Pourquoi le café Robusta ne décolle-t-il pas en Afrique de l’Ouest?

 Pourquoi le café Robusta ne décolle-t-il pas en Afrique de l’Ouest?
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Pour Denis Seudieu, chef économiste à l’Organisation internationale du café (OIC), le démarrage tardif de la compagne de commercialisation du café en Côte d’Ivoire explique le manque d’engouement pour cette culture du Robusta face au cacao. Des filières, au plan national, qui sont lourdement impactés par les flux de contrebande, certains pays comme la Guinée, le Sénégal, le Mali étant d’importants consommateurs de café.

Un Robusta dont le prix mondial a bien augmenté, souligne le spécialiste qui livre son analyse du marché mondial, estimant que la distinction entre pays producteurs et pays consommateurs est appelée à disparaître prochainement.

Une interview exclusive CommodAfrica.

Le café Robusta en Afrique de l’ouest ne semble pas décoller. Pourquoi ?

Oui, les filières ne démarrent pas car les politiques de soutien n’ont pas encore eu d’effets. La production est toujours relativement faible. Il faut encore un peu attendre pour savoir si les stratégies de relance en Côte d’Ivoire, au Cameroun et ailleurs auront un impact.

Si on regarde la Côte d’Ivoire, on a l’impression que tout est fait pour le cacao mais le café, on n’en entend peu parler….

Les autorités mettent beaucoup plus l’accent sur le cacao car ce sont de gros volumes et la filière occupe une bonne partie de la population du pays. La production de café en Côte d’Ivoire est attendue aux alentours des 1,5 millions de sacs de 60 kg cette campagne 2017/18, soit environ 90 000 tonnes (t). On est loin des 300 000 t en 2000. Dans le cadre de la politique de relance approuvée par le gouvernement courant 2014, il était prévu qu’on atteigne 200 000 t au bout de 3 ou 4 ans. Mais on stagne à 90 000-120 000 t.

A cela s’ajoute la contrebande car, vu l’état des routes , les producteurs dans les zones de production près des frontières préfèrent aller vendre dans les pays limitrophes . La consommation de café en Guinée, comme au Sénégal, est très importante et les unités de transformation locales, notamment en Guinée, vont acheter du café à la frontière avec la Côte d’Ivoire.

Ces flux frauduleux ont, plus ou moins, toujours existé mais ces dernières années, ils se sont amplifiés car la production dans ces zones frontalières augmente. On ne le sent pas au niveau des statistiques nationales ivoiriennes puisqu’une bonne partie est exportée frauduleusement.

Dès le mois de mai chaque année, les unités de transformation dans les pays voisins sont à la recherche de café. Donc les producteurs ivoiriens partent en Guinée où leur café est bien payé puisque la taxe/prélèvement est faible. C’est un phénomène connu du Conseil du café-cacao (CCC) qui est en train d’examiner les mesures à prendre en consultation avec les autorités administratives dans ces zones.

En tenant compte de ces fraudes, à combien peut-on estimer la production réelle de la Côte d’Ivoire ?

La production réelle doit être autour de 150 000 t actuellement. Donc entre 30 000 à 50 000 t sortiraient frauduleusement.

Il y a des raisons objectives à cela. Bien que le prix au producteur en Côte d’Ivoire soit relativement bon par rapport au cacao, des efforts supplémentaires peuvent être faits pour encourager les producteurs à vendre au niveau national.

D’autre part, les routes sont souvent dégradées : un producteur ivoirien à 60 km d’une ville peut facilement mettre 4 heures pour les parcourir. S’il est à 10 km de la Guinée, il va en Guinée ! Le calcul est simple…

Troisièmement, la campagne de commercialisation du café démarre très tardivement, en décembre ou janvier et sans tapage médiatique pour conditionner les opérateurs, alors que la campagne du cacao a démarré dès le mois d’octobre en présence de toute la presse locale et internationale.

La Guinée, le Sénégal, le Mali, grands consommateurs de café

Pourquoi est-ce ainsi ?

C’est la décision de l’Etat ivoirien depuis longtemps. La campagne cacao démarre le 1er octobre et la campagne café un peu plus tard. Ils n’ont pas pensé que cela pouvait avoir des répercussions sur le comportement des producteurs, notamment les besoins de liquidité pour les fêtes de fin d’année.

Mais pourquoi ne pas coller à la réalité physique de la campagne ?

Je ne peux pas répondre à cela. Auparavant, les deux campagnes commençaient le 1er octobre. Puis avec les réformes, le cacao a été programmé en octobre et le café en janvier. Or, le producteur de café a, comme tout le monde, besoin d’argent notamment pour les fêtes de fin d’année. Donc, soit le planteur vend plus tôt à des pisteurs véreux, soit il va à l’extérieur et vend son café.

Les autorités ont fait récemment, en décembre, une mission dans les zones de production. Ils seront sans doute appelés à prendre des dispositions utiles.

Le producteur ivoirien a-t-il le choix entre cultiver du café et cultiver du cacao? En d’autres termes, est-ce les mêmes zones de production ?

Dans beaucoup de cas, oui. Mais dans la zone montagneuse, dans la région de Man, on peut faire du cacao mais les plants ne durent pas très longtemps, une dizaine d’années, à cause des sols rocheux. La culture du café est plus adaptée et plus intéressante.

Quel prix peut-on obtenir en Guinée pour du café par rapport à la Côte d’Ivoire ?

