La création d’un centre africain de la gomme arabique au secours d’une filière méconnue

 La création d’un centre africain de la gomme arabique au secours d’une filière méconnue
Partager vers

La gomme arabique est  récoltée, bien souvent, par les plus pauvres des pays les plus pauvres au monde. Ceci en fait un levier d’autant plus formidable de développement qu’il s’agit d’une matière première fondamentale pour une large palette d’industries, a-t-il été rappelé vendredi à la Cnuced qui a présenté son tout premier rapport consacré à la gomme en présence des représentants de nombreuses délégations officielles à la Cnuced, mais aussi d’acteurs et de représentants de la filière dans des pays majeurs comme le Soudan, le Mali, le Tchad, etc. (lire nos informations).

Une filière, très concentrée, en plein essor

Une filière très mal connue en général par le grand public mais aussi par nombre d’acteurs du commerce international. Pourtant, elle est en plein essor : les ventes mondiales de gomme brute ont progressé de 194% en volume ces 25 dernières années, à 113 382 tonnes (t) en 2016, et de 58% en valeur, à $ 164,4 millions, a souligné Mario Jales, économiste au Service des produits de base à la Cnuced et auteur du rapport.

Une filière très concentrée avec  86% des volumes exportés provenant de trois pays, le Soudan (65%), le Tchad (13%) et le Nigeria (8%), même si la collecte de la gomme s’étire sur toute la longueur de la bande sahélienne et au-delà, de la Mauritanie à la Tanzanie. Cette zone du monde très fragilisée par l’insécurité et le terrorisme, les actions de Boko Haram ayant empêché nombre de producteurs de travailler, notamment ceux qui n’ont pas de plantations en tant que telles mais qui récoltent dans la savane, sur des acacias sauvages. Au Nigeria, c’est la principale cause de la chute des exportations qui sont passées de 40 000 t en 2009 à 11 000 t en 2013. “Sur des photos de Boko Haram, on voit les acacias dans le fond“, a souligné Tunde Mustapha, représentant du Nigeria auprès de la Cnuced.

La France contrôle l’international

A l’international, cette gomme arabique brute est achetée essentiellement par deux pays, l’Inde et la France, tous deux gros acteurs mondiaux de la chaîne agro-alimentaire : ces deux pays représentant 75% des volumes mondiaux importés. L’Inde est passé au premier rang en 2016, selon la Cnuced, avec 47 559 t importées contre 29 247 t en 2015 tandis que la France était à 38 224 t contre 44 422 t en 2015.

Quant à la gomme transformée, les exportations sont, là encore, très largement dominées par la France (69% avec 35 181 t) qui, avec le Royaume Uni (4006 t), l’Italie (3177 t), les Etats-Unis (2416 t) et l’Allemagne (2440 t), représentent 92%. Les entreprises Nexira et Alland & Robert en France, et le britannique Agrigum International, sont loin devant une kyrielle de plus petites. Leurs activités ont connu un essor fantastique ce dernier quart de siècle puisque les exportations de gommes transformées ont bondé de 158%; à noter que depuis peu, le Soudan a développé sa transformation et représente aujourd’hui 4,3% de l’offre mondiale.

A noter que les grands acteurs du secteur privé -les entreprises précitées mais aussi des utilisateurs finaux comme Coca-Cola, etc.- avaient été invités par la Cnuced à participer vendredi aux travaux, auraient hésités et, en définitive, auraient décliné l’invitation, préférant envoyer le représentant de l’Association pour la promotion internationale des gommes, Thorsten Hauser. Cette volonté de l’aval de la filière a vouloir se présenter collectivement est un des facteurs incitant les pays producteurs à se regrouper, eux aussi, pour renforcer leur pouvoir de négociation (voir infra).

Un “don de Dieu”

Ceci dit, ce n’est pas tant ce marché international de la gomme qui est le plus important pour des pays importants producteurs comme le Soudan, a expliqué Abdelmajid Abdelgader, secrétaire-général du Conseil de la gomme arabique, qui a d’ailleurs saisi l’occasion pour rappeler que le mot “arabique” dans gomme arabique ne signifiait pas que la gomme venait de pays arabes mais que “arabic” signifiait excellence,  transparence. En effet, ce sont les feuilles, les fleurs et le bois d’acacia qui sont d’une importance considérable pour l’économie locale.

“L’acacia n’est pas un produit agricole, c’est un produit économisateur d’environnement. Car l’acacia ne produit de la gomme que s’il ressent une menace dans son approvisionnement en eau“, d’où l’immense opportunité pour tous les pays connaissant d’importants stress hydriques.

En outre, cet arbre, “don de Dieu”, fournit 60% de l’alimentation bétail au Soudan ; son bois permet la construction de meubles, de maisons, de navires, d’ardoises pour écrire, etc. La plupart de la faune dans la région vit dans la région des acacias qui les alimentent. “Vous, en Europe, vos oiseaux ‘migrent” vers nos régions d’acacias durant six mois de l’année et nous devrions être payés pour ça !”, a souligné, avec humour, Abdelmajid Abdelgader.

Les prix demeureraient à la baisse

Le prix FOB de la gomme arabique Kordofan, la référence en la matière, a connu de très fortes fluctuations ces dix dernières année. Parti d’un pic de $ 4 200 la tonne à la mi-2006, suivant en cela le boom des matières premières, il a perdu $ 1 000 en six mois, pour sombrer à $ 1 800 début 2010. La nouvelle envolée des prix des matières premières en 2011 l’a portée à nouveau à $ 4 200 en 2011. Puis la gomme a oscillé entre $ 2 800 et 3 400 jusqu’en 2015 avant un nouveau plongeon en 2016. L’avenir n’est guère rassurant.

L’Afrique ne peut pas produire plus de 120 000 t selon les statistiques officielles mais les traders parlent d’une offre allant jusqu’à un million de tonnes. C’est pourquoi on s’attend à ce que les prix baissent encore cette année“, a souligné Abdelmajid Abdelgader à CommodAfrica. Selon le spécialiste, le prix souhaitable est un prix équilibré, pas trop élevé : “Pour l’acacia senegal, $ 3 000 serait bien et pour l’acacia  seyal $ 1 100-1 200 FOB. Mais le prix aujourd’hui, n’est pas bon : depuis 2017, il a baissé de quelque 50%“, a expliqué le responsable.

Selon le spécialiste Rongead, en janvier, les prix pratiqués au Soudan étaient entre $ 2500 et 2600 la tonne de gomme dure de l’acacia senegal et entre $ 650 et 750 pour la gomme friable issue de l’acacia seyal.

Vers la création d’un centre africain de la gomme arabique

La filière évolue avec une volonté de plus en plus déterminée des pays producteurs à s’organiser et à capter davantage de valeur ajoutée.

La situation malienne illustre cette évolution. “Le Mali a créé il y a un an la Fédération  nationale de la gomme arabique qui regroupe aujourd’hui 15 acteurs. On veut valoriser nos produits, le faire connaître dans la chaîne mondiale. Mais, en tous cas, le Mali a une grande potentialité dans cette filière de la gomme car depuis deux ou trois ans , on exporte beaucoup vers l’Inde qui, aujourd’hui, a une forte demande pour la gomme [rappelons que l’Inde est passé au premier rang des importateurs en 2016, lire supra, Ndlr] car la qualité malienne s’est améliorée et nous disposons d’importants volumes : aujourd’hui, le Mali peut exporter jusqu’à 15 000 t de gomme friable“, a expliqué à CommodAfrica, Dasse Lah, sales manager de Lawal International Import-Export à Bamako.

La Cnuced entend accompagner le mouvement et vendredi, plusieurs projets ont été évoqués et des pistes de réflexion et recommandations lancés.

Tout d’abord, le projet de création d’un centre africain sur la gomme arabique qui serait sous l’égide de la Cnuced ou de l’Union africaine, l’Allemagne au travers de la GIZ s’étant proposée à le financer et le Soudan a abrité son siège.

Deuxièmement, l’appel lancé à une révision profonde de la classification de la gomme arabique qui relève actuellement de la nomenclature des agents de textures” (agents d’enrobage, stabilisant, épaississant, etc.), alors qu’il devrait être inscrit comme un produit “naturel”, a-t-il été souligné. Ceci lui permettrait d’entrer dans le segment industriel majeur des aliments pour nourrissons.

D’autre part, le Codex Alimentarius ne reconnait que les deux types de gomme, senegal et seyal, alors que les nombreuses autres variétés existantes devraient émergées, ce qui permettrait d’en assurer leur promotion, un facteur clef pour faire la promotion du produit qui est indispensable, a souligné James Howe du Centre du commerce international présent à la réunion de la Cnuced vendredi.

 
Dix recommandations

Pour clore la réunion et dessiner les contours d’actions à venir, Janvier Nkurunziza, chef de la Section de la recherche et de l’analyse sur les produits de base à la Cnuced, a évoqué dix grands points.

On a tous appris que la gomme arabique est un produit stratégique d’un point de vue économique, social, environnemental. Il donne aussi des opportunités pour limiter les migrations parce qu’ il y a des opportunités entrepreneuriales qui peuvent procurer un emploi aux populations et leur permettre de rester sur place“, a-t-il précisé en préambule.

Mais un grand nombre de facteurs empêche les pays producteurs de profiter pleinement de ce produit, d’où quelques recommandation clés” : développer la recherche pour promouivoir la gomme arabique et faire connaître le produit ; réaliser des études sur la formation de prix et comprendre la faible transformation dans les pays producteurs ; continuer à réfléchir sur la classification de la gomme arabique et surtout faire en sorte que ce produit soit reconnu comme un produit naturel ; de façon générale, améliorer la qualité du produit ; impliquer les petits producteurs en les formant et en leur donnant une part beaucoup plus importante de la valeur du produit  pour qu’ils puissent continuer à le produire ; insister sur la transformation dans les pays producteur ; étudier la question des financements des producteurs, durant la  campagne, et des exportateurs ; aller au-delà de la transformation pour que les pays producteurs aillent jusqu’au “marketing”, jusqu’au “branding”, pour augmenter la valeur ; réfléchir à la création d’une association africaine des pays producteurs de gomme arabique, sous les auspices de la Cnuced, de l’Union africaine ou toute autre entité ; organiser un forum où toutes institutions concernées -producteurs, exportateurs, utilisateurs-  soient conviés, puissent montrer leurs afin d’avoir une idée plus globale de ce qu’est le produit. Et Janvier Nkurunziza de lancer un appel auprès des pays pour savoir qui serait intéressé à organiser et à sponsoriser une telle manifestation  à laquelle la Cnuced apporterait, bien entendu, son soutien technique.

 

 

 

Autres Articles

Leave a Reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *