Les flux financiers illicites en Afrique dépassent l’aide publique au développement

 Les flux financiers illicites en Afrique dépassent l’aide publique au développement
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L’Afrique de l’Ouest est devenue plus vulnérable aux activités illicites car la distinction entre “licite” et “illicite” est souvent floue, parce que des communautés entières peuvent dépendre du commerce illicite, soulignent les auteurs du rapport “Flux financiers illicites : l’économie du commerce illicite en Afrique de l’Ouest” paru ce matin. “Dans les zones agricoles, cela peut être l’exploitation illicite des ressources forestières ou le travail forcé qui alimente certaines industries, comme la production de cacao“, ou encore le trafic de faune sauvage, selon l’étude réalisée par l’OCDE et la Banque africaine de développement (BAD) en collaboration avec la Banque mondiale, le Nepad et le Groupe intergouvernemental d’action contre le blanchiment d’argent en Afrique de l’ouest (Giaba).

Pourquoi ce rapport sur les flux financiers illicites (FFI) précisément sur cette zone de l’Afrique de l’ouest ? “Plusieurs pays de la région affichent des indicateurs de développement et des institutions publiques faibles, et présentent une capacité réglementaire limitée. Comme c’est le cas dans de nombreux pays en développement, l’activité économique se déroule largement au sein de l’économie informelle“, lit-on, les auteurs précisant : “Tout ce qui est informel n’est pas mauvais : de fait, le secteur informel fournit souvent des moyens de subsistance précieux, particulièrement pour les personnes les plus pauvres. Pourtant, les activités informelles échappent aux mécanismes réglementaires d’équilibre des pouvoirs.

Le licite et l’illicite de plus en plus interconnectés

Selon le Groupe de haut niveau sur les flux financiers illicites (FFI) de la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies, “les FFI en provenance d’Afrique pourraient s’élever à $ 50 milliards par an“, un chiffre contesté mais tout le monde s’accorde à dire “que les FFI dépassent le volume d’aide publique au développement accordée à l’Afrique.” Or, comparé à l’ensemble du continent, l’Afrique de l’Ouest souffre certainement le plus sévèrement de l’impact des flux illicites, estiment les auteurs.

Le licite et l’illicite sont de plus en plus interconnectées en Afrique de l’ouest. Cela s’explique, en partie, par la prépondérance de l’économie informelle, qui représenterait 60-70% de l’activité économique globale de sa région. Cela s’explique aussi par l’existence de réseaux de protection des élites connectés aux flux licites et illicites. L’argent afflue vers les caisses de personnes d’influence à l’échelle locale, ainsi que vers les groupes armés, criminels et terroristes, comme il le ferait (devrait le faire) vers celles de l’Etat.”

La Chine pointée du doigt

L’essentiel des produits contrefaits et de qualité inférieure importées en Afrique de l’ouest est dissimulée dans les flux commerciaux légitimes en direction de la région. “Les ressources limitées de l’Etat, la corruption endémique des autorités portuaires et le manque de capacités pour réaliser des inspections physiques des conteneurs produisent un environnement favorable à la contrebande.”

Et les auteurs de préciser : “Les données sur les saisies indiquent que la Chine est le principal pays source d’articles contrefaits et de qualité inférieure (denrées alimentaires, produits pharmaceutiques, et un large éventail de produits de consommation et de contrefaçons de produits de luxe). Les Emirats arabes unis, Hong Kong et la Chine servent de points de transit vers les marchés ouest-africains” qui, eux-mêmes, servent de points de transit vers d’autres pays du continent.

La production de cannabis trouve un débouché local

Si le rapport admet qu’il existe très peu d’information sur le trafic de cannabis en Afrique de l’ouest, la région présente ses particularités. De “qualité inférieure que celui produit en Afrique du Nord et inadapté à l’exportation vers l’Amérique du Nord ou l’Europe”, le cannabis est produit principalement au Nigeria, au Ghana, au Sénégal et au Togo, avec pour débouché principal les marchés locaux  où la demande demeure faible à l’aune internationale mais augmente : “l’Afrique de l’ouest et l’Afrique centrale dénombreraient 11-31 millions d’usagers de cannabis”.

