European Milk Board en guerre contre le dumping du lait en Afrique

 European Milk Board en guerre contre le dumping du lait en Afrique
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Pour Erwin Schöpges, président de l’European Milk Board (EMB), il faut cesser de faire du dumping de lait européen en Afrique, et faire jouer la solidarité euro-africaine entre éleveurs pour préserver les filières comme c’est le cas depuis 10 ans. L’enjeu est de taille, explique à CommodAfrica, le patron d’EMB, une association qui représente quelque 100 000 producteurs laitiers de 15 pays européens. Il s’agit pour chaque éleveur, européen comme africain, de vivre décemment de son travail et éviter la destructuration de pans entiers de l’économie et de structures sociales. *

En avril, Erwin Schöpges, 53 ans, a succédé pour un mandat de deux ans à l’Allemand Romuald Schaber, qui a été président de l’EMB pendant 12 ans.

Quelle est l’action de l’EMB envers l’Afrique de l’Ouest ?

On a créé des alliances avec Oxfam, SOS Faim, Vétérinaire sans frontières afin de créer un échange direct entre les producteurs laitiers ici en Europe et en Afrique. Au Burkina, nous avons un projet qui s’appelle Le lait équitable Fairefaso. Dans le cadre de cet échange et avec 5 ou 6 autres pays africains, on a vu que la problématique là-bas était plus ou moins la même que celle des producteurs ici en Europe.

Votre coopération remonte à quand ?

Elle a démarré en 2009 lorsqu’il y a eu la grève du lait ici en Europe et que nous avons épandu le lait dans les champs : en Belgique, on a épandu 3 millions de litres de lait, ainsi qu’en France, au Mont St Michel et dans diverses autres régions de la France.

Nous avons alors reçu le soutien d’une cinquantaine d’organisations africaines qui soutenait le fait qu’on jette ici notre lait dans les champs, alors qu’ici en Europe on nous l’a reproché, disant qu’on ferait mieux d’envoyer ce lait là en Afrique. Ce soutien africain nous a étonné nous-mêmes. Il est venu au travers d’Oxfam et c’est alors qu’on est entré en dialogue avec les éleveurs africains. Je me suis rendu dans divers pays africains où j’ai pu constater que les producteurs sur place n’arrivaient plus à vendre leur production sur les marchés locaux car notre poudre de lait, dérivée de nos excédents laitiers et souvent enrichie avec de l’huile de palme, transformée en produits finis, est vendue sur les marchés à un prix souvent inférieur à la production locale. De ce fait, les petits agriculteurs locaux n’arrivent souvent plus à vendre leur lait.

Voulez-vous dire que le Board européen n’a pas pour vocation en Afrique à y trouver un débouché commercial mais poursuit une cause altruiste ?

La vision de l’European Milk Board n’est pas d’exporter de la poudre de lait dans les pays africains et faire du dumping sur ces marchés. C’est plutôt la vision des grandes laiteries coopératives ou des multinationales qui, aujourd’hui, ont beaucoup trop de lait et cherchent de nouveaux marchés. Car le marché en Russie n’est plus là, celui en Chine est saturé, etc. Donc le seul marché à découvrir est le marché africain. C’est pourquoi on exporte la poudre de lait là-bas. Mais ce qui est problématique ce n’est pas d’exporter la poudre de lait vers ces pays mais d’y faire du dumping, empêchant les agriculteurs sur place à développer leur modèle d’agriculture. En outre, le lait en poudre exporté là-bas ne valorise même pas une rémunération correcte pour les producteurs européens car c’est la surproduction européenne qu’on exporte. Il vaudrait mieux baisser la production européenne de 1% ou 2% au lieu de continuer la surproduction, la mettre en poudre et l’exporter vers l’Afrique.

Tout le monde ne pense pas comme nous et les grandes laiteries essaient d’expliquer aux agriculteurs qu’il existe des marchés à prendre là-bas. Et de nombreux agriculteurs ne sont pas informés de ce qui s’y passe.

Combien l’UE exporte-t-elle de lait vers l’Afrique ?

