Pourquoi le café Arabusta de Côte d’Ivoire n’a-t-il pas percé à ce jour ?

 Pourquoi le café Arabusta de Côte d’Ivoire n’a-t-il pas percé à ce jour ?
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CommodAfrica poursuit son reportage sur le café en Côte d’Ivoire en faisant un zoom sur l’Arabusta grâce à l’analyse de Hyacinthe Legnate, chef du  Programme de recherche café-cacao au Centre national de recherche agronomique (CNRA) de Côte d’Ivoire. Un café mal connu mais à fort potentiel notamment sur le segment des marchés de niche. Toutefois, sa culture est plus contraignante que celle du Robusta. Entretien.

 

L’Arabusta est en train de se redévelopper en Côte d’Ivoire. Mais, au préalable, qu’est-ce que l’Arabusta ?

L’Arabusta est un café issu d’un croisement entre les caféiers Arabica et le Robusta. L’Arabusta est produit en Côte d’Ivoire et dans d’autres pays, notamment au Cameroun. Mais dans ces pays, l’Arabusta n’est pas perçu comme un café de très bonne qualité, alors qu’en Côte d’Ivoire -où on ne produit que du Robusta- l’Arabusta, qui lie les qualités de l’Arabica et du Robusta, est un café d’une qualité supérieure en matière de goût par rapport au Robusta classique.

Quand la Côte d’Ivoire a-t-elle développé l’Arabusta ?

La création de l’Arabusta remonte aux années 70 à 80. Mais il n’y a pas eu beaucoup de promotion autour de ce type de café car tout ce qui concernait le mode de conduite de l’Arabusta a été calqué sur le Robusta, que ce soit les densités de plantation, les niveaux de productivité qu’on comparait directement au Robusta, etc. Par exemple, les premières variétés d’Arabusta produisaient 800 à 900 kg à l’hectare (ha) de café marchand alors que les mêmes variétés de Robusta étaient autour de 2 000 à 2 500 kg/ha. Donc, l’Arabusta n’a pas été directement promu du fait de cette faible productivité et tout ceci a joué en défaveur de l’Arabusta

D’un autre côté, l’Arabusta présente un bois qui est très tendre, le préféré des insectes tels que les foreurs de tiges. Donc il est très attaqué par ces foreurs comparativement au Robusta qui est un bois dur, avec beaucoup plus de lignine ; les foreurs de tiges n’en sont guère friands.

Donc tout ceci fait que l’Arabusta n’a pas véritablement été promu en tant que nouvelle source de café en Côte d’Ivoire. Et ce n’est que depuis 2013 que la Côte d’Ivoire déploie beaucoup d’efforts en faveur de l’Arabusta dans les zones où la production est possible.

Pourquoi 2013 ?

Parce que pendant longtemps la Côte d’Ivoire a été le premier producteur de café sur le continent africain. Vers la fin des années 80, sa production tournait autour de 300 000 à 320 000 t de café marchand par an. Depuis, et jusqu’à la fin des années 2010, la production a considérablement chuté pour se retrouver autour des 100 000 t. Mais depuis 2013, la Côte d’Ivoire a décidé de relancer sa production de café. Dans ce cadre, il soutient l’accroissement de la production de Robusta mais également la valorisation  des spécificités d’autres cafés qui existent en Côte d’Ivoire, dont l’Arabusta.

Quelles autres variétés de café existent en Côte d’Ivoire ?

En dehors du Robusta, il y a des cafés qui font partie de nos collections à la station du Centre national de recherche agricole (CNRA) à Divo qui n’ont jamais été valorisés. Ainsi, avant les années 30, un autre café était produit en Côte d’Ivoire -l’Ibérica- qui est connu comme un café de très bonne qualitésmais qu’on ne produit plus parce qu’il a été très impacté par la maladie de la trachéomycose. Mais aujourd’hui, la maladie a disparu en Côte d’Ivoire et on peut valablement reprendre la production de ce Robusta sous certaines conditions. Ce café existe dans nos collections.

Donc il existe d’autres sources de café possibles que la Côte d’Ivoire peut valoriser à la faveur de ce projet de relance caféière.

S’agissant de l’Arabusta, qu’est-il fait aujourd’hui concrètement pour développer sa production ?

La première activité que nous avons déployée est d’installer, dans trois zones pilotes, des parcelles d’Arabusta en guise de démonstration en milieu réel. C’est-à-dire qu’auprès des planteurs, nous créons des parcelles d’environ un hectare et nous amenons ses planteurs à s’accaparer l’itinéraire technique propre à l’Arabusta. Car, à la fin de cette expérimentation, le Conseil du café- cacao (CCC) nous demande à nous, CNRA,  de sortir un coût de production de l’Arabusta comparé au Robusta qui, lui, est connu.  Ce coût de production est, d’ailleurs, pris en compte dans la fixation du prix du café Robusta au planteur. Mais, à ce jour, il n’existe pas de comparaison au niveau de l’Arabusta.

Donc l’Etat nous demande de mener cette expérimentation, tout en formant les producteurs à maitriser l’itinéraire technique propre à l’Arabusta.

Quand devraient sortir les premières productions ?

