Le français, obstacle au développement agricole en Côte d’Ivoire ?

 Le français, obstacle au développement agricole en Côte d’Ivoire ?
Partager vers

Il est important que les informations qu'on donne au monde agricole soient davantage en langues locales, a résumé hier Yoro Sangaré, consultant formateur en radio communautaire et ancien président de l'Union des radios de proximité (URPCI), à l'issue du débat  sur le thème "Pour qui écrit-on ?" dans le cadre du séminaire  qui se déroule actuellement à Abidjan sur le thème de la sensibilisation des étudiant journalistes et communicants aux questions agricoles, organisé conjointement par CommodAfrica et l'Institut des sciences et techniques de la communication (ISTC) (lire nos  infirmations).

Il existe actuellement en Côte d'Ivoire environ 150 radios communautaires qui, en définitive, accordent un temps d'antenne relativement faible à l'agriculture, a-t-il précisé.

Quels sont les obstacles auxquels sont confrontés les agriculteurs pour accéder à l'information ?

Je crois qu'un des défis majeurs est de faire en sorte que l'agriculteur ait accès à l'information qu'on veut lui faire passer, mais qu'il soit aussi à l'aise pour faire remonter ses revendications et ses besoins dans une langue qu'il maîtrise. Ainsi, il est important que les informations que l'on donne au monde agricole soient davantage en langue locale. Les radios de proximité sont outillées pour utiliser les langues locales, au-delà du français.

Les agriculteurs doivent comprendre ce qui leur est dit, avec des codes, des référents qui leur sont plus familier en lien avec leur culture. Ainsi, ils assimileront  et s'exprimeront plus facilement. S'ils sont face à un interlocuteur qui exige que la conversation se déroule dans la langue officielle, il y aura des blocages si leur niveau de langage est approximatif. Et on sait qu'aujourd'hui, la majorité des agriculteurs s'exprime mieux dans une langue locale qu'en français. Quand on les oblige à parler en français -car les émissions sont majoritairement en français –  plusieurs idées, plusieurs préoccupations ne sont alors pas évoquées ou qu'à demi mot. Il est donc important que la communication se fasse en langue locale.

La population agricole est actuellement vieillissante. Avec l'arrivée des jeunes, souvent plus alphabétisés que leurs aînés, le problème se pose-t-il dans les mêmes termes?

Je crois que cette question va , au contraire, se poser de plus en plus avec acuité et que son importance va se démontrer. Quelque soit le niveau de connaissances  d'une langue officielle, la plus grande maitrise de la langue maternelle,  de la langue locale, peut permettre d'être beaucoup plus à l'aise. De pouvoir communiquer, de pouvoir recevoir, de pouvoir appréhender.  Plus les jeunes seront aguerris aux techniques journalistiques, à la maîtrise du français, plus ils pourront utiliser leurs connaissances et les transmettre dans la langue locale pour l'ensemble de la population.

Le rajeunissement de la population n'est pas, pour moi, antinomique à l'utilisation de la langue locale. Car la maîtrise du français, la maîtrise des techniques journalistiques, sont indispensables et la connaissance et l'utilisation de la langue locale sont un outil. Cette langue locale ne se perdra pas. Elle ne doit, en tous cas, ne pas se perdre. Alors, autant lui donner la valeur qui lui convient.

Lors du séminaire, il a été évoqué les mouvements de population au sein de la Côte d'Ivoire, mais que les langues locales étaient vite apprises par les nouveaux arrivés. Qu'en dites-vous ?

C'est juste. Les populations qui se déplacent  et qui arrivent dans une nouvelle localité font, le plus souvent, l'effort de comprendre la langue dominante de la localité où elles se sont installées. Même si elles ne la parlent pas, bien souvent elles la comprennent.

Ainsi, dire que la Côte d'Ivoire a 60 ethnies et que, par conséquent, on ne pourrait pas faire comme dans des pays voisins où il y a une seule ethnie dominante, ne me semble exacte dans la mesure où, par définition, les radios locales ont un rayonnement local. Elles n'ont pas à faire avec les 60 ethnies de la Côte d'Ivoire. Il y a toujours dans la localité, une ethnie dominante.

Ceci dit, même si on veut aller sur la pluralité des ethnies, cela ne présente toujours pas de problèmes car, actuellement, que ce soit à la télévision nationale, à la radio nationale ou sur les radios locales, des informations ont données dans différentes langues. Seulement, ces informations sont sectaires, de type communautaires, ce sont des informations sociales. Si je suis Malinké ou Bété, on ne me donnera que des informations qui concernent la population Malinké ou Bété. Or, si je ne m'exprime qu'en Bété, cela me nie-t-il  le droit de savoir ce qui se passe dans l'actualité internationale, de savoir ce qui se passe en Afghanistan, en France, en Chine ou ailleurs dans ma langue et pas seulement en français que je ne comprends pas. 

Si on nous met tous au même niveau d'information, je crois que ça résoudra beaucoup de problèmes. Imaginez que, même au plan de la politique nationale, on fasse l'effort de mettre tous les citoyens au même niveau d'information, en donnant cette information dans leur langue qu'ils comprennent le mieux.  Je crois que cette différence réduirait déjà certaines s inégalités et nous permettraient de mieux comprendre.

Quand j'ai bien compris, je peux aussi m'exprimer davantage. Mais si je n'ai pas bien compris, ou même si je pense avoir bien compris mais qu'il faudra que je m'exprime dans une langue que je ne maîtrise pas, je suis obligée de chercher mes mots, peut-être édulcorer certaines idées, et ne pas m'exprimer totalement.

Par contre, si je suis à l'aise pour m'exprimer car j'ai bien compris, je pense que je peux alors bien faire ressortir mes attentes et mes besoins pour être mieux compris.

 

Autres Articles

Leave a Reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *