Agnès Kalibata, présidente d’Agra : Il n’y a pas lieu de débattre des OGM en Afrique aujourd’hui

 Agnès Kalibata, présidente d’Agra : Il n’y a pas lieu de débattre des OGM en Afrique aujourd’hui
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Un ensemble de facteurs peut permettre d'accroître la production agricole en Afrique, les OGM n'étant pas la panacée, loin de là, explique à CommodAfrica Agnès Kalibata, présidente de l’Alliance pour la révolution verte en Afrique (Agra), et ancienne ministre de l’Agriculture du Rwanda de 2008 à 2014.

 

Pour augmenter la production agricole en Afrique, schématiquement, deux grands courants s’affirment : le premier fait la part belle à l’utilisation des biotechnologies dont les OGM, le second mise sur l’agroécologie. Pour Agra, que signifie la révolution verte en Afrique ?

A travers le concept de révolution verte, il s’agit de savoir comment aider les paysans à obtenir plus de la terre qu’ils cultivent. Il y a plusieurs moyens pour parvenir à cela. Ils peuvent utiliser de meilleures semences qui sont résistantes aux maladies, résistantes à la sécheresse ou qui présentent de meilleurs rendements. Ou recourir à de meilleurs technologies pour optimiser la gestion de leur production. Le concept de révolution verte ne signifie donc pas nécessairement recourir aux OGM.

De nombreux investissements sont consacrés à l’amélioration des variétés de semences pour accroître les rendements. Et cela n’a rien à voir avec les OGM. Les variétés hybrides ont permis d’augmenter massivement les rendements agricoles en Occident. Mais ces variétés ne sont pas encore très connues en Afrique, en raison du coût des semences. Maintenant, si le coût des semences hybrides est élevé pour les paysans, qu’est ce que cela sera quand nous aurons à investir dans des technologies d’échelle comme les OGM ! Honnêtement, nous ne pensons pas que nous avons besoin de cela. Nous avons assez de technologies disponibles en rayon.

Mais vous n’êtes pas contre les OGM ?

C’est un rapport coût/avantage. Nous avons déjà suffisamment de technologies disponibles non utilisées. Quel sens cela a t-il d’investir dans plus de technologies, quand nous n’utilisons pas de façon appropriée les technologies déjà existantes. Le problème de l’Afrique n’est pas de savoir si nous devons recourir ou pas aux OGM. Le problème de l’Afrique est d’être capable d’augmenter les rendements avec des technologies qui ont déjà fait leurs preuves et qui sont reconnues pour leur efficacité. Pour moi, il n’y a pas lieu de débattre des OGM sur le continent aujourd’hui.

Comment garantir l’accès aux semences pour les agriculteurs, sans tomber dans la dépendance vis à vis des multinationales ?

J’entends que la dépendance vis à vis des semences est un problème. Mais soyons clairs. Si vous voulez un bon système de fourniture de semences, vous devez créer les conditions pour qu’elles soient disponibles pour les paysans. Maintenant, la dépendance à l’achat des semences n’est pas nécessairement une mauvaise chose. Si vous achetez davantage de savon, cela ne signifie pas que vous êtes dépendant du savon. Pour un paysan, l’important est d’avoir accès aux semences, qu’elles soient de bonne qualité, c’est à dire qu'elles permettent de bons rendements et le moins de maladies possibles. Comment faire en sorte que cela soit possible ? Le système n’a pas besoin d’être basé sur les firmes multinationales. Il peut être national, il peut être local.

Agra a décidé d’investir dans de petits semenciers locaux, capables de produire des semences mais aussi capables d’assurer un niveau de subsistance aux fermiers, il s’agit de leur vendre les semences, mais aussi d’écouter leurs commentaires, de tenir compte de leurs préférences. Nous travaillons aussi avec des instituts de recherche locaux, nous avons formé des chercheurs et nous les appuyons pour leur permettre d’améliorer les variétés. Comme cette jeune chercheuse kenyane titulaire d’un doctorat en amélioration végétale qui s’est attachée à réduire le temps de cuisson des haricots de 4 heures à moins de dix minutes grâce à une nouvelle variété. Cela a permis aux femmes de gagner du temps et de réduire massivement leur consommation de bois.

