A Madagascar, le blanchiment du bois de rose déteint sur la vanille

 A Madagascar, le blanchiment du bois de rose déteint sur la vanille
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Le prix du kilo de vanille noire fendue de Madagascar, principal producteur et exportateur au monde, est passé de $ 65 FOB au début de la campagne 2014, en juin, à $ 140 actuellement. Il a plus que doublé… Certes, la récolte à Madagascar s'annonce plutôt faible cette année avec une qualité relativement médiocre. Mais la raison essentielle de la flambée des cours doit être cherchée ailleurs.

Du côté du bois de rose. A Madagascar, depuis 2010, il est interdit d'abattre et d'exporter cet arbre relativement dur, souvent centenaire, menacé d'extinction, mais dont le bois est tant prisé pour les travaux de marqueterie, notamment en Chine. L'association américaine de protection de l'environnement Missouri Botanical Garden a été une des premières à dénoncer ce trafic de bois précieux et un embargo international existe contre son commerce. Or, l'arbre se trouve à Madagascar dans les mêmes zones d'exploitation et de traitement que la vanille, notamment la zone dénommée Sava (Sambava-Antalaha-Vohemar-Andapa), une région retirée dans le Nord-Est du pays, peu accessible et donc peu contrôlée.

A ceci s'ajoute le fait qu'à Madagascar, la vanille n'est pas produite sur de grandes plantations, organisées, facilement contrôlables, du moins avec des interlocuteurs facilement identifiables. Dans la Grande île, la production de vanille se fait par plus de 80 000 petits paysans qui, chacun, fait quelques kilos de vanille. Ils sont peu organisés, pauvres et donc promptes à vendre au plus offrant.

L'arrivée des "indépendants"

C'est à partir de la récolte 2014, qui démarre en juillet, que de nouveaux acteurs sont nettement apparus dans la filière. Jusqu'alors il y avait des petits fermiers, des collecteurs plus ou moins importants et des exportateurs. En 2014 sont donc apparus des collecteurs "indépendants" dotés de moyens financiers importants leur permettant d'acheter des volumes conséquents de vanille et de les stocker, faisant grimper les prix. "La zone de collecte de la vanille étant la même que la zone de collecte du bois de rose", souligne un spécialiste basé aux Pays-Bas. "Les collecteurs ont commencé à dealer du bois de rose, à le revendre. Ils ont ainsi dégagé des liquidités relativement importantes qu'ils ont pu blanchir en achetant de la vanille, puisqu'ils se trouvaient dans la même zone. La vanille est un marché de niche sur lequel on trouve toujours un acquéreur."

En quelques mois, ces nouveaux opérateurs (pour des précisions, lire l'article de mediapart http://blogs.mediapart.fr/blog/philippe-divay/091014/dossiers-bois-de-ro…), au volant de 4×4 flambant neuf, proposait aux exportateurs jusqu'à 30 tonnes de vanille alors que, quelques mois auparavant, personne ne les connaissait dans la filière vanille. "Ce sont des gens qui ont deux ou trois millions de dollars en trésorerie et qui dament le pion aux circuits traditionnels." Ce qui fait flamber le marché de la vanille.

La dégradation de la qualité

Ce n'est, bien évidemment, pas la première fois que les prix s'envolent : entre 2002 et 2004, le kilo est passé de $ 30 à $ 400-450. Mais c'était lié à des phénomènes climatiques, un ouragan, un cyclone. Actuellement, rien de particulier ne justifie cette forte hausse et surtout sa rapidité, d'autant plus que la qualité ne cesse de se dégrader ces 5 dernières années.

Plusieurs raisons à cette baisse préoccupante de la qualité. Tout d'abord, la hâte de récolter. "A Madagascar, vous avez une floraison à partir de septembre, une récolte en juin, et des ventes qui s'étalent de juillet à décembre. Il y a donc une période de soudure qui est très longue, de janvier à mai, une période sans revenus. C'est pour ça qu'ils ne veulent pas attendre pour vendre", souligne notre expert.  En outre, tous les producteurs ont besoin de liquidités pour la fête nationale malgache, le 26 juin. D'où l'habitude de cueillir une grande partie des gousses, quelque soit leur degré de maturité.  

A ceci s'ajoutent les vols de gousse sur pied dont le nombre ne cesse de croître : les producteurs ne veulent donc pas attendre pour récolter. Parallèlement, en 2013, l'emballage dans des sacs plastique sous vide s'est généralisé, ce qui s'est avéré néfaste à la qualité.

A qui profite le crime ?

Certes, la flambée des prix profite au producteur : en 2012, il vendait son kilo de vanille verte aux alentours des $ 2; aujourd'hui, il en perçoit $ 20. L'exportateur, quant à lui, n'est en règle générale pas en capacité financière de suivre : à ces prix là, il ne peut pas acheter les volumes qu'il achetait auparavant car pour acheter, il faut avancer l'argent et les banques locales n'ont pas toujours renouvelé les lignes de crédit à hauteur de la hausse du prix de la vanille. Les intermédiaires "indépendants" cherchent, d'ailleurs, aujourd'hui à s'impliquer dans l'exportation. Car ils ont compris qu'ils devaient sécuriser leurs investissements et donc contrôler l'ensemble de la chaine.

Quant aux grands opérateurs internationaux, personne ne s'est réellement manifesté. " Les fournisseurs des grands groupes utilisateurs de vanille comme Nestlé, Coca Cola, Unilever, etc. ne peuvent pas ignorer la situation ne serait-ce parce que début 2014 un exportateur malgache a envoyé une lettre à tous les grands acteurs de la filière disant clairement qu'il y a de l'argent du bois de rose qui circule dans la filière de la vanille", souligne-t-on.

Quid du marché ?

Cette hausse des cours de la vanille va, sans aucun doute, stimuler la production mondiale. Celle-ci est attendue à 1700-1800 t cette année, Madagascar ayant annoncé produire 1200 t. La production indienne est attendue à 100-150 t, l'Ouganda 80 à 100 t, la Papouasie Nouvelle Guinée 50 à 80 t, le Vietnam environ 50 t.

A ces niveaux de prix, l'Inde recommence à récolter de façon significative. A noter que, ses coûts de production étant plus élevés qu'à Madagascar, le producteur indien ne récolte sa vanille que lorsque le prix de marché atteint $ 30 à 40 le kilo. Ceci lui est rendu possible car il n'est quasiment jamais en monoculture, contrairement à son homologue malgache. L'Inde qui, actuellement, achète de la vanille à Madagascar, l'achemine par avion pour être traitée en Inde car les opérateurs indiens estiment mieux traiter la gousse qu'à Madagascar et donc en tirer un plus grand bénéfice.

Ceci dit, les prix internationaux demeureront-ils élevés longtemps? Difficile à dire. Les niveaux actuels devraient logiquement conduire à une hausse de production et donc à une baisse des prix, ce à quoi aspirent les acheteurs. D'ores et déjà, certains grands groupes ont changé leur formule : ils sortent des produits avec des vanilles qui ont des taux de 1,3% de vanilline contre  1,6 à 1,8% auparavant. Certains ont rogné leurs marges et abandonnent la vanille naturelle pour de la vanille de synthèse bien que cela aille à contre-courant de la tendance actuelle au naturel, tous produits confondus.

Mais il n'est pas certain que cette correction de prix s'opère dès la saison prochaine car les observateurs du marché s'attendent à une année difficile. Il n'a pas fait beau à Madagascar, dans la Sava, ni en juillet ni en août, période durant laquelle on sèche habituellement la vanille au soleil. La qualité cette année pourrait donc en pâtir. Le corolaire est que cette pluie est favorable au développement précoce des lianes et des bourgeons. Il faut donc attendre le bilan de la floraison qui démarre ce mois-ci et dure jusqu'en décembre pour mieux évaluer la prochaine campagne. Mais, d'ore et déjà, on peut s'attendre à une récolte 2016 précoce, dès le mois de mai.

Un facteur de taille car aujourd'hui, étant donné le prix élevé de la vanille et la difficulté pour les exportateurs malgaches d'accéder aux financements nécessaires, les négociants internationaux doivent pré-financer, cash, leurs achats et donc demander à leurs propres clients des avances.

Bref, tout n'est pas rose au pays de la vanille….

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