J’ai pu interroger un certain nombre de producteurs qui m’ont dit pouvoir obtenir en Guinée FCFA 800 à 1000 et même davantage du kilo, contre FCFA 600-750 en Côte d’Ivoire. Mais la distance par rapport au centre de commercialisation (ville proche) est un facteur à prendre en compte.

Des industries comme Nestlé en Côte d’Ivoire, combien achètent-ils de la récolte ivoirienne ?

Nestlé a besoin d’environ 20 000 t de café en Côte d’Ivoire selon certains opérateurs que nous avons interrogés. Nestlé encadre des coopératives de producteurs donc il lui est beaucoup plus facile de sécuriser ses sources d’approvisionnement et Nestlé peut aussi obtenir les qualités de café dont il a besoin. Olam fait la même chose mais il ne transforme pas, il exporte.

Sinon, il y a la demande de petites PME nationales qui transforment le café, comme Pierre André au Cameroun, etc.

Nestlé Côte d’Ivoire exporte toujours au Cameroun ?

Oui, comme ils ont aussi une usine au Cameroun, ils ont un régime spécial tant à l’exportation qu’à l’importation car ils font des mélanges.

Sinon, pour l’ensemble du café ivoirien exporté, les premières destinations sont l’Algérie, suivie de la Tunisie.

Comment voyez-vous l’évolution des prix au planteur en Côte d’Ivoire ?

La baisse des cours internationaux du Robusta actuellement n’est pas aussi dramatique que l’année dernière. Donc je pense que le gouvernement essaiera de maintenir le cap pour encourager la relance du café.

Comment évolue le Togo en matière de café ? Voit-on un redémarrage ?

Le volume est encore faible et on ne constate pas vraiment de redémarrage. C’est en dents de scie. On 2014/15, la production a atteint 143 000 sacs, ce qui est peu à l’échelle mondiale mais beaucoup pour le Togo. En 2015/16, elle est tombée à 55 000 sacs. Cela devrait remonter durant l’actuelle campagne qui a démarré en octobre.

Là aussi, une bonne partie de la production togolaise part au Ghana pour être exporté comme café ghanéen. C’est toujours le même problème frontalier : le producteur togolais obtient un meilleur prix pour son café auprès des acheteurs ghanéens. Mais la différence est moindre qu’entre la Côte d’Ivoire et la Guinée.

Qu’en est-il du Liberia et de la Guinée ?

Cela pourrait bouger en Guinée si on faisait abstraction de la production ivoirienne. Le secteur privé pourrait encourager la production guinéenne car la demande nationale est forte mais on voit peu d’investissements dans la production qui est d’environ 2 000 sacs. C’est négligeable.

A combien estime-t-on la consommation en Guinée et au Sénégal ?

La collecte de données dans ces pays pose problème mais on estime à près de 60 000 sacs soit environ 3600 tonnes. Mais il convient de noter que la Guinée, le Sénégal, le Mali consomment beaucoup de café. C’est aussi le cas de la Centrafrique qui se bat pour que son café ne parte pas au Tchad qui en a besoin pour sa consommation.

Et le Liberia ?

Sa production est tombée à 11 000 sacs, c’est très peu. L’Organisation inter-africaine du café (OIAC) avait un projet mais qui s’est heurté à divers problèmes notamment d’instabilité politique. Mais le potentiel est là.

En réalité, dans tous ces pays, tout dépend de l’institution locale. Si la filière n’est pas organisée, rien ne peut se passer.

“2018 ne sera pas une année évidente”

Quant au marché mondial du café, comment s’est-il comporté en 2017 ?

En 2017, les prix ont encore baissé mais il ne faut pas être alarmiste car il faut regarder le détail des chiffres. Par rapport à l’année 2016, les Doux de Colombie n’ont baissé que de 1,9%, les Brésil ont perdu 4% ; la plus forte baisse a été au niveau des Arabica Autres Doux qui ont perdu 8% sur l’année.

Ce sont les Robusta qui ont enregistré la plus forte hausse, de l’ordre de 13% entre 2016 et 2017 même si les prix ont baissé sur les deux derniers mois de l’année car les récoltes au Vietnam, en Indonésie, en Ouganda s’annoncent abondantes. L’Ouganda est le plus grand producteur de Robusta en Afrique.

Au niveau de la demande, qu’est-ce qui a marqué 2017 ?

La hausse de la demande intérieure dans les pays producteurs. Surtout au Brésil, au Mexique, en Ethiopie, en Indonésie, en Inde.

Je pense qu’on tend vers une disparition de la distinction entre pays producteurs et pays consommateurs car les marchés deviennent uniques : au Brésil, au Mexique, en inde, on produit et on consomme.

Le facteur monétaire a-t-il beaucoup joué sur le marché ?

En définitive, pas tellement.

Quelle est votre lecture sur 2018 ?

2018 ne sera pas une année évidente. Sauf si la consommation continue de monter. C’est vrai de l’Arabica comme du Robusta. Car on attend une production record de 159 millions de sacs avec un excédent de l’ordre de 3 millions de sacs avec le niveau actuel de consommation, ce qui peut affecter les prix cette année. L’année dernière, on était déjà à 158 million, ce qui était déjà une grande production.

Ceci dit, la consommation étant très forte, on ne risque pas vraiment de revivre une crise comme celle de 2000 où les prix étaient tombés très bas. Car même si les prix baissent en 2018, on part de niveaux assez élevés, donc on devrait rester à des niveaux raisonnables.

 

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