Dr. Siaka Kone, directeur ESA : Les enseignements d’Israël sur l’eau changent le paradigme agricole en Côte d’Ivoire

 Dr. Siaka Kone, directeur ESA : Les enseignements d’Israël sur l’eau changent le paradigme agricole en Côte d’Ivoire
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L’Institut national polytechnique Houphouët-Boigny (INP-HB) de Yamoussoukro à travers l’Ecole supérieure d’agronomie (ESA) a développé depuis cinq ans un important partenariat avec Israël, explique Dr Siaka Kone, directeur de l’ESA, tant en termes de formation que de techniques, notamment la maîtrise de l’eau.

 

 

Comment avez-vous été amené à collaborer avec Israël ?

Je suis Dr. Kone Siaka, directeur de l’Ecole supérieure d’agronomie depuis près de 10 ans. L’Ecole existe depuis plus de 50 ans et forme des cadres dans le secteur des sciences agronomiques. Plus précisément, nous formons des ingénieurs agronomes de niveau Bac +5, des ingénieurs des techniques agricoles de niveau Bac +4 et des techniciens supérieurs en agronomie ayant des licences professionnelles, soit un niveau Bac +3.

Nous avons des partenaires diversifiés, qu’ils soient académiques, institutionnels, de développement ou encore financiers comme la Banque mondiale et la Banque africaine de développement. Ces partenariats portent sur trois grands domaines – l’académique, le scientifique et le développement en faveur des communautés – car notre institution est un instrument pour soutenir le développement et donner une impulsion dans divers domaines dont les sciences agronomiques.

Israël figure parmi nos partenaires majeurs et chacun sait qu’Israël est un grand pays agricole pour deux raisons : il connait des grandes contraintes en eau et pourtant on connait leur productivité ; ils utilisent de petites surfaces pour produire d’importants volumes. Ils produisent donc à flux tendu et c’est très important.

A quand remonte ce partenariat ?

Nous avons un partenariat privilégié depuis 5 ans maintenant avec l’Ambassade d’Israël. Ce partenariat porte sur deux grands domaines. Tout d’abord, un programme mobilité qui permet chaque année, après un test de sélection, à une vingtaine ou trentaine de jeunes étudiants de faire une année de césure en Israël sur toutes les pratiques agricoles tout le long de la chaine de valeur agricole (de la production à la transformation). Ces jeunes restent 11 mois puis reviennent en Côte d‘Ivoire pour obtenir leur diplôme. Cette mobilité est importante pour notre école car, en Israël, ils voient des bonnes pratiques agricoles concrètes et des choses nouvelles tant en termes de mentalité que de capacités à conduire des programmes.

Le deuxième programme porte sur la parcelle expérimentale et d’applications de pratiques agricoles au sein de l’Institut national polytechnique et plus spécialement de l’ESA. Cette parcelle permet la production intensive d’aliments de bonne qualité et en situation de maîtrise d’eau. Car, même si on pense qu’il pleut abondamment en Côte d’Ivoire, le vrai problème est l’irrégularité des pluies et leurs décalages fréquents par rapport aux calendriers agricoles. Durant les périodes de soudure, un producteur se trouve en situation d’insécurité alimentaire parce qu’il ne pleut plus. Par conséquent, la maîtrise de l’eau dans un pays apparemment bien arrosé comme la Côte d’Ivoire permet d’avoir des flux de production constants, calibrés et maîtrisés dans un contexte national où on attire les jeunes vers le secteur agricole. Ils ont besoin de revenus décents et réguliers. L’agriculture doit constituer une bonne alternative au chômage.

En quoi consiste cette parcelle précisément ?

Cette parcelle a été installée en 2018 avec la collaboration d’experts venus d’Israël, financés par le programme Mashav*, avec l’appui de l’Ambassade d’Israël à Abidjan. Les experts israéliens conjointement avec des enseignants ivoiriens ont identifié une zone sur laquelle nous avons fait des études préliminaires. Ceci a débouché sur la mise en place de cette parcelle de 2 hectares (ha) subdivisés en huit petits blocs de 0,25 ha sur lesquels on peut faire huit types de cultures différentes.

Cette parcelle a plusieurs objectifs. Tout d’abord, pédagogique car c’est un bon laboratoire à ciel ouvert et un champ d’application pour environ 35 étudiants. Chaque semaine, les classes se succèdent et voient comment cela se passe en termes de cultures intensives.

Ce qui est très intéressant dans ce type de partenariat est qu’une fois les équipements arrivés, les installations ont été faites en impliquant les enseignants de l’INP-HB et les étudiants de l’ESA. Donc il existe une vraie volonté de transfert de compétences et de technologies, avec une assistance d’Israël.

