Le cacao à Berlin : financer la durabilité par la TVA des pays consommateurs

 Le cacao à Berlin : financer la durabilité par la TVA des pays consommateurs
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Le décor était planté. Alors qu’arrivaient ce matin les délégations et participants – plus de 1500 venus de plus de 60 pays, un record- à la 4ème conférence mondiale du cacao 2018 qui se déroule, jusqu’à mercredi, à Berlin, quelques jeunes manifestants agitaient des pancartes contre le travail des enfants dans la cacaoculture.

“Nous pouvons nous priver de chocolat”

Quatre de ces jeunes, de 12 à 15 ans, membres actifs de l’initiative Schokofair, devaient s’exprimer à la tribune, à la suite du discours de bienvenue de la ministre allemande de l’Alimentation et de l’Agriculture, Julia Klöckner, pour témoigner de leur volonté de faire changer les choses. “Si les enfants doivent travailler sur des fermes de cacao, j’aurais honte de consommer du cacao“, a dit l’un d’eux, un autre, âgé de 13 ans, allant jusqu’à dénoncer le mécanisme de fixation de prix sur les marchés à terme : “Vous n’avez pas le droit de jouer [faire du ‘gambling’], il faut changer les pratiques à la bourse, il faut créer une loi pour limiter la spéculation“, un autre terminant en soulignant : “Nous pouvons nous priver de chocolat“.

Dans son discours, la toute nouvelle ministre Julia Klöckner s’était félicitée que 55% du chocolat consommé en Allemagne était, d’ores et déjà, durable. Un taux qui devrait être porté à 70% d’ici 2020, avec pour objectif les 100%. A noter, a-t-elle précisé en conférence de presse, qu’il n’y avait pas encore, du moins au sein de l’Union européenne, une norme légale définissant la durabilité mais que, à l’initiative du Danemark, des travaux étaient en cours et qu’une telle norme européenne devrait être édictée dans le courant de cette année.

Nous tous, en achetant notre chocolat, nous décidons ce qui sera produit“, a déclaré Julia Klöckner. Certes, ont rétorqué, les intervenants suivants, représentant des pays producteurs, mais pas seulement. Car, à la base, ce n’est pas tant la certification -qui  a un coût, a-t-il été rappelé- ni même la question du travail des enfants, aussi condamnable soit-il, qui est le fondement du problème, c’est la “distorsion” au sein de l’ensemble de la filière cacao, a souligné le ministre du Commerce de Côte d’Ivoire, Souleymane Diarrassouba. Sur les $ 100 milliards de chiffres d’affaires de la filière chocolat, $ 6 milliards seulement reviennent aux producteurs, a-t-il rappelé, et le ministre de l’Agriculture d’Equateur, Ruben Flores Agreda d’en déduire : “Cela n’est pas un problème de prix mais de structure des prix” qui devra être modifiée pour atteindre “une rémunération équitable du producteur“, a souligné de son côté le ministre du Commerce du Cameroun, Luc Magloire Mbarga Atangana, cette rémunération étant la fondement  même de la “lancinante question d’une économie durable du cacao“.

“Le producteur mis -enfin- au centre du débat”

Or, la chute de plus de 30% des revenus des petits cacaoculteurs, le FMI et la Banque mondiale devant voler au secours des pays producteurs pour équilibrer leurs budgets, n’a rien de “durable”, a déclaré Jean-Marc Anga, directeur exécutif de l’Organisation internationale du cacao (ICCO) dans un discours très remarqué. La durabilité est que “Toutes les parties prenantes dans la filière doivent pouvoir en tirer un revenu décent”. Ce qui n’est pas le cas actuellement.