Elles sont attendues cette année, en 2019. On en aura pour quatre ans environ car sur le café , la première production est assez faible, et c’est à partir de la deuxième et troisième production qu’on atteint une vitesse de croisière. Après, on entrera dans la phase de décroissance. Ainsi, il faut compter autour de 5 à 6 ans pour les parcelles qui ont été créées et ce sera la fin du premier cycle de production. Après, je pense que les données qui auront été collectées permettront de sortir ce coût de production que j’évoquais à l’instant et qui sera un élément indicateur pour le CCC pour fixer un prix rémunérateur au planteur.

Quelles sont les trois zones de production pilote ?

Les zones retenues sont la zone de Divo, tout d’abord parce que c’est là où se trouve la station de recherche sur l’Arabusta mais aussi car, à côté de cette station, se trouve une zone de montagne où des expérimentations antérieures ont démontré que l’Arabusta avait une productivité améliorée en altitude.

La deuxième zone choisie est celle de Daloa. Actuellement, c’est la plus grande région de production de café de la Côte d’Ivoire ; elle représente 19 à 20% de la production nationale. Cette zone est intéressante car les niveaux de pluies sont assez importants et l’Arabusta est assez exigeant en eau par rapport au Robusta.

La troisième est la région de Man qui est semi-montagneuse. Donc, naturellement, elle a été retenue puisque l’Arabusta a une productivité améliorée avec l’altitude.

Avez-vous envisagé l’irrigation pour l’Arabusta  ?

Nous avons une station à Soubré que nous appelons le Cedar, le Centre d’études et de développement de l’Arabusta, et où on avait, à l’époque, envisagé d’irriguer les parcelles de café, notamment d’Arabusta. Ce projet a été mis en veilleuse mais n’a pas été totalement abandonné. Et je pense que, à la faveur d’installation de systèmes d’irrigation pour d’autres cultures, il est donc prévu de prendre en compte la dimension Arabusta. Ainsi, toutes les parcelles pilotes qui ont été créées au Cedar pour examiner en quoi l’irrigation peut apporter une amélioration conséquente à la production seront intéressantes.

Vous avez dit qu’on ne connaissait pas encore les coûts de production de l’Arabusta mais à combien se chiffrent-ils pour le Robusta ?

Selon les calculs des économistes, nous tournons autour de FCFA 500 à 600 le kilo car la productivité en milieu réel du Robusta est autour de 250 à 300 kg de café marchand à l’hectare, ce qui doit être comparé aux niveaux atteints en station de recherche où nous faisons presque dix fois plus. Nous sommes au minimum à 2500 kg/ha.

Cette différence est due à plusieurs facteurs notamment la non-maitrise ou la non utilisation des itinéraires techniques préconisées par la recherche comme les recépages, les apports d’engrais, etc. Ce n’est pas dans les habitudes paysannes et ils ne les appliquent quasiment jamais.

Par habitude ou à cause du coût ?

Les deux. Depuis les années 80, le prix du café n’est pas incitatif. Il faut reconnaitre la volonté des autorités actuelles d’essayer de promouvoir la culture du café et les prix ont été relevés. Mais des années 80 à récemment, ils n’étaient vraiment pas incitatifs.

Actuellement, le prix garanti minimum du café est à FCFA 700.….

Oui. Pendant longtemps, il n’y avait vraiment pas de marge donc les paysans trouvaient plus intéressants de s’adonner à des cultures comme le cacao, l’hévéa, le palmier à huile. Des zones entières précédemment reconnues comme des zoens de café ont été reconverties en d’autres cultures.

L’intérêt de développer l’Arabusta découle de ce que vous estimez qu’il existe, potentiellement, des marchés à l’export plus intéressants ? Qu’il pourrait se différencier et constituer un marché de niche ?

La production d’Arabusta vise des marchés de niche ! On connait la segmentation aujourd’hui du marché du Robusta de façon générale mais des cafés, avec leurs spécificités, trouvent des créneaux porteurs. La Côte d’Ivoire veut faire de l’Arabusta un café spécifique Côte d’Ivoire, à destination d’un marché particulier.

Au niveau gustatif, quelles sont les particularités de l’Arabusta ?

Commençons par le Robusta : c’est un café fort, assez corsé et qui n’a pas beaucoup d’arôme. L’Arabusta a ceci d’avantageux qu’il a pris l’arôme de l’Arabica ;  c’est aussi un café peu riche en caféine par rapport au Robusta. Egalement, du point de vue technologique, il a de très gros grains, ce qui est un avantage pour les usiniers. Ce sont les trois grandes qualités de l’Arabusta par rapport au Robusta.

Quelle est la production actuelle de l’Arabusta en Côte d’Ivoire ?

Ce n’est que maintenant que des parcelles ont été installées à échelle un peu importante, en milieu réel. Les productions qui ont été faites à gauche et à droite, jusqu’à maintenant, sont des productions marginales.

L’Arabusta est-il une marque déposée par la Côte d’Ivoire ?

Non, je ne pense pas que la Côte d’Ivoire l’ait déposée.

Pour conclure, l’Arabusta est un pari gagné sur la qualité par rapport au Robusta. Mais on n’en fait pas assez la promotion car tout  le monde a à l’esprit la productivité du Robusta et on veut calquer totalement l’Arabusta sur le Robusta. Or, l’Arabusta est un produit totalement nouveau, différent. Il faut le promouvoir tel quel, lui donner ses chances.

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