Le bilan paradoxal de la campagne de noix de cajou 2015 en Afrique de l’Ouest

 Le bilan paradoxal de la campagne de noix de cajou 2015 en Afrique de l’Ouest
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La campagne de commercialisation de la noix de cajou tire à sa fin en Afrique de l’Ouest. Cette année, d’après nos estimations, l’Afrique de l’Ouest est devenue la première zone de production de noix de cajou dans le monde avec une production supérieure à 1 350 000 tonnes de noix brute devant l’Asie (Inde, Vietnam, Cambodge, Indonésie) autour des 1 300 000 tonnes.

La sous-région connait une forte croissance de sa production depuis le début des années 2000 (près de 10% par an en moyenne). Une croissance tirée par le très fort intérêt des producteurs pour cette culture arboricole d’exportation qui demande peu de travail, est très complémentaire des autres cultures annuelles (céréales, arachide, coton, etc.) et se vend facilement. Depuis 2012, la noix de cajou est devenue la deuxième ressource agricole d’exportation d’Afrique de l’Ouest.

Des producteurs qui fêtent « la meilleure campagne de leur vie »

Pourtant très peu de producteurs d’anacarde espéraient vendre un jour à un prix aussi élevé que celui qui leur a été offert cette année. Poussé par une très bonne demande à l’échelle mondiale, le prix de l’anacarde est monté à un niveau élevé sur le marché international avec une majorité d’exportations de noix brute réalisées entre 1200 et 1500 $/t selon les qualités contre 700 à 1100 $/t les années antérieures. Par le passé, les cours internationaux de l’anacarde étaient déjà montés plus haut, notamment en 2011 où ils évoluaient entre 1400 et 1800 $/t.  Mais, cette campagne la hausse des prix mondiaux a été fortement amplifiée par la dévaluation des principales monnaies de la sous-région (Franc CFA, Ghanean Cedi, Nigerian Naira, Franc Guinéen, Gambian Dalasi), ce qui a permis aux producteurs d’obtenir des prix jamais atteints par le passé.

Dans les pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), les prix pratiqués pour l’achat au producteur ont évolué entre 300 et 700 FCFA/kg.  Au cours des 15 dernières années, ils se situaient entre 100 FCFA/kg les mauvaises campagnes et 350 FCFA/kg lors des meilleures. Aujourd’hui, c’est donc la fête dans les villages de producteurs d’anacarde du Nigeria jusqu’au Sénégal. Alors que les prix déjà très bons de la campagne 2011 avaient permis à beaucoup de producteurs de s’équiper en motos, aujourd’hui, c’est le ciment qui coule à flot beaucoup de familles profitant des prix élevés pour construire leur première maison « en dur ».

Des transformateurs locaux très ébranlés

Malheureusement, toute médaille a son revers tant que des mécanismes ne sont pas mis en place pour assurer un développement sectoriel réellement durable de la filière noix de cajou. Faisant face à un prix de la matière première qui a plus que doublé, les transformateurs artisanaux comme industriels de noix de cajou ont dans leur quasi-totalité fermé leurs usines.

Pourtant, l’activité de transformation de l’anacarde connaissait un essor considérable dans la sous-région ces dernières années. Dans tous les pays, de nombreux investisseurs nationaux et étrangers ont construits des usines petites, moyennes ou grosses et les quantités de matière première transformées localement ont été multipliées par 4 entre 2011 et 2014.

 

Évolution des volumes de noix de cajou brute transformée en Afrique de l’Ouest et de leur répartition par pays. En 2015, seuls les volumes transformés en Côte d’Ivoire devraient augmenter grâce à la croissance des activités du groupe singapourien Olam. Tous les autres investisseurs dans le secteur de la transformation d’anacarde devraient arrêter leurs usines ou réduire fortement leur activité.

La compétitivité de ce secteur demeure précaire. Le principal avantage comparatif pour les transformateurs de la sous-région est le coût de la matière première moins élevé qu’en Asie.  Toutefois les entreprises locales souffrent d’un déficit de compétitivité sur l’amortissement des équipements, la productivité et le coût de la main d’œuvre, la valorisation des sous-produits et surtout les frais financiers qui sont beaucoup plus élevés qu’en Asie. Lorsque le prix de la noix de cajou brute est à niveau proche de la moyenne des prix pratiqués au cours des dernières années, la transformation de noix de cajou en Afrique de l’Ouest peut être compétitive avec l’industrie vietnamienne mais lorsque les prix s’envolent, elle ne peut pas suivre.

Des perspectives inquiétantes

Les perspectives pour la prochaine campagne d’anacarde laissent penser que la situation devrait être comparable à celle de cette année. En effet, la croissance de la demande en noix de cajou et la dévaluation des monnaies d’Afrique de l’Ouest devraient continuer d’ici l’année prochaine. Dans ces conditions, certains transformateurs pensent d’ores et déjà à revendre leurs installations et abandonner leurs activités si les pouvoirs publics ne réagissent pas.

Sans nuire aux intérêts des producteurs, il est possible de protéger le développement de l’industrie d’anacarde en Afrique de l’Ouest qui a déjà créé des milliers d’emplois et pourraient en créer des dizaines de milliers supplémentaires. La problématique est avant tout politique. Aujourd’hui, les gouvernements et leurs partenaires techniques et financiers se félicitent d’une croissance de la production et de prix élevés, qui sont les conséquences d’une évolution structurelle du marché mondial, et tardent à réaliser que l’action politique dans la filière anacarde ne doit pas se concentrer sur l’appui à la production (qui est dynamique sans incitation) mais sur l’appui à la transformation qui est un secteur extrêmement stratégique pour la sous-région et dont le développement bénéficierait fortement aux producteurs et à l’ensemble de la filière.

 

Pierre Ricau, analyste de marchés agricoles pour N’Kalô

 

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