J. Owona Kono : “Vigilance réglementaire et pratiques commerciales responsables : les conditions d’un prix juste sur le marché européen de la banane”

 J. Owona Kono : “Vigilance réglementaire et pratiques commerciales responsables : les conditions d’un prix juste sur le marché européen de la banane”
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Parole à Joseph Owona Kono, président d’Afruibana.

Dans une lettre ouverte publiée le 10 mars dernier, Afruibana alertait sur les conséquences du conflit russo-ukrainien sur le marché européen de la banane : qu’en est-il aujourd’hui ?

La guerre en Ukraine est venue accélérer une tendance inquiétante qui était déjà présente sur le marché européen de la banane, soumis à une forte pression – elle-même consécutive à d’importantes hausses de coûts ces derniers mois. Le conflit a effectivement presque totalement arrêté l’approvisionnement des marchés russe, biélorusse et ukrainien en bananes d’Amérique latine, qui représente 1,8 million de tonnes de bananes par an, soit l’équivalent de 28 % de la consommation annuelle des marchés de la banane du Royaume-Uni et de l’UE-27. Le Ministère de l’Agriculture et de l’Élevage équatorien a pris conscience du risque significatif induit par cette situation et annoncé qu’il examinerait de près les comportements des exportateurs dont les licences sont liées à la desserte de ces marchés. À ce stade, le marché européen s’est maintenu, mais tous les experts appellent à une grande vigilance.

Comment s’assurer que la stabilité du marché perdure dans ce contexte ?

Pour cela, il est essentiel de disposer d’un cadre garantissant des pratiques commerciales responsables, aussi bien de la part des producteurs et des exportateurs que des acheteurs. Plusieurs producteurs de bananes équatoriens en effet ont annoncé qu’ils allaient prendre des mesures d’autodiscipline en allouant une partie des volumes concernés à des banques alimentaires ou en les utilisant pour l’amendement des sols. Cependant, tous les opérateurs n’ont pas suivi cette démarche louable. Des sources ont notamment confirmé que des volumes ont été détournés de leur destination ukrainienne pour être vendus en Roumanie et dans le sud-est de l’Europe à des prix excessivement bas. De telles pratiques s’apparentent à du dumping et sapent les efforts des fournisseurs engagés, qui approvisionnent leurs clients de manière sûre et fiable et leur fournissent des fruits de qualité à des prix compétitifs. Pour y faire face, des mesures appropriées de surveillance et de contrôle du marché doivent être appliquées par les autorités nationales et européennes compétentes afin d’en assurer la stabilité, dans l’intérêt bien compris des consommateurs et de tous les opérateurs.

Les producteurs européens, équatoriens, colombiens et guatémaltèques ont fait une déclaration commune le 29 mars appelant à une revalorisation du prix de la banane à un niveau équitable : quelle est la position d’Afruibana par rapport à cette déclaration ?

Nous sommes totalement en phase avec cette déclaration, dont nous saluons l’initiative et à laquelle nous nous sommes formellement associés le 1er avril dernier. Elle témoigne de la préoccupation croissante et surtout partagée de l’ensemble des producteurs mondiaux de bananes en ce qui concerne les prix, définitivement trop bas au vu, entre autres, des enjeux en termes de transition écologique.

Quelles solutions préconisez-vous face à cette situation inédite ?

Afruibana milite et travaille depuis plusieurs années au déploiement de solutions durables pour le marché européen de la banane. Notre démarche ne consiste pas à régler uniquement un problème temporaire ou défendre les seuls intérêts de nos origines géographiques, mais à créer, pour tous les acteurs de la chaîne de valeur du marché européen, du producteur au consommateur, les conditions d’un commerce de la banane durable, résilient et équitable.

Notre première aspiration est l’obtention d’un prix juste. Pour ce faire, nous plaidons pour la création d’un cadre, qui pourrait être un label public (comme pour l’agriculture biologique), qui s’inspirerait des meilleures pratiques du commerce équitable en permettant de garantir et financer l’adoption ou le respect des réglementations européennes ou tiers, notamment sociales et environnementales actuelles et futures (comme le pacte vert et sa stratégie de la ferme à la fourchette, la taxe carbone à la frontière, le salaire décent « méthode Anker », la diligence raisonnable des entreprises etc) au travers d’un prix juste, qui pourrait être un prix minimum FOT (« Free On Truck », c’est-à-dire à l’arrivée au port européen), comme il existe un prix minimum export en Équateur. Ce prix plancher serait fixé en concertation avec l’ensemble des parties prenantes, privés et publiques.

Au-delà, et particulièrement pour les lourds investissements de rupture, comme la diversification variétale ou la recherche et le développement autour de maladies comme la TR4 ou la cercosporiose, il y aurait lieu de définir et mettre en œuvre une « initiative banane durable », inspirée des succès de « l’initiative cacao durable » au niveau de l’UE comme des états-membres et déclinée pour répondre aux enjeux et aux défis particuliers du monde de la banane.

Enfin, tout particulièrement dans ce contexte d’attention renouvelé aux enjeux de la sécurité alimentaire et de renforcement de la résilience des chaînes d’approvisionnement, il apparaît nécessaire de consolider le système actuel de surveillance du marché pour les importations de fruits frais et périssables, en rendant ce système agile et proactif et non plus inertiel et réactif, en le pérennisant sous la forme d’un observatoire où tous les acteurs seraient représentés et qui pourrait aussi intégrer des indicateurs d’alerte avancés.

De cette manière, du producteur au consommateur, l’Europe bénéficierait de l’efficacité et la compétitivité de son marché ouvert, tout en créant un cadre permettant d’assurer la transition écologique et garantir sa sécurité alimentaire au moyen de chaînes d’approvisionnement résilientes.

Ce système de surveillance permettrait-il de prendre des mesures concrètes ?

Face aux chocs géopolitiques actuels et futurs et dans l’éventualité de perturbations durables et répétées de la stabilité du marché causées par des pratiques commerciales irresponsables, il sera sans doute nécessaire, dans l’intérêt de toutes les parties prenantes, de solliciter de la Commission européenne la mise en œuvre des mesures de sauvegarde. S’il semble qu’il y ait eu par le passé des réticences à utiliser ce type d’outils, la Commission, ainsi qu’elle l’a manifesté au travers de sa nouvelle politique de commerce internationale publiée l’année dernière, apparaît décidée à faire preuve de moins de naïveté et d’un plus grand réalisme dans la défense du marché unique et la situation actuelle offre, malheureusement, une bonne occasion pour voir les effets concrets de ce changement de doctrine. Cela nous paraît d’autant plus important qu’aujourd’hui les producteurs africains, qui sont d’importants exportateurs vers le marché européen avec près de 10% de parts de marché, ne disposent pas de recours commerciaux consacrés par des accords (autres que les pourvois devant l’OMC) et doivent passer par le canal des relations bilatérales entre états lorsqu’il s’agit de tirer la sonnette d’alarme sur la déstabilisation du marché.

Quelles pourraient être les conséquences d’une déstabilisation du secteur bananier africain ?

Si le secteur bananier africain venait à être déstabilisé suite à des pratiques irresponsables, la destruction de bassins d’emploi essentiels pour les jeunes travailleurs d’Afrique de l’Ouest et du Centre conduirait inévitablement à un exode rural et à de potentielles migrations vers des régions plus prospères comme l’Europe. A contrario, si des pratiques d’achat et de vente responsables sont assurées et appliquées, nous aurons une chance d’obtenir des prix équitables pour tous, assurant la rentabilité des entreprises et donc les moyens d’investir dans la transition écologique pour les producteurs. C’est pourquoi nous continuerons notre plaidoyer en faveur d’une chaîne de valeur de la banane juste et durable, comme nous avons eu récemment l’occasion de le faire lors de l’édition 2022 de Fruit Logistica. Chaque acteur de notre chaîne, du producteur à l’acheteur final et au consommateur, doit en responsabilité « faire sa part » et contribuer à l’évolution positive de notre secteur.

 

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