Une profonde évolution du soutien à l’agriculture au niveau mondial

 Une profonde évolution du soutien à l’agriculture au niveau mondial
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Où en est-on du soutien mondial à l’agriculture ? C’est à cette question complexe que tente de répondre une nouvelle étude lancée par la Fondation Farm basée sur les données issues de l’OCDE, la FAO et la BID sur 55 pays * représentant environ 75% de la production agricole mondiale. L’objet est de dresser un panorama des grandes tendances du soutien mondial à l’agriculture, les différences entre les pays et entre les produits pouvant être très importantes.

Jean-Christophe Debar, directeur de la Fondation Farm dégage quatre tendances principales qui soulignent une réelle évolution dans le soutien à l’agriculture. Les pays en développement (à revenu intermédiaire –PRI- et à faible revenu- PDR) dépensent proportionnellement beaucoup moins pour l’agriculture que les pays à revenu élevé (PFE). Ainsi, les dépenses publiques en faveur de l’agriculture en pourcentage de la valeur de la production agricole est d’environ 20% pour le PRE, 7% pour les PRI et 4% pour les PFR avec une grande différence notamment sur l’aide aux producteurs entre les trois catégories de pays.

 

Mais, ce constat est à tempérer avec un autre élément, le soutien à l’agriculture dans les PRE est en net recul depuis le milieu des années 2000. Même si certains PRE ont un taux nominal de protection élevé. « Ainsi la Suisse, la Finlande ou le Japon, le soutien est supérieur à 50% tandis que dans d’autres ils sont proches de zéro. Entre les deux, les USA autour de 10% et UE à 18-19%. Même caractéristique dans les pays émergents où l’Indonésie a dépassé le niveau de soutien de l’UE, la Chine se situe à 15-16% tandis que le soutien au Brésil comme en Afrique du Sud est presque nul. Des différences qui s’expliquent par d’autres critères comme le niveau de compétitivité du secteur agricole, et par la structure de leur secteur agricole» observe Carmel Cahill, directrice adjointe à la direction du Commerce et de l’agriculture à l’OCDE. Globalement plus les pays sont riches, et donc moins ils sont dépendants de l’agriculture, plus ils tendent à soutenir leurs agriculteurs, souligne Jean-Christophe Debar.

Troisième grande tendance, le niveau des protections à l’importation sur les produits agricoles dans les pays émergents a augmenté et se trouve à un niveau supérieur en moyenne à celles des PRE.

Dernier constat, et non des moindres, le taux de soutien total à l’agriculture (dépenses plus protection à l’importation) tend à converger entre pays riches et pays émergents. « Dans les pays riches cela est du à un certain nombre de facteurs comme la réforme des politiques agricoles menée dans les années 80 ou les accords de Marrakech à l’OMC. Dans les pays émergents, deux éléments essentiels à prendre en compte. Le premier est que dans un certain nombre de pays, on observe une volonté farouche d’indépendance alimentaire (Inde, Indonésie, Russie). Le deuxième est que les gouvernements essayent de réduire les écarts de revenus entre les riches et les pauvres ou autrement dit entre les urbains et les ruraux » indique le directeur de Farm. Pour Hervé Lejeune, inspecteur général de l’agriculture et membre du CGAAER, la convergence des soutiens entre les différentes catégories de pays montre que l’agriculture ne peut se passer totalement de soutien. Parallèlement à cette hausse du soutien dans les pays émergents, la place des émergents dans le commerce agricole s’est fortement accrue. « Evidemment cela créé quelques tensions à l’OMC » remarque Jean-Christophe Debar.

L’inefficience et les défaillances des marchés en Afrique

En Afrique, l’environnement est globalement peu propice au développement des filières agro-alimentaires : faible niveau des dépenses de soutien, forte dépendance à l’aide extérieure, interrogation sur la composition même du soutien, protection faible voire négative, souligne le directeur de Farm. Globalement entre 1980 et 2016, les dépenses de soutien ont augmenté deux fois moins vite que la valeur ajoutée agricole. En outre, le poids des subventions aux intrants, et en particulier aux engrais, est très important, représentant près d’un tiers des soutiens. « Les producteurs agricoles ont une faible incitation à produire, ou à se protéger contre les variations de revenus et de prix » indique Jean-Christophe Debar.

Mais aussi se pose la question de l’efficacité du soutien. « Le taux de protection nous permet de révéler un certain nombre des maladies des marchés africains » indique Jean Balié, économiste principal à la FAO en charge du MAFAP. Ainsi observe-t-il que dans certains pays africains, les effets des protections tarifaires mises en place afin de soutenir la production sont contrecarrés par des défaillances de marché ajoutant que « Trop longtemps la priorité qui doit être donnée aux investissements structurants a fait défaut. Dans ces conditions, l’intégration aux marchés internationaux est très difficile ». Il faut aussi que les politiques publiques donnent des signaux clairs et stables. «La question de la cohérence des politiques est centrale » affirme Jean Balié.

Pour David Laborde, chercheur à l’IFPRI, ce qui fait la différence entre l’Afrique et le reste du monde, c’est que le taux nominal de protection est beaucoup plus volatil. Ainsi en Ethiopie, par exemple sur certains produits, le taux peut varier de – 40% une année à plus 30% l’année suivante. Une volatilité qui s’explique par la structure des marchés domestiques qui sont relativement peu intégrés et cloisonnés. Ainsi les chocs sont plus importants que sur le marché mondial. S’ajoutent également des politiques qui vont dans des sens diamétralement oposés. « En Tanzanie, par exemple, vous allez avoir sur une période de 18 mois des restrictions aux importations, des restrictions aux exportations et des subventions aux exportations » indique David Laborde. Pourquoi ? Soit le décideur politique n’a pas forcément l’information pertinente ou il l’a avec retard, soit ce sont des cas de capture, par exemple pour les importateurs, ou de corruption dans certains pays. «Si vous êtes un fermier, vous subissez la volatilité intrinsèque de votre activité agricole, du climat et de la politique. Cela fait beaucoup » indique le chercheur.

Source : MAFAP, FAO

 

* 55 pays dont 13 pays à revenu élevé (Australie, Canada, Corée du Sud, Islande, Israël, Japon, Norvège, Nouvelle-Zélande, Suisse, Trinidad & Tobago, UE 28, Uruguay, USA), 30 pays à revenu intermédiaire (Afrique du Sud, Argentine, Belize, Bolivie, Brésil, Chili, Chine, Colombie, Costa Rica, Equateur, Ghana, Guatemala, Guyana, Honduras, Indonésie, Jamaïque, Kazakhstan, Kenya, Mexique, Nicaragua, Paraguay, Pérou, Philippines, République dominicaine, Russie, Salvador, Suriname, Turquie, Ukraine, Vietnam) et 12 pays à faible revenu (Bénin, Burkina Faso, Burundi, Ethiopie, Haïti, Malawi, Mali, Mozambique, Ouganda, Rwanda, Sénégal, Tanzanie), selon les critères de la Banque mondiale.

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