Parole d’expert -Pierre Ricau

Pierre RICAU : « La campagne d’anacarde 2015 en Afrique de l’Ouest pourrait être marquée par les prix les plus hauts observés depuis 15 ans. »

Depuis le début des années 2000, la noix de cajou, plus généralement désignée en Afrique de l’Ouest sous le nom d’« anacarde » est devenue l’une des principales filières d’exportation de la sous-région. Poussée par une demande mondiale croissante et par le développement des échanges commerciaux Afrique-Asie ce secteur agricole et agroalimentaire est devenu l’un des plus dynamiques dans la bande climatique sahélo-soudanaise, rattrapant et dépassant même parfois les cultures d’exportation traditionnelles que sont le coton, l’arachide et la mangue.

La nouvelle campagne de commercialisation de l’anacarde qui vient de commencer et s’étendra normalement jusqu’à la fin du mois de juillet pourrait être marquée par des prix historiquement hauts, et ce malgré une production en hausse à l’échelle de la sous-région comme à l’échelle mondiale.

La production de noix de cajou d’Afrique de l’Ouest a connu une croissance moyenne annuelle de 14% sur les 15 dernières années et devrait atteindre les 1 350 000 tonnes en 2015 (42% de la production mondiale). La Côte d’Ivoire dont la production pourrait dépasser 600 000 tonnes occupe la première place dans la sous-région devant la Guinée-Bissau (175 000 tonnes) et la deuxième place dans le monde derrière l’Inde (700 000 tonnes).

Cette importante croissance l’offre de noix de cajou devrait être absorbée sans difficultés par une industrie de transformation en pleine croissance, notamment au Vietnam et en Inde mais également en Afrique de l’Ouest, boostée par le développement des process automatisés et par une demande mondiale particulièrement dynamique.

Deux principaux facteurs viennent expliquer les prix élevés attendus en 2015 :

  • Le facteur taux de change : qui ne concerne pas seulement la noix de cajou mais l’ensemble des filières d’exportation d’Afrique de l’Ouest. Depuis un an, l’évolution de la politique monétaire européenne a en effet favorisé une dépréciation sans précédent de l’Euro et dans son sillage du Franc CFA qui lui est arrimé. Le taux de change de la monnaie ouest-africaine est ainsi passé de 1 USD = 480 XOF début 2014 à autour d’1 USD = 580 XOF actuellement, et la politique de Quantitative Easing (QE) entamée depuis début février 2015 par la Banque Centrale Européenne (BCE) devrait maintenir le Franc CFA sous pression pour le reste de l’année 2015. Le secteur de la noix de cajou devrait bénéficier à ce niveau d’un double effet de levier. D’une part, à court terme la conversion des cours mondiaux exprimés en Dollars US provoquera une forte augmentation des prix pratiqués en Franc CFA sur le marché local ; d’autre part, à moyen et long terme la noix de cajou devrait bénéficier d’une amélioration de sa compétitivité face à ses principaux produits concurrents (amande prunus dulcis, pistache Pistacia vera, ou encore noisette Corylus avellana et noix de Pécan Carya illinoinensis) dont une grande partie de la production mondiale est réalisée aux Etats-Unis et dans d’autres pays (Iran, Turquie, Maghreb, Australie, Chili, etc.) dont les monnaies tendent à s’apprécier face à l’Euro.
  • Une consommation aux perspectives particulièrement positives : la noix de cajou fait partie du marché plus large des fruits à coques (tree nuts en anglais) dans lequel elle occupe la 3ème place en termes de quantités consommables produites derrière l’amande (Prunus dulcis) et la noix (Juglans). Ce marché est marqué par une croissance structurelle de la demande dans l’ensemble des pays développés et émergents, liée à l’intérêt croissant que les consommateurs portent à la qualité nutritionnelle de ces graines riche en oligoéléments, vitamines, protéines et acides gras mono-insaturés (qui aident à réduire le taux de cholestérol). Dans ce contexte de demande croissante, le marché mondial des fruits à coque est marqué depuis plusieurs mois par la « crise de l’eau » qui touche la Californie aux Etats-Unis suite à 3 années successives de sécheresse sévère. La Californie produit environ 80% de la production mondiale d’amande et 10% de la production mondiale de pistache (soit plus d’un quart de l’offre mondiale de fruits à coques). Malgré les importants dispositifs de stockage et de transport de l’eau déployés par l’administration et les agriculteurs pour limiter l’impact de cette sécheresse sur les vergers d’amandier et de pistachiers californiens, beaucoup d’entre eux ont commencé à souffrir du manque d’eau. Les rendements obtenus en 2014 ont déjà connu une forte baisse mais d’après les spécialistes de cette culture, ce sont surtout les rendements des arbres en 2015 et 2016 qui devraient être affectés. Face à ces perspectives de forte baisse de l’offre d’amande, les prix de l’ensemble des fruits à coques connaissent une hausse importante depuis plusieurs mois. La noix de cajou qui était historiquement l’un des fruits à coque les plus chers est devenus actuellement le moins cher de tous. L’année 2015 devrait donc être marquée par une croissance importante de la demande en noix de cajou aux prix particulièrement attractifs et qui sera le seul produit à même de combler le déficit d’amandes qui risque de toucher l’industrie agroalimentaire du secteur des fruits à coque.

Dans ce contexte particulièrement haussier, le prix minimum annoncé par le gouvernement ivoirien a d’ores et déjà été revu en nette hausse passant de 225 FCFA/kg bord-champ en 2014 à 275 FCFA/kg bord-champ pour 2015 mais il est probable qu’au cours de la campagne les prix atteignent des sommets jamais vus depuis 1999. Cette année làsuite à une importante sous-production la noix de cajou brute s’était vendue en Afrique de l’Ouest à plus de 400 FCFA/kg bord-champ.