Guillaume Estager : la production d’énergie en Afrique freinée par la faiblesse des réseaux de transport et de distribution

 Guillaume Estager : la production d’énergie en Afrique freinée par la faiblesse des réseaux de transport et de distribution
Partager vers

A quelques mois de la 27è Conférence des Nations Unies sur le changement climatique (COP27), qui se tiendra du 7 au 18 novembre à Charm el-Cheikh en Egypte, le cabinet français de conseil spécialisé dans les secteurs de l’énergie et des infrastructures en Afrique Philae Advisory et Jeune Afrique Media publient un rapport intitulé « Finance climat : six recommandations clés pour la croissance africaine ». Fruit d’une série d’entretiens avec les principaux décideurs du secteur et d’analyses d’études de cas de référence, le rapport propose une feuille de route vers la transition énergétique du continent.

 

Dans un entretien avec CommodAfrica, Guillaume Estager souligne, tout d’abord, que trop peu de projets arrivent sur le marché avec un niveau de maturité et un équilibre des risques acceptables ; il faut donc travailler à une meilleure structuration des projets. Il faut aussi inciter les investisseurs à s’intéresser au stockage de l’énergie  et à développer des sources alternatives comme l’hydrogène destinée, dans un premier temps, à l’exportation vers l’Europe dont la demande sera croissante.

Quant au rôle que peut jouer l’agriculture dans la production d’énergie en Afrique, Guillaume Estager le perçoit davantage sous une approche opportuniste dans le cadre d’une intégration d’une chaine de valeur et dans le recyclage de ses déchets agricoles, l’agriculture étant destinée avant tout en Afrique à répondre à ses besoins alimentaires.

 

 

CommodAfrica : On parle beaucoup de climat et de finances depuis déjà pas mal de temps au regard de l’Afrique, et cela monte en puissance. Alors qu’apporte de nouveau votre étude ?

Guillaume Estager : Je pense déjà qu’il y a une prise de conscience qui a évolué avec la COP 26 et la COP 27 qui va se tenir en Egypte et qui va remettre l’Afrique au centre de l’équation.

Ce rapport apporte une lumière à la fois actualisée et plus générale des problématiques. L’on voit que le sujet du financement reste un thème important mais que le faible nombre de projets finançables par le secteur privé reste un des principaux facteurs de blocage. Les besoins sont là, cela ne fait aucun doute mais l’accès à l’électricité a relativement peu évolué ces dernières années. Pour vous donner un exemple, il y a davantage de personnes qui n’ont pas accès à l’électricité sur le continent africain en 2022 par rapport à l’année 2000. C’est une question fondamentale.

Donc il est important de s’interroger là-dessus. Que peut-on faire de plus que d’apporter de nouveaux financements ?

CommodAfrica : Le besoin de financements plus importants, la nécessité du recours au secteur privé sont des objectifs que l’on entend depuis plusieurs années déjà. Le côté très innovant de votre étude ne reposerait-il pas sur l’identification des points de blocage dans la chaîne comme, par exemple, la faiblesse du stockage de l’électricité ? En réalité, votre propos veut-il plus mettre l’accent sur qui et combien on finance ou ce qu’on finance ?

Guillaume Estager : C’est un peu les deux. Notre propos est de dire que si on veut résoudre ce problème d’accès à l’électricité, il faut travailler à une meilleure structuration des projets, c’est-à-dire être capable d’apporter au marché des projets dont l’allocation des risques est équilibrée, et qui, de ce fait, seront attractifs pour des investisseurs privés, les projets doivent être plus dérisqués. Actuellement, on voit trop peu de projets qui arrivent sur le marché avec un niveau de maturité et un équilibre des risques acceptables. Les institutions financières internationales ont un rôle important à jouer dans le financement d’assistances techniques auprès des gouvernements pour accompagner une montée en puissance de nouveaux acteurs privés qui, aujourd’hui, sont encore trop peu nombreux.

Ensuite, sur le « comment », il y a plusieurs éléments. Il y a la partie « hors réseau » avec deux sous-parties, les mini-grids d’un côté (production et la distribution d’électricité décentralisée à partir d’énergies majoritairement renouvelables), et, deuxième élément de ce hors réseau, est ce que l’on appelle les « kits solaires domestiques ».

On note que l’amélioration de l’accès à l’électricité repose de façon très importante sur ce hors réseau. Or, ce sujet est encore mal adressé d’un point de vue règlementaire et aussi d’un point de vue financier dans le sens où ce sont des modes de production qui n’ont pas encore trouvé un équilibre économique naturel et qui donc reposent sur des subventions. Il y a un besoin d’accroitre les subventions publiques provenant majoritairement d’organisations internationales.

Ensuite, il y a le sujet du réseau. On a vu sur le continent africain une augmentation des capacités de production. Ce n’est pas encore suffisant mais on voit maintenant des goulots d’étranglement qui émergent dans de nombreux pays- au Kenya, au Ghana ou encore au Sénégal- où cette production d’électricité n’arrive plus à progresser maintenant de par la faiblesse des réseaux de transport et de distribution. Donc il y a besoin d’adresser ce goulot d’étranglement par des investissements sur les réseaux de transport et de distribution mais aussi dans le stockage d’électricité, dans le but de rééquilibrer ces réseaux et de pouvoir augmenter la pénétration des énergies renouvelables.