Au total, nous avons permis de créer 90 entreprises semencières. La plupart d’entre elles se développent. Certaines vendent aujourd’hui 1 000 tonnes de semences de maïs, d’autres sont à 3 000 tonnes. Ce qui est énorme ! Nous parlons actuellement de nous focaliser sur les caractéristiques locales de 500 variétés de maïs amélioré. Mais nous parlons aussi d’autres choses comme la manière de réduire le temps de cuisson des haricots, de valoriser le secteur privé, de réduire la résistance aux maladies locales, nous parlons de sécheresse. Nous investissons dans tout cela, mais nous n’investissons pas dans les organismes génétiquement modifiés.

Quel est le montant investi par Agra sur le continent ? Quelles sont les perspectives ?

Nous investissons dans tout l’écosystème agricole, c’est à dire dans le développement des semences, dans le développement des engrais, dans les bâtiments, dans les organisations paysannes, dans l’acheminement aux marchés. Nous avons dépensé près de $ 150 millions (€ 132 millions) dans le développement de semences locales sur le continent africain. Et nous avons probablement investi la même chose pour essayer de développer la formation et l’apprentissage. Les entreprises locales ne font pas que vendre des semences et des engrais, elles enseignent aussi aux paysans ce qui est bon pour leurs cultures et ce qui crée de la valeur.

Prenez une entreprise comme Coca Cola, présente dans chaque village africain. S’ils le font, pourquoi est ce si difficile d’apporter des engrais et des semences dans chaque village ? Si Coca Cola réussit, c’est parce qu’ils s’appuient sur de très petits business locaux. Nous voulons être capable de créer de la valeur autour de l’agriculture et autour des services agricoles de façon à ce que les paysans africains trouvent de la valeur là où ils vivent.

Quels sont les défis ?

Ils sont nombreux, tout cela est plus facile à dire qu’à faire. Quand les paysans produisent davantage, ils doivent écouler leur production et pour cela avoir accès aux marchés. Les prix peuvent chuter parce que tout le monde produit la même chose au même moment. Ils n’ont pas toujours la capacité d’assurer la même qualité sur le long terme. Il y a le problème de l’accès au capital aussi. Nous essayons de pallier toutes ces faiblesses, sans imposer aux paysans ce qu’ils doivent faire. Nous pensons qu’il y a des opportunités pour le secteur privé mais aussi pour parvenir à une agriculture durable.

La disponibilité du foncier et la question des droits de propriété sont un enjeu majeur pour le continent. Problématique exacerbée par l’appétence des entreprises privées pour les ressources naturelles du continent. Dans ce contexte, comment garantir la sécurité alimentaire des populations les plus vulnérables ?

Il faut atteindre un juste équilibre. La plupart du temps, quand je parle d’agriculture, je parle de petite agriculture. Ce qui signifie que les gens mangent ce qu’ils produisent. Notre mission chez Agra comme dans d’autres institutions est de s’assurer que ces petits propriétaires fermiers deviennent un maillon d’un système de production plus vaste. Je sais que c’est difficile de les rassembler pour produire la même qualité, pour qu’ils soient constants. Très peu de personnes souhaitent investir là dedans, en dehors du secteur public. Mon travail est de faire en sorte que le secteur privé s’intéresse à ces petits agriculteurs.

Après, au secteur privé qui détient des terres pour produire du thé, des bananes, du café… je leur dis : "Vous n’avez pas besoin de terres, vous avez besoin de maïs, de café, de bananes. Dites moi juste combien et quelle qualité ".

Dans le fond, Agra est en train de devenir un intermédiaire. Nous essayons de faire travailler ensemble le secteur privé et les petits paysans, d’un point de vue de politique publique.

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