Directeur général Maison Jobin – France
Marché du café : les contrats franco-camion, une mesure d'équité
Les traders européens demandent actuellement aux autorités des marchés à terme, notamment de Londres, de mettre en place des contrats "franco camion" ("free on truck"). Ils arguent que ce serait plus équitable à l'égard des petits acteurs sur le marché et leur permettrait de concurrencer davantage les gros.
Le contrat franco camion fonctionne de la même façon que l'actuel "in store" –"en entrepôt" – à l'exception près que les coûts de chargements ont déjà été payés par la maison de négoce qui entrepose le café et le grade.
Patrick Masson, directeur général de la maison Jobin (groupe Neumann) au Havre, estime que la réforme serait une bonne chose et s'en explique. Parole d'expert.
Le principe du marché à terme est de standardiser la marchandise avec la qualité donnée, l'échéance donnée et la quantité par groupe. Une fois que le contrat a été standardisé, il est possible d'avoir des échanges entre différents types d'intervenants, qu'ils soient spéculateur ou professionnel.
Cela veut dire que pour toujours garder un lien entre ce qu'on appelle le marché papier –c'est-à-dire le marché financier– et le marché physique, il y a la possibilité soit d'attendre, lorsqu'on a acheté une échéance, de recevoir une filière, soit, si vous avez vendu, de livrer du café. A ce moment là, vous émettez une filière.
Sur le marché à terme de Londres, qui est un marché à terme de café Robusta, vous aviez un certain nombre de qualités qui étaient acceptées, qu'ils soient d'Afrique de l'Ouest, d'Asie ou d'ailleurs, avec des décotes plus ou moins savantes. Mais surtout, les conditions du marché étaient entrepôts. C'est ce qu'on appelle "in store", "en entrepôt". Ces entrepôts existent d'ailleurs dans quasiment toute l'Europe. Ce sont des entrepôts certifiés pour pouvoir accueillir des stocks certifiés, agréés par le marché à terme.
Récemment, il ya eu un certain nombre de dysfonctionnements qui reposaient sur le principe suivant: les gens ne payaient quasiment rien comme frais pour mettre à terme mais, de son côté, le transitaire se rattrapait sur le prix de livraison des cafés, entre le prix entrepôts et le prix franco-camion (FOT). Comme il n'y avait aucun règlement qui l'interdisait, personne n'était blâmable. Donc on arrivait à un dysfonctionnement global du marché à terme.
Pour éviter cela et pour éviter d'avoir une réglementation, les Anglais et les autorités du marché ont proposé quelque chose de relativement astucieux : pour éviter ces dysfonctionnements de prix entre les différents intervenants, entre le moment où on met en entrepôts et le moment où on retire de l'entrepôt pour passer en franco-camion, il suffit tout simplement de ramener les conditions du marché à du franco-camion.
C'est-à-dire que, lorsque vous recevez ou quand vous délivrez une marchandise sur le marché à terme, les conditions seraient franco-camion au départ de tous les entrepôts agréés par le marché. C'est très simple mais c'est aussi très astucieux car cela évite d'avoir une réglementation compliquée. Surtout, cela permet de garder une certaine équité entre les différents intervenants et d' éviter de défavoriser les petits par rapport aux gros joueurs. Car les gros joueurs ont, bien évidemment, les moyens de discuter avec les transitaires sur des volumes beaucoup plus intéressants et alléchants. Quand vous allez voir un transitaire et que vous voulez mettre 100 tonnes sur le marché, ça l'intéresse moins que quelqu'un qui veut mettre 10 000 t.
Pour une grosse coopérative en Côte d'Ivoire, par exemple, cela ne va pas changer grand-chose car, de façon générale, peu de café de Côte d'Ivoire va sur le marché à terme car elles ont des primes suffisantes localement. Cela va surtout, me semble-il, éviter qu'il y ait une distorsion avec des gens qui importaient des cafés d'Asie qui étaient acceptés sur les marchés à terme et qui, ensuite, lorsqu'il s'agissait de délivrer aux gens qui avaient reçu des filières, il était trop cher car les FOT étaient hors de prix.
En fait, cette proposition va préserver l'équité entre les différents types d'opérateurs, qu'ils soient gros ou petits. Cela ne va donc pas favoriser les petits mais cela va éviter que les petits soient défavorisés.
La mesure a été proposée ; elle n'a pas encore été acceptée. Mais on peut espérer qu'elle va passer car ce serait une bonne mesure d'équité.