CommodAfrica : S’agissant du stockage, existe-t-il des solutions miracles ?

Guillaume Estager : La problématique n’est pas tant technologique. Le sujet est davantage sur la mise en place d’un contexte réglementaire adéquat pour permettre à des investisseurs privés de se positionner sur le stockage de l’énergie.

Concrètement, sur la règlementation, il faut déjà reconnaitre la pertinence de cette technologie : le stockage va permettre d’augmenter la qualité de la fourniture d’électricité et permettra la pénétration de renouvelable mais ne va pas directement augmenter la production d’électricité. Donc il est essentiel de considérer que cet aspect qualitatif est important et qu’il a un prix. D’où l’importance de prévoir une juste rémunération de ces capacités de stockage sur le marché, ce qui est très rarement le cas aujourd’hui, hormis quelques projets en Afrique du Sud. Mais en Afrique sub-saharienne, les autorités ont encore du mal à mettre un prix sur cet aspect qualitatif apporté par le stockage.

CommodAfrica : Donc vous estimez que le problème s’est déplacé ces dernières années, qu’on a fait un gros effort sur la production et que maintenant on est plutôt sur des problèmes d’aval ?

Guillaume Estager : Oui, d’aval s’agissant de la transmission et de la distribution. Le stockage est une réponse -plus généralement le transport et la distribution. Mais il s‘agit aussi de se concentrer sur tout ce qui est hors réseau et qui va permettre d’adresser le problème d’accès à l’électricité.

CommodAfrica : Dans le rapport, vous évoquer l’hydrogène. Vous préconisez une montée en puissance sur ce segment ?

Guillaume Estager : Il y a deux sujets autour de l’hydrogène : la production et l’utilisation. Nous disons que l’Afrique, de par sa disponibilité foncière, son ensoleillement extrêmement élevé dans certaines régions, son potentiel éolien, mais aussi de par la proximité avec l’Europe surtout s’agissant de l’Afrique du Nord, l’Afrique a la possibilité d’être un acteur extrêmement compétitif sur la production d’hydrogène dans le but de faire face à une demande qui va être exponentielle en Europe.

CommodAfrica : Donc ce serait une production destinée à l’exportation ?

Guillaume Estager : Oui, on est principalement sur un sujet exportation mais qui aura un impact positif dans les pays africains en termes de revenus et en termes de capacité aussi à accélérer une transition vers l’hydrogène. Mais le sujet aujourd’hui n’est pas tant l’utilisation directe de l’hydrogène sur le continent africain. On peut l’imaginer pour quelques industries fortement consommatrice d’électricité mais le but essentiel restera l’exportation.

CommodAfrica : Pourquoi l’Afrique ne pourrait-elle pas consommer son hydrogène ? Pourquoi se repositionnerait-elle encore sur un schéma à l’export ?

Guillaume Estager : Ce n’est pas se « remettre » dans un schéma à l’export : il s’agit de capitaliser sur des avantages concurrentiels. Il y a un intérêt pour le continent africain. Mais lorsque vous regardez les utilisations potentielles de l’hydrogène, elles sont pour des industries lourdes, des transports lourds par bateau ou très gros camions. Ce sont les principales utilisations.

Donc, en termes de besoins, le continent africain aujourd’hui a peu de besoins qui sont potentiellement consommateurs d’hydrogène. Cela ne veut pas dire qu’il faut le négliger mais cela veut dire que l’opportunité de marché, aujourd’hui, est surtout à l’export.

CommodAfrica : Quelles contributions pourraient avoir l’agriculture et l’agro-industrie -déchets, produits dérivés, etc- pour la production mais aussi la distribution d’énergie ?

Guillaume Estager : L’agriculture peut avoir un rôle important en particulier sur le segment des déchets pour produire du biométhane par exemple et il existe des projets sur le continent. Lorsque vous regardez les différents scénarios de production d’électricité, dans quelle mesure le biométhane sera-elle une source importante d’énergie et d’électricité ? Je doute que cela devienne important. Après, il est important d’avoir une approche opportuniste qui peut faire du sens dans le cadre d’une intégration d’une chaine de valeur et dans le recyclage de ses déchets agricoles.

Donc il faut regarder ces opportunités. Mais est-ce quelque chose de majeur ? Non, je ne pense pas.

CommodAfrica : Mais lorsque vous regardez des pays comme le Brésil depuis longtemps et plus récemment l’inde et d’autres pays, on voit l’importance des produits agricoles dérivés dans la fabrication d’énergies… Pourquoi ne pas concevoir ceci pour l’Afrique ?

Guillaume Estager : Comme vous le savez, la problématique essentielle du continent africain est l’autosuffisance alimentaire. La production agricole doit aller, en priorité, à la satisfaction des besoins primaires du continent. Y a-t-il la possibilité d’industrialiser l’utilisation de produits agricoles dans un objectif de production d’énergie à grande échelle comme au Brésil, j’en doute.

Autres Articles

Leave a Reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *