Bachir Diop : le tracteur, nouvelle force de frappe pour accélérer les semis de coton

 Bachir Diop : le tracteur, nouvelle force de frappe pour accélérer les semis de coton
Partager vers

La Société de développement et des fibres textiles du Sénégal (Sodefitex) a lancé cette année une  expérience de prestation de services de travaux agricoles motorisés au profit des exploitations agricoles familiales du tiers sud du Sénégal tout en poursuivant son plan de diversification des cultures associées au coton, maïs, riz et arachide. Une année d’apprentissage mais déjà riche d’enseignements et de résultats.

Entretien avec Bachir Diop, directeur général de la Sodefitex, réalisé  par CommodAfrica à Barcelone lors de la réunion de l’Association française cotonnère (Afcot) le 7 octobre dernier. 

Vous venez de  démarrer la motorisation des exploitations agricoles. Pourquoi ?

En 2016, nous avons démarré nos prestations de services de travaux agricoles motorisés pour les petits agriculteurs qui ne peuvent pas acquérir ni rentabiliser un tracteur et ses équipements. Ces prestations  sont proposées à crédit et à prix coûtant. La principale composante du rendement agronomique au Sénégal est la date de semis. Plus on sème tôt plus on est susceptible d’obtenir de bons rendements, donc des revenus élevés. En début de saison des pluies, les effets combinés de l’anticyclone des Acores (qui bloque les rentrées de mousson sur la côte) d’une part et de la dépression saharienne (qui aspire  le Front Inter Tropical et la mousson vers le Nord à l’intérieur du continent) d’autre part ont comme conséquence un démarrage tardif des pluies et une saison culturale plus courte dans la zone cotonnière sénégalaise située aux conf

ins nord-ouest du bassin cotonnier ouest africain. Dans les autres régions cotonnières d’Afrique de l’Ouest, situées au sud-est de la zone cotonnière sénégalaise, la saison pluvieuse est plus précoce et plus longue.

Au Sénégal, les semis tardifs, conséquences de nos conditions agro météorologiques spécifiques, sont le principal obstacle à la réalisation des plans de campagne et à l’amélioration de la productivité et de la qualité.  Il est donc primordial d’augmenter significativement la vitesse de semis en mettant en œuvre une « force de frappe » conséquente. On estime à seulement 1% les agriculteurs qui peuvent rentabiliser un tracteur compte tenu de la superficie de leurs exploitations. Pour faire face à cette contrainte majeure, la Sodefitex a conçu et proposé aux Exploitations agricoles familiales (EAF) en contrat avec elle la solution  « Motorisation des opérations culturales », principalement du semis et de la fertilisation. 

La culture attelée qui avait permis d’accroitre la vitesse de semis par rapport aux semis manuels, d’atteindre des rendements moyens autour de 1,2 tonne à l’hectare et de faire face aux sécheresses des années 70/80, a atteint ses limites du fait de la récurrence de conditions agro météorologiques de plus en plus difficiles et erratiques, notamment en début d’hivernage. Par exemple cette année, nous n’avons pas eu de pluies au mois de juin,  suivi de dix jours secs en juillet. Or, nous préconisons pour que le cotonnier arrive à boucler son cycle, qu’on arrête les semis au plus tard le 20 juillet. Cela veut dire qu’il restait dix jours pour semer son plan de campagne, ce qui est quasiment impossible sans tracteur, quand on sait qu’un semoir attelé derrière un âne ou un cheval ne peut semer en une journée au mieux qu’1, 5 hectare alors qu’un tracteur avec un semoir à quatre rangs réalise entre 7 et 10 ha par jour en combinant semis et fertilisation».

Comment s’est déroulée l’introduction du tracteur ? 

Nous avons placé l’année 2016 sous le signe de l’apprentissage et de la pose des fondations d’un dispositif solide pour réaliser des prestations de travaux agricoles motorisés durables et efficaces au service des EAF. Pour cette première année d’apprentissage, la nature nous a placés, pour parler comme les banquiers, dans une  situation de « stress test » ou nous avons éprouvé nos hypothèses et la capacité de résistance de notre dispositif opérationnel dans des conditions extrêmes. Nous avons décidé de ne réaliser de prestations « semis- fertilisation » que pour 5% des surfaces de coton, malgré la très forte demande en restant fermes sur les préalables techniques : parcelles essouchées d’au moins 10 ha, pas de labour sans amendement organique, semis combinés à la fertilisation minérale.  Nous avons pu mesurer l’efficacité du système : nous avons pu semer beaucoup plus vite et beaucoup mieux. Parmi les fondations posées, la plus fondamentale est la formation. Nous avons formé avec l’appui de notre société mère Géocoton un agro-machiniste chef du service Machinisme agricole durable, 6 mécaniciens des garages de la Sodefitex, une vingtaine de conducteurs de tracteurs et 13 techniciens agricoles des secteurs Sodefitex. Nous avons acquis le matériel, les pièces détachées et nous avons résolu nombre de problèmes logistiques. La puissance logistique du dispositif de transport du coton graine et des intrants agricoles a été mise au service de l’opération.

