D. Malézieux , Cie Fruitière en Côte d’Ivoire : Le marché de la banane souffre peu du Covid-19 mais l’ananas, oui !

 D. Malézieux , Cie Fruitière en Côte d’Ivoire : Le marché de la banane souffre peu du Covid-19 mais l’ananas, oui !
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Quel est l’impact de la pandémie du Covid-9 sur les plantations de bananes et d’ananas de Côte d’Ivoire et sur les marchés de destination ?  Dominique Malézieux, directeur général de la Société d’études et de développement de la culture bananière (SCB), filiale ivoirienne de la Compagnie fruitière, donne son éclairage à CommodAfrica. 

Quel est l’impact de la crise liée au coronavirus sur vos activités banane et ananas tant au plan international que régional et local ?

Au niveau de la Compagnie Fruitière, nous avons mis en place des gestes barrières dans les plantations, que ce soit le lavage des mains, le respect des distances, le port du masque obligatoire depuis mardi, la séparation sur les postes de travail, entre autres.

Vous avez des masques en quantités suffisantes ?

Oui, la semaine dernière nous avons distribué des masques et le port du masque est obligatoire depuis mardi. Dans tous les cas, nous avons isolé l’ensemble de nos plantations avec un seul accès d’entrée et un seul lieu de passage et là, on fait le lavage des mains, on désinfecte les voitures notamment l’intérieur que ce soit les camions, les conteneurs ou les véhicules pour le transport du personnel. On oblige les gens à porter leur masque et à désinfecter leurs mains à tout moment et dans plusieurs lieux dans les plantations.

On a un service médical en alerte avec un dispositif de formation, c’est-à-dire que les écoles étant fermées, les enseignants ou les soignants sont des référents, les gens qui s’occupent de la RSE, et ils vont aujourd’hui dans les plantations mais aussi dans les villages alentours ou à proximité pour expliquer les gestes barrières. Car c’est important que tout l’entourage pratique ces gestes barrières. Il y a un très grand travail de prévention fait par nos équipes avec les populations et c’est sérieux car ces populations ont déjà connu Ebola et elles savent ce qu’est une pandémie, et la maladie elles la côtoient chaque jour.

Aujourd’hui, les chiffres de la pandémie progressent mais moins vite qu’ailleurs, si on se compare à l’Europe. Il n’y a pas de comparaison possible entre la progression en Côte d’Ivoire – peu importe si on a des vrais ou faux chiffres car ce qui est important c’est de démarrer d’une base zéro. On a très peu de décès pour l’instant. Mais peut-être avons-nous du retard sur la pandémie.

Aujourd’hui, on a eu à confiner une partie de nos encadrants sur plantation car on part du principe que si la maladie vient, elle viendra d’Abidjan vers la plantation. On fait donc très attention à la circulation de nos équipes et on fait un très gros travail de prévention auprès de nos chauffeurs, de nos ouvriers et de notre encadrement au quotidien.

Y a-t-il eu des interruptions de travail ?

Non. Nous avons fait un gros travail dès le départ ; on a même fait un journal interne spécial coronavirus qu’on diffuse partout, avec des messages. Ce sont les gestes barrières qui éviteront la propagation. Si jamais j’avais un cas -ce qui n’est pas le cas aujourd’hui- on désinfecterait les locaux, les postes de travail, la maison de la personne et nous prendrions toutes les autres précautions nécessaires.

Car aujourd’hui, pour revenir à l’activité, nous n’avons pas de mal à commercialiser les bananes. Les bananes sont un produit d’appel dans les grandes surfaces en Europe. Alors, il faut qu’on incite les consommateurs européens à manger la banane africaine. Mais heureusement que tout se passe bien, car si on n’envoyait plus de bananes en Europe, ce serait dramatique : il y aurait 10 000 chômeurs ici.

Au niveau des ports, tout se passe bien ?

Au niveau des ports, il y a eu un gros travail qui a été fait au niveau du quai fruitier notamment. On a même parlé de confinement sur huit jours des dockers pour éviter la propagation. Mais aujourd’hui, les équipages ne descendent plus des bateaux, il y a de vrais gestes barrières à tout endroit, on désinfecte régulièrement l’ensemble des bâtiments, des bureaux, des outils et de tous les moyens de locomotion. Il n’y a pas de contact entre les équipages et le personnel à terre.

C’est propre au quai fruitier ou c’est partout au port d’Abidjan ?

Je parle du quai fruitier car c’est celui que je connais.

Sur le quai fruitier, pour mettre en place tout cela, il n’y a pas eu de retard, d’interruption d’activité ?

Non, parce que le lavage des mains se fait et c’est une habitude qui se prend. En fait, nous avons ici en Côte d’Ivoire 15 jours d’écart sur la pandémie en Europe et donc on peut anticiper nos décisions avec 15 jours de ” recul “. On n’est pas obligé de les prendre dans la précipitation. En réalité, ici, on ne subit pas la pandémie, on l’anticipe. Le port du masque, on peut l’anticiper et aujourd’hui, on a commandé 35 000 masques lavables avec une éducation des utilisateurs. Nous laverons et désinfecterons les masques pour les équipes ou ils les laveront comme ils le souhaitent mais dans tous les cas de figure, le port du masque est obligatoire. Il n’y a pas eu d’arrêt de l’activité. Quand on a aménagé les plans de travail pour protéger les salariés, on l’a fait en dehors des heures de travail.

