit d’abord d’utiliser du matériel végétal de meilleure qualité et des pratiques agroécologiques qui offriront à chaque problème des alternatives aux pesticides. On ne va pas nécessairement les lister ici mais on peut dire qu’il y a deux grands leviers : la formation agricole et un peu de recherche et développement.

Pourquoi former ? Parce qu’il faut d’abord expliquer aux agriculteurs -mais pas qu’à eux, également à leur encadrement technique et peut être même aux institutionnels- qu’on pourrait envisager d’augmenter la production autrement que par l’intensification conventionnelle. Ce n’est pas un pari ou une idée folle de chercheur ; c’est possible étant donné le contexte de la banane plantain. Donc il faut déjà sensibiliser au fait que ce soit possible et pourquoi ça l’est. Après, on peut rentrer dans le détail des techniques mais ça, c’est plus avec les agriculteurs en les formant. Avant tout, il faut déjà avoir envie de leur dire que c’est possible et avoir envie de les former à ça.

Ensuite, il y a des travaux de R&D et c’est l’objectif de cette initiative. Il s’agit de dire : on est tous d’accord pour regarder dans la même direction, on est tous d’accord pour y aller. Après, il va falloir peut-être travailler sur une meilleure connaissance de la diversité variétale – sur le plantain, on a 130 variétés cultivées rien qu’au Cameroun et certaines sont sûrement plus intéressantes que d’autres. Donc il faut faire un peu de recherche appliquée mais de la recherche quand même : certains ont-ils besoin de moins d’engrais ? Certains sont-ils plus résistants aux charançons que d’autres ? Ce serait intéressant d’aller vers un catalogue de variétés pour les agriculteurs. On peut aussi créer des variétés ; on a un laboratoire de génétique au Cirad qui travaille en partenariat avec le laboratoire de l’IRAD au Cameroun et où on créé des variétés résistantes à certaines maladies ou à certains agresseurs. C’est une voie.

Il faut aussi repenser les systèmes de culture. Si on est plus dans le système traditionnel avec plein de plantes, on va vers la monoculture. Pour ne pas mettre de pesticides, en général, en agroécologie, on sème des plantes de services, des plantes qui vont rendre service à la culture principale. Là , le service qu’on va chercher c’est peut-être un service de production car les Africains ne vont pas vouloir mettre des plantes qui ne sont pas cultivées. On va peut-être chercher en premier à supprimer les herbicides et pour cela, il faut que le sol de la bananeraie soit entretenu car l’herbe spontanée fait de la concurrence au bananier qui est aussi une herbe. En mettant une autre plante qui est cultivée et entretenue, on va déplacer le problème et la main d’œuvre pour cette nouvelle culture va permettre d’éviter de mettre de l’herbicide.

Pour le charançon, il faut faire un peu plus de recherche car c’est un problème qu’on n’arrive pas bien à résoudre. Pour les champignons – la cercosporiose noire est d’ailleurs beaucoup moins grave sur le bananier plantain que sur le bananier dessert- on a une technique qui consiste à couper les feuilles et à les enlever régulièrement du bananier.

Vous parlez beaucoup du Cameroun mais avez-vous beaucoup de travaux en cours en Afrique de l’Ouest ?

Nous avons très longtemps travaillé avec le Cameroun dans un institut qui s’appelle le Carpam, le Centre africain de recherches sur le bananier et plantain. Aujourd’hui, ce sont plutôt les activités d’amélioration variétale qui sont au Cameroun avec des collègues plutôt généticiens ; l’activité plus liée aux systèmes de culture est basée davantage aujourd’hui, pour le Cirad, en Côte d’Ivoire. Mais cette initiative entend justement coordonner les activités afin que quelque chose qui est fait dans un pays puisse être utilisée dans un autre. Chaque pays n’a pas nécessairement la même ambition sur chaque thématique et chaque pays peut travailler en collaboration avec nous sur la thématique qui l’intéresse. Au Cameroun, ce sera peut-être plus la diversité variétale et l’amélioration génétique car ils ont un programme ; en Côte d’Ivoire, ce sera peut-être plus la conception des modèles de culture, la récolte en contre-saison parce qu’ils ont une saisonnalité beaucoup plus marquée qu’au Cameroun.

Quels sont vos objectifs en termes de rendement sur le plantain ?

Dans certaines stratégies nationales, il y a des objectifs affichés mais dans le cadre de ce projet, il n’y a pas d’objectifs clairement affichés. La question ne se pose pas tant en termes de rendements qu’en termes de pérennité. Aujourd’hui, la première année, on ne va récolter que 60% des bananiers sur une parcelle ; la deuxième année, plus de 80% seront parterre car on n’a pas de matériel sain, parce qu’il faut bien conduire la parcelle, parce qu’il y a beaucoup de bioagresseurs.

Si on arrivait déjà à doubler la durée de vie de la parcelle, et faire en sorte que 80% des régimes soient récoltés chaque année, on augmenterait déjà les rendements. Car ce n’est pas une histoire d’augmenter la production et les rendements comme on a pu le voir sur des cultures il y a une trentaine d’années en France. Il faut produire plus mais ce n’est pas forcément une course aux résultats. Pour un agriculteur, une parcelle c’est un investissement. Il faut que l’investissement lui permette de vivre et donc il faut qu’il puisse récolter un minimum.

La banane plantain, contrairement au cacao, coton, etc. , est une culture de jardin potager familial, donc la question de formation est beaucoup plus délicate et importante que des agriculteurs dans des filières intégrées. Comment allez-vous faire ?

Justement, c’est la première étape et c’est le cœur du projet Formation agricole pour la banane plantain en Afrique, Faba. On ne s’improvise pas agripreneur et pourtant c’est important car les jeunes aujourd’hui n’ont pas envie d’être agriculteur comme leurs parents l’étaient. Ils n’ont pas envie de cette agriculture vivrière, où on chercher à manger et à vendre le surplus pour en vivre. Les jeunes ont envie d’avoir un métier reconnu et avec lequel ils peuvent gagner de l’argent, un vrai métier.

Du coup, pour eux, se spécialiser dans une culture et dire : « j’alimente un marché en banane plantain ou en d’autres produits », c’est important. Et nous, nous pensons qu’il faut sensibiliser à cette façon de cultiver autrement. Mais il y a la base aussi : il faut apprendre à cultiver une parcelle de bananier avec une densité plus importante.

Dans le projet Faba, on le fait grâce à 13 vidéos pédagogiques qui vont permettre d’expliquer comment choisir sa variété, son matériel de bananier plantain, quels sont les gestes très techniques mais relativement simples, comment gérer les charançons, la cercosporiose et comment récolter. Ce sont 13 vidéos de 20 minutes qui vont sortir en fin d’année et leur objectif est d’accompagner ces agriculteurs vers cette spécialisation. Nous, nous sensibilisons à le faire sans pesticides et donc on ne fait jamais de recommandation sur l’utilisation de pesticides. Ensuite, les agriculteurs font ce qu’ils veulent.

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