Quel impact Ebola a-t-il réellement eu sur l’agriculture en Guinée, Sierra Leone et Liberia ?

 Quel impact Ebola a-t-il réellement eu sur l’agriculture en Guinée, Sierra Leone et Liberia ?
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Selon Vincent Martin, représentant de la FAO au Sénégal et responsable du bureau sous-régional des urgences et de la résilience (REOWA), la fin de la flambée épidémique d'Ebola ne signifie pas pour autant l'éradication du virus.D'ailleurs, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré le 14 janvier la fin de la flambée au Liberia, après l'avoir déclarée le 7 novembre en Sierra Leone et le 29 décembre en Guinée. Pourtant, le 15 janvier, en Sierra Leone, une jeune femme a succombé à la fièvre hémorragique et une centaine de personnes a été mise en quarantaine. Des foyers peuvent donc réapparaitre à tout moment, prévient Vincent Martin, mais les pays sont mieux préparés.

Au plan de la production agricole, sur les 3 pays touchés, l'impact d'Ebola a été modéré, souligne le responsable Sénégal de la FAO. Il s’est surtout fait sentir au niveau de la commercialisation et des marchés avec un impact important sur les revenus des ménages. La mobilisation internationale a également été vitale. En définitive, l'épidémie a permis de mettre en exergue la nécessité de renforcer les systèmes de santé mais aussi d’améliorer la résilience des filières de production et de commercialisation des produits agricoles, sensibles aux chocs externes tels que les épidémies, pour limiter l’impact sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle des populations vulnérables.

Entretien exclusif de CommodAfrica avec Vincent Martin.

 

Peut-on chiffrer l'impact de l'épidémie Ebola sur les cultures agricoles des trois pays les plus touchés, Guinée, Sierra Leone et Liberia?

La FAO et le PAM ont conduit des enquêtes sur le terrain dès le début de la flambée épidémique afin de pouvoir quantifier l’impact sur les productions agricoles et la sécurité alimentaire. Globalement, selon nos enquêtes, l'impact de la maladie sur la production agricole n'a pas été aussi fort que ce qu'on aurait pu craindre a priori. Les statistiques agrégées de productions agricoles ont montré une diminution de 8% au Liberia, 5% en Sierra Leone et 3% en Guinée. En ce qui concerne le riz, cette diminution de production était de 12% au Liberia, de 8% en Sierra Leone et de 3,7% en Guinée durant la campagne agricole 2014/15, concomitante à la flambée épidémique de cas déclarés d'Ebola.

Ces chiffres sont des moyennes à des échelons nationaux et cachent, évidemment, des disparités. Certaines zones, plus affectées, ont pu enregistrer des baisses de production de riz de plus de 25% dans certaines zones (au Liberia, par exemple).

En effet, la maladie est apparue en Guinée en décembre 2013, et a progressé jusqu’à atteindre des proportions inquiétantes vers les mois de juillet et août 2014, en pleine saison agricole.  Il s’en est suivi  une mobilisation nationale, régionale et internationale vers le mois de septembre. S'agissant de la FAO, nous avons commencé à coordonner nos actions à partir de notre bureau de Dakar vers la fin-août.

Existe-t-il des chiffres sur d'autres cultures que le riz ?

Les estimations se sont faites sur des données agrégées de production, mais aussi plus spécifiquement sur le riz, l’une des productions les plus importantes dans les pays affectés. C'est aussi l’une des spéculations les plus importantes en termes de sécurité alimentaire. Des données sont disponibles aussi sur la production de maïs, qui a aussi été touchée, et de manioc. Cette dernière a été moins touchée par les effets induits de la maladie. Des effets se sont fait sentir aussi sur d’autres spéculations comme la pomme de terre en Moyenne Guinée du fait de la fermeture des frontières et l’impossibilité d’écouler les productions.

Comment peut-on lier cette diminution de production à Ebola ?

Considérant que la saison des pluies et l’utilisation d’intrants agricoles en 2014 étaient semblables à 2013, la diminution de la production en 2014 en comparaison à 2013 peut être attribuée aux effets directs et indirects liés à la maladie à virus Ebola. 2014 aurait dû être une assez bonne saison agricole du fait d’une bonne pluviométrie bien répartie sur la région. Il n'y avait pas d'autres éléments qu'Ebola pour expliquer une telle diminution de production.

Très concrètement, comment Ebola a-t-il impacté les productions agricoles ?