A ce jour et heureusement, on n’a pas eu de rupture d’activités. Notre seule inquiétude ce sont les laissez-passer dus au blocus et au couvre-feu d’Abidjan de 21 h à 5 h du matin. On surveille le temps de transport de nos camions. Ce qui m’inquiète c’est si mes camions vont pouvoir circuler et là il n’y a pas de soucis ; si nos intrants vont pourvoir arriver en plantation ? Est-ce que mes fonctions support sont des fonctions d’accompagnement ? Et ce qui est très important c’est un service social très développé, avec une infirmerie, on a un hôpital, une ambulance dédiée si on a un cas. On a anticipé les choses ce qui est positif et en concertation avec le personnel.

Au niveau marché, tant sur les volumes que les prix, comment ceci évolue-t-il ?

Actuellement, le marché de la banane se porte correctement. J’ai toujours dit que la banane est sous-payée ; elle est aujourd’hui d’ailleurs légèrement inférieure à son prix de vente habituel mais le consommateur est au rendez-vous.

Le souci aujourd’hui est sur l’ananas où on ne vend plus rien. Il n’y a quasiment plus d’export d’ananas sur l’Europe car les grandes surfaces souhaitant un minimum de temps passé dans leur magasin, ils vont sur les marchandises essentielles et l’ananas ne l’est pas alors que la banane est un produit d’appel. Les quantités d’exportation d’ananas ont été réduites jusqu’à 50% voire 60% avec des prix à perte. C’est une catastrophe l’ananas.

Que faites-vous de ces ananas en amont ?

Il n’y a plus de demande en Europe alors on exporte seulement les ananas de calibre A. On exporte la production qui peut se vendre à un prix subi. Aujourd’hui le prix de l’ananas ne permet même pas de couvrir les coûts de production.

Mais l’ananas continue à pousser, alors qu’en faites-vous ?

On n’arrête pas une plantation qui produit.

On a trouvé une solution transitoire de transformation sur place de l’ananas car on le vend sur le marché local ; on en fait aussi don aux collectivités locales, les prisons, les hôpitaux, etc. Car on ne veut pas, non plus, casser le marché de l’informel. On ne peut pas se mettre en concurrence avec nos petits vendeurs. Heureusement qu’ils sont là car on a une population qui vit au jour le jour et il faut qu’elle puisse manger. Alors, évidement, le marché a aussi chuté localement.

Pour revenir à la banane, vos volumes sont-ils semblables à ceux de l’année dernière à pareille époque?

Oui, on exporte à peu près les mêmes volumes que l’année dernière. On a eu un problème d’harmattan et donc on a eu une perte de volume mais ceci est dû aux conditions climatiques, pas au coronavirus.

Une baisse de combien ?

Sur une certaine période, on estime qu’on a eu une baisse de 3% sur l’année liée à l’harmattan.

Le consommateur français est-il plus favorable à l’achat de banane que d’autres fruits car c’est un fruit enveloppé par rapport à d’autres comme la fraise ?

Non, la demande n’est pas plus importante ou du moins je ne l’ai pas ressenti. Tous nos volumes sont vendus. Or ce serait possible que des navires partent et ne trouvent pas preneur pour leurs cargaisons. Ce n’est pas le cas. Nous vendons notre production mais nous ne pouvons pas faire plus car on ne peut pas produire une banane en trois semaines ! Et heureusement car vu comme la nature se venge aujourd’hui, je crois qu’il faut qu’on apprenne à la respecter. Il faut tirer les enseignements de la situation.

Qu’en est-il des marchés régionaux de la banane ?

Ils ont tout de même baissé du fait de la moindre circulation des camions et la fermeture de certaines frontières. Il n’y a pas de confinement mais les couvre-feux sont pris en compte et les gens font attention.

Et comment se présente la saison de la mangue ?

La saison commence dimanche et nous verrons comment ça démarre. Mais on prévoit, d’ores et déjà, 50% d’exportation en moins sur la mangue. Les consommateurs actuellement en France achètent l’essentiel, les produits de base.

Quelle est votre analyse en tant que chef d’entreprise sur comment les Ivoiriens vivent tout ceci ?

Il ya une certaine résilience. Aujourd’hui, il y a trois soucis : la crise du coronavirus et l’Etat prend des décisions adaptées au pays, ensuite il faudra en mesurer l’efficacité mais ce n’est pas simple. Le peuple ivoirien a déjà connu des pandémies : ils savent que la malaria va tuer plus que le coronavirus, comme l’hépatite B. Le deuxième risque est le risque social : si on était confiné, des gens ne pourraient pas se nourrir.

Un dernier mot ?

J’imagine un nouveau monde où la santé et l’écologie seraient réservées à l’ONU et ne seraient plus de la compétence des Nations. Ce sont des sujets mondiaux qui doivent être gérés à ce niveau et dans un consensuel supra-national pour l’intérêt des générations futures.

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