On ne connaît pas exactement les chiffres et je ne sais pas si les chiffres qu’on connaît sont vraiment justes. Mais la seule chose c’est que les grands industriels comme Danone, Lactalis, Arla Foods, etc. sont très forts et très agressifs sur les marchés africains depuis une dizaine d’années.

Dans quels pays africains êtes-vous impliqués actuellement ?

Actuellement, nous avons lancé il y a trois ans un projet avec l’Union des mini-laiteries au Burkina qui regroupe 45 mini-laiteries, en partenariat avec Fairebel en Belgique, Fairefrance afin de les aider à créer une marque équitable de lait. C’est important aussi au niveau de la communication. Actuellement, on soutient financièrement  quatre mini-laiteries au Burkina. Mais ce qui est plus important est l’échange d’idées et de savoir-faire entre producteurs qui se fait maintenant depuis 2009.

Vous êtes ailleurs en Afrique ?

Je suis allé au Sénégal où nous sommes en train chercher une structure sérieuse de partenariat. J’ai aussi actuellement une demande de partenariat avec Vétérinaires sans Frontières pour le Mali. La Mauritanie semble intéressée aussi. Mais nous n’avons ni les moyens, ni les capacités pour aider toute l’Afrique. Il faut déjà trouver des partenaires sérieux pour avancer sur des projets.

En fait, on pense toujours le commerce équitable en termes de commerce Nord-Sud mais notre vision -et on y travaille déjà depuis des années- est de développer un commerce équitable Nord-Nord et en faire un Sud-Sud. Je vois des mini-laiteries en Afrique qui arrêtent de transformer le lait, des jeunes qui ne restent plus dans les villages et partent dans les grandes villes où ils ne trouvent pas de travail. Il ne faudra pas s’étonner qu’il y ait, dans 4 ou 5 ans, une nouvelle vague de migrants qui viendra ici en Europe.

La création de mini-laiteries implique-t-elle que les éleveurs se sédentarisent ? Car dans un pays comme le Burkina, 85% de la production laitière vient du pastoralisme…

Une mini-laiterie transforme en période hivernale environ 500 litres par jour et en période sèche 200 à 300 litres de lait fourni par une quarantaine de familles ; ici, en Europe, un producteur de lait produit 1000 ou 2000 litres de lait par jour. Dans le cadre pastoral, le lait est souvent le seul revenu financier pour acheter du riz ou des vêtements. Donc on est en train de détruire toutes ces structures.

Pensez-vous que le pastoralisme, avec les conflits que cela génère avec les agriculteurs, représente l’avenir ?

Oui, j’y crois à 100%. Mais c’est clair qu’il faudra sans doute améliorer leur système et développer des possibilités de développer des petits troupeaux bien nourris, bien élevés. Mais je pense que le pastoralisme est très important dans ces régions. Sa destruction créerait une grande misère dans ces pays. Même ici en Europe, des villages comptaient 40 ou 50 agriculteurs avec, chacun, 10 ou 15 vaches. On a dit que ces modèles ne sont plus viables et aujourd’hui on a des fermes de 100, 200, voire 1000 vaches. Pensez-vous que cela a été la bonne évolution ? Avec des exploitations familiales, on aurait aujourd’hui sans doute moins de problèmes avec l’agriculture. Si on avait gardé l’agriculture familiale en Europe, avec un revenu correct et des prix équitables, de nombreux jeunes pourraient reprendre l’exploitation de leurs parents. On a détruit les structures familiales.

C’est la même chose en Afrique. Si on détruit le pastoralisme, il ne faut pas croire que le modèle d’agriculture va s’améliorer. Quelques industries s’installeront et ils mettront la main sur la production alimentaire. C’est un danger dont ne se rendent pas compte nombre de responsables politiques. Mais on pourrait envisager que des mini-laiteries jalonnent les voies de transhumance du bétail.

Vous savez, depuis 30 ou 50 ans, on aide l’Afrique à se développer. Or, aucune structure, aucune fabrication laitière s’est installée là-bas. On ne peut pas dire que la politique laitière vis-à-vis de l’Afrique ait été un plein succès. Donc pourquoi pas, maintenant, installer des industries laitières au lieu d’envoyer de la poudre de lait.

 

* http://www.commodafrica.com/node/15268/edit

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