Parole d’expert – GĂ©rald Estur

Développer l'industrie textile en Afrique de l'Ouest nécessite de changer de variété de coton

Pour Gérald Estur, consultant international et expert cotonnier, développer l'industrie textile locale en Afrique de l'Ouest en utilisant du coton local nécessite de changer de variété de coton cultivée.

 

L'industrie textile peut-elle reprendre position en Afrique?

Il y a 4 ans, j'étais chef de mission d'une étude sur la stratégie de commercialisation pour les pays du C4. Dans les termes de référence initiaux figuraient l'exportation mais aussi la commercialisation locale avec toujours pour objectif, s'agissant de l'UEMOA, d'atteindre 25% de transformation locale. Un objectif qui existe depuis 2003. Soit dit en passant, on ne peut pas à la fois avoir un objectif d'exportation et augmenter la part de transformation locale. Dans le cadre de cette mission d'étude, j'avais plaidé pour aller en Ethiopie plutôt qu'en Asie pour l'étude de cas.

L'Ethiopie est le seul pays en Afrique où la consommation industrielle de coton progresse. Partout ailleurs, notamment en Egypte et en Afrique du Sud, la transformation industrielle régresse, sauf en Tanzanie. Quelles sont les raisons ? Pouvait-on s'inspirer des leçons de l'Ethiopie ? J'avais fait un tableau comparatif des facteurs entre l'Ethiopie et l'Afrique de l'Ouest et le seul élément pour lequel l'Afrique de l'Ouest se distinguait positivement était son coton de qualité, en abondance. En Ethiopie, il n'y a pas assez de coton et pas de bonne qualité. Sur tous les autres plans, il n'y a pas d'équivalence : l'énergie en Ethiopie est cinq fois moins chère, la main d'œuvre est moins chère, le pays est quasiment fermé aux importations de friperie, la consommation locale de coton est importante car de tradition, des moyens sont mis pour développer le textile, etc. C'est pourquoi les Ethiopiens sont en train de lancer leur stratégie de développement de culture coton car ils ont une industrie textile à approvisionner en volumes et en qualité appropriés.

C'est bien beau de dire "on va transformer", mais encore faut-il que le coton corresponde aux besoins de l'industrie textile locale. En Afrique de l'Ouest, c'est du coton moyen et haut de gamme, assez long, etc. qui convient Ă  la filature classique peignĂ©e pour des fils relativement fins, convenant pour des tissus lĂ©gers. Cette industrie a des coĂ»ts d’investissement et de fonctionnement plus Ă©levĂ©s que la filature bas de gamme. C'est donc un problème d'adĂ©quation entre la matière première locale, l'industrie et le marchĂ© local.

Le coton ouest-africain a un marché d'exportation vers des pays où la filature est déjà montée en gamme, comme la Chine qui n'a pas besoin de coton bas de gamme et délocalise son industrie textile bas de gamme, notamment au Vietnam.

Il doit y avoir une adéquation entre le coton cultivé et le type de fil et le type de produit voulus. L'Afrique en général et l'Ethiopie en particulier sont considérées comme la nouvelle frontière, la nouvelle source pour l'industrie textile. Mais pour une industrie textile moyen et bas de gamme dans un premier temps, celle que les Chinois visent en délocalisant.

Qui cultive le coton bas de gamme ?

Ce sont les cotons pakistanais, certains cotons amĂ©ricains. L’Inde produit toute la gamme de qualitĂ©s de coton. L’industrie textile amĂ©ricaine produit beaucoup de jeans qui a besoin de fibres plus courtes, plutĂ´t grossières. Le coton d'Afrique de l'Ouest est trop long pour produire du denim.

L'Egypte, quant Ă  elle, avait et a encore l'industrie textile la plus importante d'Afrique. Pendant très longtemps, l'Egypte ne produisait et n’exportait que des longues soies et les utilisait pour son industrie textile bas de gamme, pour faire des T-shirts, par exemple. Ce qui est une aberration ! L’Egypte importe aujourd’hui des soies moyennes-longues. Donc ce pays qui Ă©tait encore, il y a 10 ans, le premier producteur et exportateur d'Afrique, est aujourd'hui le huitième producteur et importateur net, de loin le 1er importateur du continent. Le gouvernement a supprimĂ© des subventions. Sur les pĂ©rimètres irriguĂ©s, le coton n'est pas la culture la plus rentable. Dans un pays aussi peuplĂ©, il est plus payant de cultiver des cĂ©rĂ©ales que du coton. L’Egypte maintient une petite production de fibres longues soies pour l’exportation et importe des courtes et moyennes soies pour les besoins de son industrie locale textile.

Les autorités politiques sont-elles sensibilisées à cette inadéquation ?

Je n'en ai pas l'impression. En Afrique de l'Ouest, au niveau des autorités, on entend toujours qu'il faut créer de la valeur ajoutée et on rappelle ces engagements politiques au sein de l'UEMOA de transformer localement 25 % de la production cotonnière. C'est bien beau de faire de la valeur ajoutée mais plus on monte en gamme, plus les désavantages comparatifs s'ajoutent. A la limite, c'est de la valeur ajoutée négative. Plus on monte en gamme et plus on perd.

Le coton aujourd'hui cultivé en Afrique de l'Ouest a son marché à l'exportation. Il faudrait changer de variété de coton cultivé si on veut développer une industrie locale textile en adéquation avec les besoins en textiles sur le marché local. Et je ne pense pas que, globalement, les autorités politiques en aient t conscience.