Edmond Coulibaly, Conseil Hévéa-Palmier à huile : « Sans ce rééquilibrage de la marge entre les différents acteurs, vous verrez que la production de régime va baisser »

 Edmond Coulibaly, Conseil Hévéa-Palmier à huile : « Sans ce rééquilibrage de la marge entre les différents acteurs, vous verrez que la production de régime va baisser »

@ CommodAfrica

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La Côte d’Ivoire est le seul pays africain qui dispose d’un surplus d’huile de palme exportable. Mais la production dans les plantations villageoises est sur une tendance baissière, les planteurs n’ayant pas les moyens d’investir dans leurs plantations. Le Conseil Hévéa-Palmier à huile devrait sortir à la fin du mois un nouveau mécanisme de prix du palmier à huile qui devrait garantir une meilleure répartition de la marge entre les différents acteurs de la filière. Explications d’Edmond Coulibaly, directeur général du Conseil Hévéa-Palmier à huile, dans un entretien accordé à CommodAfrica lors du Salon international de l’agriculture et des ressources animales (SARA) à Abidjan.

Quel est l’état de la filière palmier à huile en Côte d’Ivoire ?

Au niveau de la filière palmier par rapport à 2022, il y a une baisse des cours mondiaux. Nous sommes aujourd’hui autour de FCFA 70-FCFA 73 le kilo pour le prix au planteur contre FCFA 80 le kilo, soit FCFA 80 000 la tonne il y a un an. Mais en réalité la concurrence interne a fait que le prix au planteur était autour de FCFA 100 000 et jusqu’à FCFA 140 000 la tonne.

C’était une situation un peu exceptionnelle suite à la Covid, au manque de main d’œuvre en Malaisie, à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, à la suspension des exportations de l’Indonésie

Oui, nous n’avons jamais vu un prix au planteur d’un tel niveau. Au point que le gouvernement a du plafonner les prix à la consommation pour ne pas mettre en danger le panier de la ménagère.

Ce qui suscité le mécontentement des producteurs !

Pour que le système tienne, il faut bien trouver un point équilibre. Plus l’huile à la consommation sera chère moins le consommateur s’y intéressera. Le risque est que le consommateur se retourne vers des produits de moins bonne qualité.

En 2023, nous avons eu une accalmie sur le marché mondial. En Côte d’Ivoire, 70% de l’huile de palme raffinée est vendue sur le marché intérieur et le solde est exporté principalement dans la sous-région. Mais dans le mécanisme de prix que l’on applique, pour que nos entreprises soient compétitives, nous indexons nos prix intérieurs – le prix au planteur, le prix de l’huile de palme brute (CPO)- sur les prix mondiaux et ce aussi pour se protéger des importations, en particulier de Malaisie, qui risquent de mettre à mal la filière. La meilleure façon de protéger notre marché est d’indexer nos prix intérieurs sur les marchés mondiaux, à ce moment là on nivelle la compétition.

Avec ce mécanisme de prix, les entreprises dégagent-elles toujours une marge ?

Oui bien sur, le mécanisme permet de préserver les marges des uns et des autres. La où c’est très tendu c’est sur les marges du planteur. Pour l’industriel, les coûts de production sont connus mais pour le planteur non. Or, lorsque le coût des engrais augmente ou que vous avez une pénurie de la main d’œuvre, ce sont des coûts supplémentaires que le planteur subit mais qui ne sont pas vraiment pris en compte dans les différents mécanismes de calcul. C’est à ce niveau-là que le mécanisme a besoin d’être réajusté. Nous travaillons à sortir un nouveau mécanisme des prix sur le palmier à huile d’ici à la fin du mois d’octobre.

L’étude a déjà été faite par le Bureau national d’études technique il y a deux ans environ, nous étions en discussion avec les différents collèges de la filière palmier à l’huile et puis en 2022 la hausse vertigineuse des prix et la mesure administrative de plafonnement des prix ont fait que nous avons suspendu provisoirement le mécanisme des prix. Nous l’avons réactivé et le nouveau prendra en compte les difficultés dont je viens de parler.

Sans ce rééquilibrage de la marge entre les différents acteurs, vous verrez que la production de régime va baisser. Nous sommes déjà dans une situation où il y a moins de régimes donc moins de production que la capacité installée.

Une baisse qui avait été attribuée au changement climatique ?

Oui, mais pas uniquement. Certes c’est une plante gourmande en eau. Mais le planteur n’a pas les moyens d’entretenir, d’investir dans sa plantation c’est-à-dire apporter de l’engrais. Si on maintient la tendance actuelle, la production au niveau des plantations villageoises va continuer à décliner. Nous sommes déjà dans une situation de surcapacité industrielle. La production se situent entre 2,4 à 2,5 millions de tonnes (Mt) de régimes pour une capacité installée de plus de 3 Mt. Au niveau des raffineurs le gap est encore plus important. Vous avez plus de 500 000 tonnes d’huile brute disponibles chaque année pour des capacités de raffinage de plus de 700 000 tonnes.

Nous sommes le seul pays en Afrique à disposer d’un excédent exportable. Nous avons donc une opportunité de marché à nos portes. Si nous ne rétablissons pas l’équilibre pour que le planteur puisse investir dans sa plantation, nous allons perdre cette opportunité et le marché sera saturé par des huiles d’autres origines.

A l’instar par exemple de la filière coton, pourquoi les engrais ne sont-ils pas subventionnés ?

Il n’y a pas de subvention pour le palmier à huile. Mais le mécanisme que nous sommes en train de mettre en place envisage la création d’un fonds engrais. Il devrait permettre de mobiliser des ressources qui auront un effet de levier pour mobiliser des financements bancaires plus structurés. On évaluait à environ FCFA 10 milliards les besoins de la filière palmier pour ce qui est des engrais avant la flambée des cours.

Donc actuellement la production de la filière est sur une tendance baissière ?

Oui. Plusieurs facteurs sont à prendre en compte. Non seulement l’entretien des plantations et le fait qu’il n’y a pas suffisamment d’engrais apportés avec des rendements bas mais aussi le repos végétatif qui est très sensible. Sur les trois à quatre dernières années, il y a quasiment un an de repos sur deux. Ce repos est d’autant plus marqué que les engrais sont insuffisants. La question de l’engrais est une question centrale. A côté de cela il y a la replantation. On a plus de 100 000 hectares de verger vieillissants. Il faut donc replanter sans avoir besoin de déforester et/ou d’avoir de nouvels espaces. Et ceci au niveau des plantations villageoises, qui sont dominantes. Un tel programme peut prendre entre 5 à 10 ans pour avoir être impactant.

Le palmier à huile demeure-t-il une culture attrayante ?

J’entends certains planteurs évoquer le risque de couper les palmiers pour mettre autre chose. Je pense que cela est exprimé quand les cours sont bas mais depuis 2021 aucun planteur de palmiers va vous dire qu’il va les remplacer par autre chose. Nous sommes rentrés dans une zone où clairement il y a une tendance à la hausse des cours qui peut se maintenir dans la zone actuelle. C’est vrai que 2022 a été exceptionnelle mais si vous regardez les projections sur 3 à 5 ans, les cours devraient rester sur des niveaux suffisamment hauts car les besoins mondiaux vont grandissants quand bien même il y a des réglementations qui rendent certains marchés difficiles d’accès.

La Côte d’Ivoire n’exporte que dans la sous-région où la loi européenne sur la déforestation importée ne s’applique pas ?

Oui, sauf que le marché qui est perdu pour certains pays est compensé en venant en Afrique. Et ils viennent nous concurrencer avec des productions très subventionnées.

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