Et, chiffres à l’appui, le responsable de l’ICCO a indiqué ce qui lui parait être comme  “une situation fondamentalement fausse“. Premièrement, entre octobre 2015 et octobre 2017, le prix de la tablette de chocolat a progressé, certes modestement, mais à progressé tout de même de $ 14,22 à $ 14,75. En même temps, le prix du kilo de fèves a baissé, de $ 3,20 à $ 2,01. Deuxièmement, si on regarde la distribution de la valeur au sein de la chaîne mondiale du chocolat, 79% vont aux différents intervenants en aval, 15% vont à la TVA et 6% vont aux producteurs. Ainsi, ce sont $ 15 milliards qui reviennent aux gouvernements des pays consommateurs qui encaissent la TVA sur le chocolat, contre $ 6 milliards qui vont aux planteurs.

Troisièmement, avec la baisse du cours du cacao en 2017, l’industrie du chocolat a économisé $ 3,5 milliards, sans qu’il n’y ait de retombées ni sur le consommateur, ni sur le producteur. “C’est une question de morale”, a précisé Jean-Marc Anga.

Ne pas parler de prix au nom de la loi anti-trust

Il faut de la solidarité dans la chaîne de valeur, a-t-il poursuivi. Mais comment peut-on évoquer une éventuelle solidarité lorsqu’on ne peut jamais évoquer la question des prix ?, s’est-il interrogé. “Lorsque nous demandons à l’industrie du cacao pourquoi on ne peut jamais parler de prix du cacao, elle rétorque : à cause des lois anti-trust. Evoquer la question des prix iraient à l’encontre de la législation anti-trust”. Un élément que le ministre du Commerce de Côte d’Ivoire avait déjà évoqué dans son discours. Et Jean-Marc Anga de monter au  créneau : “Les lois anti-trust existent pour s’assurer qu’il n’y a pas d’entente entre les industries au détriment du consommateur. Les lois anti-trust protègent le consommateur mais pas le producteur“, déclarant “Evoquer les lois anti-trust qui empêcheraient de discuter des prix n’est pas un bon argument“.

 

Quelles solutions ?

Que faire face à la situation actuelle ? Le directeur exécutif à Berlin a proposé six recommandations.

Premièrement, les pays producteurs doivent absolument faire l’inventaire de leurs ressources et d e leur filière -le nombre de cacaoyers, leurs rendements, les variétés, le nombre de producteurs, leur âge, etc. “Chaque pays doit disposer de statistiques afin de pouvoir planifier sa production. Si vous ne pouvez pas mesurer, vous ne pouvez pas gérer”, a-t-il déclaré. Deuxièmement, les pays producteurs doivent coordonner leurs politiques, le responsable international saluant au passage le rapprochement entre la Côte d’Ivoire et le Ghana mais invitant les deux pays leaders à inclure, “pour être plus efficaces“, les autres pays, notamment africains : la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Nigeria et le Cameroun représentent 73% de l’offre mondiale et si on ajoute l’Indonésie et l’Equateur, on atteint 85%, avait-il rappelé plus tôt. Avec un tel poids, on ne peut guère dire qu’on ne peut pas être influents, avait-il souligné plus tôt.

Troisième recommandation, l’industrie a investi des centaines de millions de dollars dans la filière mais surtout pour améliorer la productivité. Or, ce n’est qu’un élément. Il faut aussi investir dans la diversification afin d’améliorer la résilience des producteurs, notamment quand les prix baissent.

Quatrième point, il faut se focaliser maintenant sur l’accroissement de la consommation dans les pays émergents et producteurs. Il faut être imaginatif, a-t-il souligné, inclure le chocolat, dont les vertus nutritionnels sont reconnus,  dans le régime alimentaire des enfants, dans les cantines, afin que cela fasse partie intégrante de leurs régime alimentaire dès le plus jeune âge. Une disposition, d’ailleurs, que les pays africains producteurs  mettent actuellement en œuvre.

Plus controversée a été la proposition faite aux pays consommateurs d’allouer une partie des $ 15 milliards en TVA au développement de programmes adressant les défis de la cacaoculture.

Enfin, les pays consommateurs et producteurs doivent s’asseoir autour d’une même table et “discuter sérieusement des besoins en offre et demande sur 10 à 15 ans“. “Nous devons travailler tous ensemble“, a conclu Jean-Marc Anga.

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