Chaque année, on définit des thématiques autour, par exemple, de la gestion de l’eau, de la commercialisation des produits, la mise en marché, les discussions avec les partenaires financiers, la maitrise de l’environnement des affaires, etc. Tout ce qui va structurer une exploitation agricole au sens large. D’ailleurs, nous parlons d’agripreneur et non d’agriculteurs.

La parcelle a donc une vocation purement productrice…

Non, à côté de l’aspect pédagogique, la parcelle a une vocation expérimentale en matière de maîtrise de l’eau. Car on se rend compte que la contrainte n’est pas nécessairement le sol mais l’eau. Ceci révolutionne le discours pour nous qui sommes agronomes à la base. On utilise l’irrigation au goutte à goutte qui est performant et moins cher.

Cette parcelle est importante aussi en termes d’impact de l’emploi des jeunes dans la région. La parcelle constitue un appui important à l’incubateur de l’Ecole supérieure d’agronomie. Cet incubateur est ouvert aux étudiants de l’ESA mais aussi à d’autres universités ainsi qu’aux déscolarisés.

Donc il y a deux grands objectifs : accompagner des jeunes qui veulent se lancer dans ce type d’exploitation ; recruter d’autres jeunes qui viennent d‘autres universités comme des jeunes diplômés en communication, secrétariat, ou autres. Ce sont des jeunes qui veulent travailler dans l’agriculture mais qui n’ont pas fait d’école d’agronomie. Nous leur proposons un stage pour accroitre leur niveau de connaissances afin qu’ils puissent conduire ce type d’exploitation.

 On utilise aussi ces parcelles pour les montrer à des décideurs politiques et les sensibiliser à, par exemple, détaxer certains équipements dans certaines régions ce qui aiderait des jeunes à s’installer et à tendre vers l’autosuffisance alimentaire. Car avec des équipements relativement simples en matière technologique, on arrive à produire tout au long de l’année.

Combien de jeunes avez-vous ainsi formé dans ce cadre jusqu’à maintenant ?

Au bout de trois ans, nous avons formé environ 600 jeunes de 15 à 35 ans, dont 40% de femmes et 60% d’hommes.

Mais cet appui israélien nous a permis d’approcher d’autres bailleurs car, grâce à cet équipement, on peut montrer des choses qui fonctionnent sur 2 ha. A partir de ce terrain expérimental, on peut faire des simulations pour que dans chaque région de Côte d‘Ivoire, on puisse reproduire ce schéma qui fonctionne.

C’est plutôt une collaboration technique que financière avec Israël ?

La finance est toujours attachée aux activités. Mais on n’a pas de flux monétaires. Ceci dit, lorsqu’on vous donne des équipements et lorsque vous faites venir des techniciens d’Israël, ou lorsque vous faites des formations à distance, cela a un coût financier. En outre, le fait de ne pas percevoir d’argent accroît votre maturité pour conduire ce type de projet.

D’ailleurs, à partir de ceci, nous avons pu capter l’intérêt d’autres bailleurs comme la Banque africaine de développement, les ministères de l’Emploi des jeunes, de l’Agriculture et mêmes des entrepreneurs individuels et des communautés qui nous ont dit : on a appris que vous faisiez de la banane en contre-saison et cela nous intéresse.

Car la grande problématique de notre pays est qu’on est contraint par le climat et donc toutes les récoltes arrivent au même moment. Or, en maîtrisant l’eau, on peut révolutionner le calendrier de production. Par exemple, un cacaoyer qu’on plante habituellement en juin, nous l’avons planté en décembre. Ainsi, un producteur qui a ce genre d’équipements, peut lisser son calendrier de production et accroître ses revenus. La maîtrise de l’eau est la plus grande innovation : ça change le paradigme et donc ça change la vision que les jeunes ont de l’agriculture.

Que sont devenus vos étudiants ?

La parcelle est maintenant gérée par la première promotion qui est partie en Israël donc on peut vraiment parler de réussite. Sinon, nos diplômés sont dans toutes les entreprises qui jouent la carte de la maîtrise de l’eau et qui font du goutte à goutte en Côte d’Ivoire.

Ainsi, après 3 ou 4 ans de partenariat avec l’ambassade d’Israël en Cote d’Ivoire on voit les impacts bénéfiques de ce programme. En quelques années, cet équipement peut changer la donne car ça réduit l’aléa lié à l’agriculture. En outre, l’équipement coûte moins de 20 millions FCFA pour 5 ha et il peut être facilement entretenue. Donc il n’y a pas de question à se poser. Il faut y aller ! Ceci dit, les défis techniques demeurent et l’Ambassade d’Israël demeure attentive.

 

*Mashav: Agence israélienne de coopération internationale pour le développement, qui fait partie du ministère israélien des Affaires étrangères

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