Il y a eu, bien évidemment, des décès parmi les agriculteurs liés au virus Ebola, d’où une diminution de la main d’œuvre disponible. La production agricole a aussi été fragilisée par la peur de la transmission du virus lors de contacts rapprochés entre personnes. En effet, de nombreux travaux des champs se font habituellement en groupes organisés ; c’est notamment le cas au Liberia, où ce système de travaux coopératifs communautaires aux champs s'appelle le système "kuu". A cause de la maladie, du jour au lendemain, les gens n'ont plus voulu ou n'ont plus eu le droit de se retrouver, ensemble, pour les travaux des champs. Mais, encore une fois, l'impact a été modéré et très variable selon les zones. Certaines zones n'ont pas été autant affectées par la maladie, d’autres ont connu des foyers après la fin des récoltes et en conséquence, les productions agricoles n’ont pas été affectées.

En revanche, l'impact a été plus important sur le pouvoir d'achat des personnes. Les marchés, les chaînes de production et de commercialisation ont été perturbés par la mise en place de zones de quarantaine, la restriction des mouvements et par la peur qui empêchait les commerçants et les transporteurs, d'aller dans certaines zones.                                                                                                                    

  ©FAO/J. Bonwitt

Connait-on le nombre de morts parmi la population agricole?

Non, nous n'avons pas de statistiques sur ce point précis. En Guinée, par exemple, on a recensé 2 500  décès en milieu rural sur les 3 800 cas déclarés au plan national, soit environ 66% de personnes plus ou moins rattachées à l'activité agricole, que ce soit au niveau de la production ou dans les chaînes de valeur agricole.

Y a-t-il eu davantage de décès en milieu rural par manque d'infrastructures sanitaires ou est-ce lié aux caractéristiques de la maladie?

Contrairement aux épidémies survenues avant 2013 dans d’autres régions d’Afrique, la maladie en Afrique de l’Ouest a aussi fait des ravages en milieu urbain, ce qui a conduit à sa diffusion du fait des mouvements de populations dans des zones à forte densité humaine et interconnectées. La maladie trouve cependant son origine en milieu rural, à l’interface entre l’homme, la faune sauvage et l’environnement. En milieu rural, dans des zones isolées et difficiles d’accès, les aspects culturels et sociaux ont pu jouer un rôle dans l’apparition de résistance et la difficulté de lutter contre la maladie. Ceci a mis en lueur l’importance fondamentale d’impliquer dès le départ les communautés dans la prévention et le contrôle de la maladie, et des maladies infectieuses en général.

Vous avez évoqué des chiffres sur 2014. Qu'en est-il de 2015 en terme d'impact sur la production agricole?

La production agricole a apparemment bien repris en 2015. Pour certaines cultures, les niveaux de production ont retrouvé leur niveau pré-Ebola et ceci dans les 3 pays. En Guinée, les productions de riz et de maïs ont augmenté de 3,9% et 4,13% respectivement. De même au Liberia, les prévisions de production de riz et de manioc sont en nette en augmentation pour la campagne agricole 2015/16: 11,3 % et 9,4 % respectivement par rapport à la campagne précédente et de 2,1% et 3,1% par rapport  à la moyenne 2009-2013, selon le Cadre Harmonisé 2015*. En Sierra Leone, les estimations de production pour la campagne 2015/16 sont assez satisfaisantes avec des augmentations par rapport à la campagne 2014/15 pour le riz (34%), le manioc (24%) et l’arachide (8%).

Ainsi, la production est plutôt revenue à la normale, voire à augmenter. Car, dans le cadre des efforts pour lutter contre Ebola, des soutiens aux filières de production ont été mis en place  dans le cadre de programmes spéciaux pour limiter l’impact sur l’agriculture et la sécurité alimentaire. On peut affirmer que le secteur agricole est en cours de relèvement. Toutefois les ménages les plus vulnérables ont besoin d’assistance agricole pour restaurer leurs moyens d’existence.

Comment tout ceci se traduit-il sur les stocks nationaux aujourd'hui ?

Comme les stocks n'ont pas diminué de façon drastique, ils sont revenus aujourd'hui, peu ou prou, à leur niveau d'avant. Les prix sont aujourd'hui relativement stables.

Et sur les réseaux commerciaux ?