Par ailleurs, les enlèvements contre rançon, la piraterie maritime et les vols à main armée seraient “de plus en plus préoccupants dans le Golfe de Guinée“. Si les attaques se concentrent encore majoritairement sur l’industrie pétrolière (2011 a marqué un tournant, lorsque le Nigeria a décidé d’amnistier les militants du Delta), “de nombreux vaisseaux de toutes catégories sont actuellement attaqués“. Mais, précise le rapport, 70% des attaques ne seraient pas déclarées par craintes d’endommager les réputations et d’encourir des primes d’assurance plus élevés.  Les coûts annuels de la piraterie en Afrique de l’Ouest avoisineraient $ 565 millions à $ 2 milliards”.

Autre phénomène, la cybercriminalité dans laquelle les jeunes de 18 à 30 ans en Afrique de l’Ouest font preuve…. d’innovation. En 2013, les pertes estimées émanant des “arnaques 419” (arnaques sur les avances de frais) s’élevaient à $ 12,7 milliards, dont 78% attribuable à des Nigérians ou des membres de sa diaspora.

L’agriculture et le monde rural, vivier de la traite des personnes

La traite des personnes -distincte du “trafic des migrants”- est “très répandue en Afrique de l’Ouest‘”. Les auteurs définissent la traite des personnes comme “le recrutement, l’hébergement, le transport, le transfert ou l’accueil de personnes, aux fins de travail de force ou d’actes sexuels commerciaux, par la menace du recours ou le recours à la force ou à d’autres formes de contraintes”.

La Côte d’Ivoire, le Ghana, le Mali, le Nigeria et le Togo sont connus pour avoir des taux de trafics spécialement élevés, impliquant prioritairement des personnes handicapées, des albinos vivant en milieu rural et les réfugiés. L’essentiel de la traite a lieu des zones rurales vers les zones urbaines, la majorité des “personnes trafiquées” -autant d’hommes que de femmes- travaillant dans les secteurs agricoles et de la pêche.

Le Bénin, le Burkina Faso, le Guinée-Bissau, la Guinée, le Ghana, le Mali, le Nigeria et le Togo sont les principaux points d’origine des enfants trafiqués vers les centres urbains et les sites agricoles d’un assortiment de pays comprenant la Côte d’Ivoire, le Gabon, le Nigeria et le Sénégal. ” Une traite qui ferait environ 3,7 millions de victimes sur le continent africain.  L’étude de l’OCDE reprend les chiffres publiés en 2014 par Global Initiative : 1,8 million d’enfants feraient du travail forcé dans la cacaoculture.

Ceci dit, “les liens entre la traite des personnes et les FFI n’ont pas fait l’objet d’études poussées“, la traite constituant principalement un flux infrarégional.

La pêche et la forêt, victimes de crimes contre la flore et la faune

La pêche et l’exploitation forestière illégales font partie de la criminalité environnementale et sont “les deux crimes en lien avec la flore et la faune les plus courants en Afrique de l’Ouest“.

L’Ecorégion marine ouest africaine est une des zones de pêche les plus abondantes au monde, employant environ 1,5 million de personnes et représentant 15 à 17% du PIB. “L’industrie de la pêche fournirait aux pays comme la Mauritanie, le Sénégal, la Guinée, la Guinée-Bissau, le Ghana, le Liberia et la Sierra Leone $ 4,9 milliards par an. Les estimations de pertes provenant de la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN) s’échelonnent de $ 1,3 milliard à $ 23,5 milliards par an.”

Pour sa part, l’exploitation forestière illicite se trouve essentiellement en Sierra Leone, en Guinée-Bissau, en Guinée et au Liberia.

L’Afrique de l’ouest, plaque-tournante du trafic d’éléphants

Le braconnage est un phénomène “très préoccupant“, même si les auteurs notent qu’il n’atteint pas “la même échelle qu’en Afrique du sud et centrale“.

Ce sont les éléphants qui en sont la principale cible. Non pas tant les éléphants locaux -car leur braconnage a été tellement intensif par le passé qu’ils ont quasiment disparu d’Afrique de l’ouest, mais des éléphants sauvages d’Afrique de l’est, du sud et centrale pour lesquels l’Afrique de l’ouest serait devenue une plaque-tournante. “Alors que les réseaux nigérians et guinéens sont impliqués dans le trafic, l’Afrique de l’Ouest francophone fournit de l’ivoire aux pays du sud, jusqu’en Angola. Une enquête sur le sujet a détecté une opération importante menée par un syndicat chinois se servant des aéroports nigérians.”

Et les auteurs du rapport de noter que “malgré la prévalence et la gravité de la criminalité environnementale, les responsables régionaux chargés de la répression lui accordent relativement peu d’importance.”

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