L'Europe n'est pas le seul débouché pour la banane ivoirienne
La diversification est le maître-mot de la Compagnie fruitière en Côte d'Ivoire, surtout après les quelque 1 000 ha dévastés l'année dernière. Diversification des marchés et des produits : l'Afrique est de plus en plus un marché porteur, souligne le directeur général de SCB, Olivier Biberson, dans une interview exclusive à CommodAfrica.
Rappelons que la Compagnie Fruitière est le premier producteur de bananes et d’ananas de la zone ACP avec, en 2014, environ 450 000 tonnes (t) de fruits et légumes dans ses propres fermes en Côte d’Ivoire (200 000 t de bananes, 25 000 t d'ananas), au Cameroun (160 000 t de bananes, 40 t de poivre de Penja), au Ghana (50 0000 t de bananes, 5 000 t d'ananas) et au Sénégal (10 000 t de tomates, 2 000 t de maïs). Elle est également le plus important transporteur maritime de fruits et légumes ACP, ainsi que le premier metteur en marché en Europe de fruits et légumes de cette origine.
Quel bilan dressez-vous de 2014 et comment se présente 2015 en terme de production?
2014 s'annonçait très bien en terme de production. Malheureusement, en juin, nous avons subi un épisode climatique tout à fait exceptionnel sur une de nos principales plantations, dans la vallée du Niéky, sur la route d'Abidjan à Dabou. Sur un domaine d’une superficie totale de 1 000 ha, plus de 850 ha en production ont été totalement inondés pendant plusieurs jours. Nous avons eu beaucoup de difficultés à évacuer l'eau et, le bananier étant une plante très sensible a l'excès d'eau, nous avons finalement perdu 90% de cette superficie en production.
Vous êtes assuré?
Nous ne sommes pas assurés pour ce type de risque et pour les pertes d’exploitation qui en résultent. De fait, il n'y a quasiment pas d'assurance ou s'il en existe, le prix de la police est tel qu'il est dissuasif au regard de la probabilité de survenance du risque.
C'est une perte sèche? De combien?
De plusieurs millions d'euros. Nous avons perdu 25% de notre production, terminant l'année 2014 à 190 000 t alors qu'on aurait dû atteindre 210 000 à 215 000 t. Il a fallu tout replanter ; mais nous avons dû étaler le programme de replantation afin d’éviter un brusque afflux de volumes, quelques 8 mois plus tard, qui aurait posé des problèmes de conditionnement, de transport et de mise en marché. Nous aurons entièrement fini de replanter ce que nous avons perdu en juin prochain.
Combien est déjà replanté?
Sur les 850 ha perdus, nous avons déjà replanté 600 ha.
Cela représente quel investissement?
Ce sont des investissements très lourds. Certes, nous ne sommes pas dans la création de plantation. L'infrastructure, par exemple, subsiste. Mais cela représente un investissement de 8 000 à 9 000 euros l'hectare.
Avez-vous profité de ceci pour introduire des nouveautés, de nouvelles variétés ?
Nous n'avons pas introduit de nouvelles variétés mais nous avons mis en œuvre de nouvelles techniques. Dans la culture de la banane, des prédateurs se mettent en place au niveau des sols et on est obligé, lorsqu'on a fini une culture et avant de replanter, de laisser les parcelles en jachère un certain nombre de mois, voire d'années, pour les assainir et éliminer certains parasites, comme les nématodes.
Avec l'inondation, nous nous sommes aperçus qu'on pouvait diminuer les temps de jachère en maintenant inondés certains blocs – comme pour des parcelles rizicoles ; on arrive ainsi, par asphyxie, à détruire tous les prédateurs aérobies qui sont dans les sols. D'un mal, on a fait un bien : lorsque nous avons redéfini notre programme de plantation, nous avons décidé de laisser inondées certaines superficies. Lorsqu'on nous replanterons ces superficies, il suffira alors d'évacuer l'eau et nous pourrons replanter sans avoir attendu 12 à 18 mois de jachère.
Nous avons également développé des techniques là où on pouvait sauver certains plants, par exemple en recépant la mère et en faisant croître le fils. Ainsi, nous avons développé des techniques pour ne pas devoir tout replanter ex nihilo.
La bonne nouvelle est venue du marché européen : l'Europe, depuis deux ans, consomme plus de bananes. La croissance chaque année est de 3 à 4%. Pour tous les producteurs de bananes, c'est une bonne nouvelle.
Pour la banane africaine, il y a toujours la situation créée par la baisse des droits de douane des bananes dollars. Cette contrainte nous impose de sans cesse améliorer notre productivité pour garder et développer nos parts de marché.