Au début de l'épidémie, la commercialisation des produits le long des chaines de valeurs  a été très perturbée par les mesures de restriction mises en place pour contrôler la maladie, y compris la fermeture des frontières. L’épidémie à virus Ebola a, en effet, perturbé le fonctionnement de plusieurs chaînes de valeur transfrontalières et marchés agricoles qui représentent des plateformes d’échanges des produits agricoles dans la sous-région. Par exemple, la frontière entre la Guinée et le Sénégal étant fermée, les produits tels que la pomme de terre produite en grande quantité en Guinée et destinée en partie à l’exportation ne pouvaient plus s’écouler.

©FAO/K. Jaward

Quelles ont été les pertes post-récoltes ?

Ils sont difficiles à quantifier et nous de disposons pas de statistiques précises sur le sujet. Elles étaient certainement importantes, à voir les quantités de produits présents sur certains marchés et ne trouvant plus d’acheteurs par faute de transport, de débouchés transfrontaliers et de perte de pouvoir d’achat.

Quelle a été le volume total d'aide alimentaire, de nourriture importée et distribuée ?

Le PAM, une agence sœur de la FAO, est l’organisation qui assure la logistique de l’aide alimentaire. Sa stratégie a consisté à apporter une  aide alimentaire aux ménages directement affectés par la maladie (patients, orphelin, survivants, etc.). Le PAM a commencé à fournir une assistance par le biais de transferts monétaires aux survivants Ebola en plus d’une ration de 30 jours de nourriture hautement nutritive. Il y avait du riz mais aussi des lentilles, du sel iodé, des haricots, de l'huile végétal, du sucre. Par exemple, les achats du PAM entre mars 2014 et janvier 2016 se sont élevés à 80 805 tonnes (t) de riz, 6 838 t de pois cassés, 3 453 t de haricots, 1825 t de lentilles ou encore 64 t de pois. L’UNICEF et ses partenaires ont fourni des conseils et de la nourriture thérapeutique aux patients Ebola dans les centres de traitement.

Suite à Ebola, la carte de la population agricole a-t-elle changé en Afrique de l'Ouest ?

Pas véritablement. Des gens se sont déplacés à cause d'Ebola mais de façon ponctuelle. Ils sont rentrés, tous ou en partie.

Il y a eu un nouveau cas d'Ebola il y a une dizaine de jours. Les pays sont-ils mieux préparés, notamment en matière agricole et alimentaire ?

Les pays ont mis en place des Plans de préparation à l'urgence et de riposte, qui permettent de réagir le plus rapidement possible. Au niveau des gouvernements, des comités de lutte multidisciplinaires ont été constitués avec, autour de la table, les différents acteurs du secteur de la santé, agricole, de la protection civile, de la communication, etc. Tous ces pays ont beaucoup travaillé pour mettre en place une réponse rapide, efficace et coordonnée. La rapidité de la détection, du diagnostic et de la réponse sont la clé pour pouvoir endiguer cette maladie.

Au niveau agricole, les interventions sont moins spécifiques qu'au plan médical, bien sûr.  En réalité, pour prévenir l'impact d'une telle épidémie sur l'agriculture et la sécurité alimentaire, il faut intégrer un volet agricole dans les  plans de relance de l'économie, faisant appel à des  stratégies nécessaires pour le développement d’une agriculture durable et forte, résiliente aux chocs de tous ordres.

C'est-à-dire?                                  

Il s'agit de renforcer le secteur agricole dans son ensemble, de développer les routes et les infrastructures permettant de mieux relier les zones de production aux marchés, de mettre en place des zones de stockage, avoir du matériel de transformation car un produit transformé se conserve mieux, encourager l’accès des agriculteurs au crédit et les connecter aux marchés afin qu’ils puissent écouler leur production avant même de l’avoir produite. Dans le cadre de nos interventions, nous avions évoqué la possibilité de créer des « corridors commerciaux » à l’image des corridors humanitaires, permettant la commercialisation et circulation des produits agricoles malgré la maladie, tout en renforçant les contrôles sanitaires dans le respect des règles de santé publique. Ceci pour atténuer le « double » impact de la maladie, sur la santé, mais aussi sur la sécurité alimentaire et le pouvoir d’achat des ménages.

La viande de brousse a-t-elle recommencé à être consommée et vendue?

Nous n’avons pas de données sur la question. Pendant l’épidémie, j’ai eu l’occasion de rencontrer des personnes qui, ne pouvant plus commercer la viande de brousse, ont été soutenues par la FAO pour se lancer dans d'autres activités notamment agricoles comme le maraîchage.

 

* Cadre Harmonisé d’analyse et d’identification des zones à risque et des populations en insécurité alimentaire au Sahel et en Afrique de l’Ouest (CH)

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