Oumar N’Diaye, FIRCA : comment réussir très rapidement la transformation structurelle agricole en Côte d’Ivoire et se détacher de nos marchés traditionnels

 Oumar N’Diaye, FIRCA : comment réussir très rapidement la transformation structurelle agricole en Côte d’Ivoire et se détacher de nos marchés traditionnels
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Les mutations en cours dans le milieu agricole sont profondes et sévères avec une multiplicité d’enjeux partout dans le monde. Oumar N’Diaye, directeur exécutif adjoint du Fonds interprofessionnel pour la recherche et le conseil agricoles (Firca) de Côte d’Ivoire, a livré à CommodAfrica son analyse à l’occasion du Salon international de l’agriculture (SIA) qui s’est tenu la semaine dernière à Paris.

CommodAfrica Nous sommes à des tournants majeurs. La guerre en Ukraine montre que l’autosuffisance alimentaire est l’affaire de tous. A ceci se greffent les questions des jeunes, de l’écologie, des prix ; l’étau se resserre sur l’huile de palme, le cacao, le travail des enfants, la déforestation, etc. Face à la multiplicité de ces enjeux, comment vous, Firca, déterminez-vous vos priorités par rapport aux politiques gouvernementales et aux réalités nationales, régionales et mondiales ?

Oumar N’Diaye : Le mode d’intervention du Firca repose justement sur l’identification des besoins provenant de la base. Ce sont les producteurs regroupés en interprofession qui nous font part de leurs besoins. Donc nous dressons un processus de planification avec chaque filière, ce qui permet d’élaborer un portefeuille de programmes de développement de la filière. Les besoins viennent de la base et nous, nous ne faisons que les traduire en projets et les suivre pour le compte des producteurs.

Cela vient de la base mais ça passe tout de même par le gouvernement avant de revenir vers vous ?

Nous essayons de nous assurer que ces besoins sont alignés aux priorités nationales et aux grandes lignes du Programme national d’investissement agricole (PNIA). Par exemple, si la Côte d’Ivoire lance le Programme national du développement du soja car cela fait partie des stratégies nationales pour améliorer la nutrition protéique des masses rurales, nous regardons les grandes lignes et faisons en sorte que nos actions se rapprochent de ces objectifs. On ne veut pas de programmes fantaisistes. Nos programmes ont pour boussole les programmes de développement nationaux.

Ce qui nous pose le plus de problème est l’arrimage au marché international et, plus près de nous, au marché régional. C’est ce que nous n’avons pas encore réussi à faire concrètement car on a souvent des produits sous la main qu’on ne peut pas vendre sur le marché européen alors qu’ils sont parfaitement éligibles au marché régional. Je prends l’exemple des restrictions sur l’ananas, sur la banane, sur la mangue qui sont souvent destinés au marché européen mais qui sont aussi très bien vendus sur le marché régional, au Niger, au Burkina, au Mali lorsqu’il n’y avait pas les sanctions.

Donc il faut réussir à mieux étudier les marchés où se trouvent les chaines de valeur les plus attractives et là où on peut avoir la valeur ajoutée la plus certaine. Souvent, on a des périodes de surproduction, notamment en matière de denrées alimentaires vivrières comme la tomate avec d’importantes pertes, sans parler de la banane, de l’oignon, etc.

De mon point de vue, une des solutions serait de réussir très rapidement la transformation structurelle de notre économie agricole orientée vers l’intensification et l’usage des technologies et des innovations comme la si bien réussi un pays comme les Pays-Bas. La Hollande n’a pratiquement pas d’agriculture mais la Hollande est championne du monde de la transformation agricole.

Vous évoquez un partenaire comme la Hollande mais avez-vous constaté ces dernières années une diversification de vos partenaires comme la Turquie, Les Emirats, la Chine car tout le monde se dit qu’il faudra produire des aliments quelque part et pourquoi pas en Côte d‘Ivoire ?