Les agriculteurs ont-il été très réactifs ou avez-vous du les convaincre ? 

Les agriculteurs voulaient poursuivre leurs pratiques habituelles avec une intervention dispersée du tracteur sur 0,5 hectares par ci, 0,5 hectares par là. Ce n’est pas efficace, ni rentable. Si l’objectif central est d’accélérer les semis, il faut le regroupement des parcelles en blocs de culture. Nous avons mis le seuil d’intervention du tracteur à 10 hectares. Un vrai bras de fer, amical, en toute complicité s’est alors engagé, les agriculteurs souhaitant acquérir les prestations de service motorisées sans déranger leurs habitudes séculaires. Mais finalement nous y sommes arrivés, et la plupart des agriculteurs en contrat avec la Sodefitex  conviennent que le regroupement des parcelles est un impératif pour la modernisation des EAF et plus généralement de l’agriculture. Nous sommes sûrs que l’année prochaine, nous aurons un fort mouvement de regroupement des parcelles. Sur le plan agronomique, les impacts ont été  très intéressants, cela va nous permettre de mettre en œuvre des rotations agronomiquement équilibrées, de gérer le parasitisme de façon plus efficace, d’apporter un conseil agricole plus opérant et de lutter contre le trafic des intrants. Cela change le système de production dans le sens de sa modernisation.

Nous avons ainsi semé et fertilisé simultanément 835 hectares, c’est peu mais très significatif pour apprendre. L’année prochaine nous serons beaucoup plus efficaces et performants.

Nous pensions que nous pouvions semer 10 hectares en une journée, nous n’avons pas pu atteindre cet objectif en raison de pannes, de temps de transport, de réglages. Nous avons réalisé entre 5-7 hectares par jour mais c’est tout de même 5 fois plus qu’en culture attelée. Autre avantage, nous faisons une opération semi-fertilisation simultanée alors qu’il y a généralement en culture attelée plus de dix jours entre la levée et la fertilisation. La combinaison des deux accroît les rendements agronomiques. La Sodefitex a exigé que pour un hectare labouré, les agriculteurs épandent au minimum 4 tonnes de fumier. C’est déterminant car la fertilité des sols tropicaux est déterminée par le taux de matière organique.

Le tracteur est-il utilisé sur d’autres cultures que le coton ? 

La flotte d’une vingtaine de tracteurs de la Sodefitex ne sert pas uniquement à la culture du coton, loin s’en faut. Nous faisons des prestations de labour dans les rizières en bas-fonds au mois de mai, dans la région de Kédougou, la plus humide, avant qu’elles ne soient inondées (près de 400 ha de rizières labourées). Ensuite nous passons aux semis du coton qu’il  faut semer plus tôt car son cycle est plus long. Enfin nous passons au maïs. Durant la saison d’égrenage, le tracteur est aussi dans les usines pour manutentionner les conteneurs de coton-graine.

Pouvez-vous déjà tirer un premier bilan de l’opération ? 

Pour les agriculteurs, le tracteur était réservé au labour et il est maintenant considéré comme un accélérateur des semis et de la fertilisation. Nous nous inscrivons dans une perspective de prestation de service de travaux agricoles motorisés durables. Avant, seulement 1 à 2% des agriculteurs pouvaient accéder à la motorisation, maintenant tous les petits agriculteurs pourront passer à la motorisation à condition qu’ils se regroupent pour avoir au moins dix hectares. Idéalement, nous voudrions atteindre 25 hectares par bloc l’année prochaine. Les nouveaux semis sont uniformes, les densités sont excellentes 90 000 à 110 000 pieds à la levée, la croissance des plants est satisfaisante l’effet de la fertilisation est bien visible, les quantités de semences utilisées sont optimisées (12kg/ha au lieu de 16 en culture attelée).

 

Autres Articles

Leave a Reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *