Patricio Mendez del Villar : « les Africains devraient commencer à diversifier davantage leur régime alimentaire »

 Patricio Mendez del Villar : « les Africains devraient commencer à diversifier davantage leur régime alimentaire »
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Le riz n’a pas fait la une des journaux à l’instar du blé ou de l’huile de tournesol,  l’invasion de l’Ukraine par la Russie n’ayant que peu d’impact sur les marchés mondiaux du riz si ce n’est indirectement par la hausse des coûts et des transports. Toutefois, les prix du riz ont commencé à grimper au dernier trimestre 2022 et la hausse devrait se poursuivre en 2023 avec le phénomène El Nino, de l’ordre de 25 à 30%. Un coût pour l’Afrique, première région importatrice représentant près de 34% des importations mondiales de riz. Or, la production de riz en Afrique stagne, faut-il alors que le continent diversifie son régime alimentaire ?

Interview à CommodAfrica de Patricio Mendez del Villar, chercheur au CIRAD, à l’occasion de la publication du Rapport Cyclope 2023.

Le blé a fait l’actualité l’année dernière tandis que le riz a peu évolué même s’il s’est apprécié. Va-t-on manquer de riz en 2023 ?

Il y a un déficit entre la production et la consommation de l’ordre de 8 à 10 millions de tonnes (Mt) mais en fait cela va être essentiellement compensé par les stocks. Ils sont très élevés de l’ordre de 38% de la consommation mondiale alors qu’en 2008 (ndlr  lors de la flambée des cours du riz)  on était à environ 25%.

La hausse des stocks mondiaux provient surtout de la Chine pour environ 50%. Et les stocks chinois représentent environ 70% de leur consommation annuelle, le double du ratio mondial. Pékin est autosuffisant en riz mais ils sont tout de même les premiers importateurs mondiaux avec 5 à 6 Mt par an.

Des stocks constitués pour la consommation animale face à l’augmentation du prix du maïs ?

Certes. Le changement qu’il y a eu en Chine en matière d’importation de riz c’est qu’ils ont augmenté les importations de brisures de riz qui représentent environ 1/3 des importations totales de riz. Les brisures de riz sont destinées à la consommation animale. L’Inde est devenu le premier fournisseur de la Chine en brisure de riz en 2021 et 2022 à  hauteur d’environ 40%.

En septembre 2022, New Delhi décide d’interdire les exportations de brisures  et de taxer les exportations de riz non basmati mais garde une certaine souplesse. Le Sénégal en est le grand bénéficiaire. Sur les statistiques indiennes du mois de mars 2023, on observe que 200 000 tonnes de riz indien ont été expédiées au Sénégal. Malgré l’instauration d’une à l’exportation de 20% du riz non basmati, le riz indien reste compétitif aujourd’hui. Les prix indiens sont environ 10% moins élevés que ceux de la Thaïlande ou du Vietnam. Au mois de septembre le différentiel était de l’ordre de 25%.

Sur 12 mois (mai à mai), nous sommes sur un renchérissement des importations de 20%. Si en début d’année, je prévoyais une augmentation des prix du riz de l’ordre de 15% sur 2023, avec le phénomène d’El Nino,  la hausse se situera entre 25 et 30%.

Si en 2023, on compense le déficit en riz par l’abondance des stocks, en 2024 la situation devrait être plus tendue avec la diminution des stocks et la perspective d’une baisse de la production en Asie avec le phénomène El Nino ?

La production asiatique qui arrive à partir du deuxième semestre, en août au Pakistan, puis l’Inde, le Vietnam et la Thaïlande, a toujours un impact sur le 1er semestre de l’année suivante. Pour l’évolution des prix au second semestre ce qui impact c’est la deuxième récolte qui a lieu en Asie.

On voit beaucoup de projets dans le riz se multiplier en Afrique, notamment en Afrique de l’Ouest au Ghana, avec toujours l’objectif affiché d’être autosuffisant.  Quelle est la situation ?

La situation n’a guère changé en dépit des projets et investissements. Pourquoi ? Les politiques d’investissement portent sur quoi ? Il y a des aménagements certes mais nous ne sommes plus dans la configuration des années 70 -80 où on faisait des grands périmètres. Cela coûte trop cher. Le riz irrigué ne représente aujourd’hui qu’une infime partie du riz produit en Afrique.

Les politiques portent sur des engrais et semences subventionnés et si les producteurs en disposent, la production devrait augmenter. Or, les risques de production en riziculture en Afrique ne dépendent pas uniquement de ces deux facteurs, mais aussi du climat, des maladies, … et cela reste tout de même une culture vivrière et donc sert en grande partie à une autoconsommation des producteurs. De plus, la production en Afrique certes augmente mais par l’extension des superficies et non par la hausse des rendements. Les rendements sont stables ce qui veut dire que la politique qui consiste à fournir des engrais et des semences n’atteint pas ses objectifs.

De plus aujourd’hui, nous sommes dans un contexte de limitation de l’eau, de moins de terre et aussi d’une main d’œuvre plus chère avec pour conséquence un arbitrage qui se fait sur d’autres cultures. Même l’extension des superficies aujourd’hui va poser problème.

L’Inde est aujourd’hui le pays le plus peuplé au monde mais sur les 2 milliards de personnes supplémentaires que l’on annonce pour 2050, c’est 50% en Afrique et c’est une bombe à retardement en termes de sécurité alimentaire. Conclusion, je pense que les Africains devraient commencer à diversifier davantage leur régime alimentaire en mangeant, par exemple, moins de riz et plus de céréales sèches mais aussi de racines et tubercules, plus adaptées au stress hydrique. Et le segment de la transformation dans les chaines de valeur a son rôle à jouer, non pour les ruraux qui sont déjà dans des régimes alimentaires diversifiés, mais pour les urbains. L’agro-industrie doit proposer des produits transformés issus des céréales traditionnels aux urbains. C’est l’enjeu sauf si on fait le choix de poursuivre les importations.

 

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