Les partenaires techniques, c’est certain. Tout le monde prend conscience qu’il faut élargir la base du partenariat et surtout des marchés. Mais il faut reconnaitre que c’est encore timide. Mais c’est à nous qu’il incombe de changer la donne. Quand je dis « nous », je parle des structures d’appui et de développement, les structures étatiques. Il s’agit de pouvoir mettre à la disposition des acteurs agricoles, des producteurs, le potentiel de ces différents marchés.

Par exemple, on peine à exporter de la mangue sur le marché européen à cause des restrictions à l’entrée alors que la mange est un fruit très prisé en Asie, aux Emirats arabes unis, à Dubaï, même dans les pays maghrébins : lorsque vous allez dans les hôtels 5 étoiles et que vous avez la mangue au petit déjeuner, c’est très apprécié. Or, sur ces marchés, il n’y a pas les mêmes restrictions que celles imposées en Europe. Il en est de même de l’ananas et de beaucoup d’autres produits comme l’anacarde, le karité. Malheureusement, l’industrie de transformation en Côte d‘Ivoire et en Afrique de l’Ouest francophone en général, est orientée principalement vers le marché européen. C’est une bonne chose mais ça nous fait perdre des poches de croissance et des opportunités sur les autres marchés. La profession agricole commence à prendre conscience de cela et on sent qu’il y a des efforts de diversification même si, à mon avis, ce n’est pas encore suffisant. Car on est trop attaché aux marchés traditionnels.

Aujourd’hui, une des raisons -peut-être pas la principale- de la flambée des cours sur le marché est due au fait que les produits que nous importons d’Europe sont de plus en plus chers parce que le trafic maritime est actuellement ralenti, avec la Covid. Un opérateur me disait hier qu’il n’y avait très peu de porte-conteneurs qui acceptaient la destination Afrique de l’Ouest car on n’a pas assez de trafic maritime entre l’Afrique et l’Asie, entre l’Afrique et l’Amérique, alors que, quotidiennement, nous avons du trafic avec l’Europe.

Dans le secteur de l’huile de palme, le prix sur le marché ivoirien a été gelé (Kouassi Constantin, AIPH : prix, Ukraine, jeunes, le malaise de la filière palmier à huile en Côte d’Ivoire) et les producteurs en pâtissent. Vous, institution de recherche et de vulgarisation, que faites-vous sur l’huile de palme ?

Tout d’abord, il faut souligner que les producteurs ne produisent pas à perte. Ce qui est exact c’est que les producteurs ne bénéficient pas totalement de l’embellie sur le marché international. En fait, ils auraient pu gagner encore mieux. C’est le premier point.

Le deuxième est que dans tous les pays, vous avez ce type de mesure. La bouteille d’huile de palme qui est actuellement plafonnée à FCFA 1000 mais qui coûte FCFA 1200 sur le marché, devrait en réalité, si on voulait laisser jouer le jeu du marché, coûter FCFA 3 000. Vous conviendrez que ce n’est pas supportable même pour les producteurs de palmier à huile eux-mêmes et encore davantage pour vous ou moi. Donc je ne dis pas que c’est normal de plafonner, je dis que c’est une régulation qui s’effectue dans tous les pays.

L’Indonésie qui produit tout de même 30 millions de tonnes d’huile de palme dont 80% est exporté, a décidé aussi de plafonner ses prix. Donc ce n’est pas la Côte d’Ivoire seule. La Malaisie, deuxième producteur mondial avec 20 millions de tonnes d’huile de palme, a décidé également de plafonner car les prix atteignaient des niveaux qui ne pouvaient pas être supportés. La Malaisie est en train d’en faire autant. Nous sommes dans un monde globalisé et il faut en ternir compte.

Ceci dit, ce qu’on peut demander c’est que lorsqu’on plafonne, il faut trouver des moyens de compenser par ailleurs les acteurs qui ne peuvent pas bénéficier du marché. Ce peut être par  l’abandon de certaines taxes, des subventions d’intrants, ou on peut convertir ce gain manqué en assurance indiciaire pour protéger leurs cultures ou constituer des mécanismes pour que, lorsque la situation s’inversera, c’est-à-dire lorsque le prix de l’huile sera extrêmement bas, le producteur soit garanti d’un revenu décent.

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