Vous entrez toujours sans payer de droits de douane sur le marché européen?
Oui, toujours. Cette disposition est maintenue dès lors que la Côte d'Ivoire a signé un Accord de partenariat économique (APE) avec l'Union européenne (UE). Cet accord est en voie d'être paraphé et nous devrions pouvoir continuer à exporter en ne payant aucun droit d’entrée en Europe.
De nouveaux opérateurs bananes, venant des Antilles, sont arrivés récemment sur le marché ivoirien…
Oui, on a eu le plaisir de voir arriver il y a 2 ans des producteurs antillais, aussi bien Martiniquais que Guadeloupéens. Pour nous, c'est une bonne nouvelle car cela permettra à la banane ivoirienne d'être mieux représentée, de peser plus lourd, d'avoir plus de volumes. En outre, ce sont de vrais professionnels de la banane. Donc, à mon avis, ils apporteront certainement quelque chose aux producteurs ivoiriens. Plus nous serons nombreux, plus la banane ivoirienne sera forte et mieux elle sera défendue.
Comment se positionne aujourd'hui l’OBAMCI ?
L'OBAMCI est une association de producteurs de bananes, d'ananas, de mangues mais également d'autres fruits et légumes. Elle a été créée en 2009 suite à un différend qui a opposé certains producteurs au sein de l'OCAB ; ce différend est né d’une situation préjudiciable à certains producteurs sur le quai fruitier. Ces derniers, dont nous faisons partie, ont été mis en minorité au sein de l'OCAB, ont démissionné et ont créé l'OBAMCI.
Aujourd'hui, l’OBAMCI représente entre 75 à 80% de la production fruitière ivoirienne, essentiellement banane, ananas et mangue. Pour ce qui concerne la mangue, SCB exportera cette année environ 3 000 t ce qui la situe parmi les opérateurs significatifs au niveau d’une filière ivoirienne qui exporte, chaque année, entre 17 000 et 20 000 t.
De quelle variété ?
C'est de l'Amélie pour la variété précoce mais en volumes très faibles. Le gros de la mangue ivoirienne est de la variété Kent, une mangue excellente dont la production intervient à une période de l’année où le marché est très demandeur en Europe, les autres origines n’étant pas présentes à ce moment-là. Il y a donc un créneau pour la mangue ivoirienne qui va de début avril à la mi-mai généralement, voire fin mai si les conditions climatiques le permettent.
Vous vous intéressez au maraîchage maintenant. Pourquoi ?
Le maraîchage est une activité dans laquelle nous nous lançons en Côte d'Ivoire, dans le Nord du pays, entre Korhogo et Ferkessédougou. Nous produisons déjà au Sénégal des tomates sous serre (tomates cerise, olivette), du maïs et d’autres légumes de contre-saison.
Le maraîchage se développe selon un concept non pas axé uniquement sur la production mais sur l’élaboration d’itinéraires techniques plus économes en eau, en pesticides, en engrais. Nous les vulgariserons auprès des petits producteurs et interviendrons par la suite dans la mise en marché.
En Côte d'Ivoire ?
Pour l'instant, nous commençons par la Côte d'Ivoire mais ce modèle pourra ensuite s'implanter dans la sous-région. Cette sous-région nous intéresse de plus en plus : il existe de vrais marchés. Nous nous sommes implantés comme fournisseur de bananes au Sénégal depuis une quinzaine d'années. C'est un marché aujourd'hui porteur et très intéressant. Nous développons le même concept au Mali, au Burkina, au Niger, en attendant un jour, peut-être au Nigeria. Mais, ce sera un autre enjeu.
La Guinée?
Non, nous ne sommes pas installés en Guinée.
Au Sénégal, quid de la banane?
Chaque année, la SCB exporte par voie maritime entre 15 000 et 18 000 t de bananes ivoiriennes au Sénégal. C'est une banane de qualité export pour laquelle l’Europe n’est plus le seul débouché. Les marchés de la région et de la sous-région sont des marchés porteurs et ne doivent pas être négligés.
Nous sommes également très intéressés par développer nos activités en Afrique du Sud. C’est un grand pays avec lequel des échanges commerciaux sont à l’étude.
Notre banane est de qualité. Elle est très demandée et, par conséquent, il n'y a aucune raison aujourd'hui qu'on se limite au marché européen. L'Afrique est un marché dans lequel nous croyons beaucoup pour la banane, pour le maraîchage, pour le vivrier et pour d'autres fruits également.