Parole d’Expert – Stéven Le Faou

Zone de libre-échange africaine : vers un méga-accord commercial avec l’Europe  ?

Stéven Le Faou  est dirigeant de Jokkoo, un cabinet de conseil en développement international et rural

Alors que l’Afrique ne représente que 3% du commerce international, elle est en passe de devenir la zone de libre échange la plus vaste au monde. Le lancement récent de la Zone de libre échange continentale africaine (ZLEC) risque d’avoir de nombreuses incidences sur ses relations avec l’Europe, son principal partenaire commercial.

L’Afrique, nouveau leader du libre-échange

A contre-courant des tendances protectionnistes américaines et européennes, l’Union Africaine a annoncé, le 2 avril 2019, que la Gambie était le 22ème pays à ratifier l’accord sur la Zone de libre échange continentale. Seulement un an après sa signature à Kigali par 44 pays africains, cette annonce marque le lancement de la ZLEC. D’après les projections officielles, ce marché libéralisé de 1,2 milliards de consommateurs, au produit intérieur brut de 2,5 milliards d’euros, devrait créer 300 000 emplois. Avant qu’il soit effectif, de nombreux points restent néanmoins à négocier. Le commerce avec le reste du monde risque d’en faire rapidement partie, même si les règles qui le régissent restent officiellement gérées au niveau national.

ZLEC et nouvelle alliance Afrique-Europe

L’Europe est le continent qui profiterait le plus de l’élan économique créée par la Zone de libre échange continentale. En effet, elle reste le premier partenaire commercial de l’Afrique et représente 37 % de son commerce. Néanmoins, cette part s’érode au fil des années au profit de l’Asie dont la croissance annuelle du commerce avec l’Afrique est deux fois plus rapide que celle du vieux continent (15,2% contre 8% selon la CNUCED). Depuis le début des années 2000, l’Union européenne est embourbée dans une négociation commerciale avec les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP).

Elle tente de signer des Accords de partenariat économique (APE) avec cinq grands blocs régionaux africains, qui ont pour objectif d’aboutir à la création de zones de libre échange en 2020. Après plus de 15 ans de pourparlers, seuls le bloc Afrique Australe a adopté un APE régional.

La Zone de libre échange continentale est donc une nouvelle opportunité. Elle pourrait permettre d’entamer des négociations commerciales avec l’ensemble du continent. La Commission européenne l’a bien compris et a annoncé une nouvelle alliance Afrique-Europe en septembre 2018, qui doit relancer l’investissement et le commerce entre les deux continents. Dans le cadre de l’alliance, la Commission déclare qu’en « s’appuyant sur la mise en œuvre de la zone continentale africaine de libre-échange, l’idée à long terme est de parvenir à un accord de libre-échange intercontinental global entre l’UE et l’Afrique ». Un moyen de dépasser les blocages des APE pour négocier directement un méga accord commercial regroupant 2 milliards de consommateurs.

L’option d’un méga-accord Afrique-Europe est-elle légitime ?

Bien que le scénario d’un accord commercial entre l’Union Africaine et l’Union Européenne a été soutenu au plus haut niveau[1], sa mise en œuvre reste délicate. D’une part, elle doit se confronter à plusieurs obstacles internes. Dans le cas de l’Union africaine, l’opposition du Nigéria (première économie du continent) aux APE et à la ZLEC est une difficulté majeure. A niveau de l’Union Européenne, le brexit diminue l’intérêt d’un accord continental pour ses partenaires, le Royaume Uni représentant 12% des exportations africaines vers l’Europe. D’autre part, la légitimité d’une négociation intercontinentale pose problème. Si la plupart des négociations des APE n’ont pas abouti, c’est parce qu’elles ont achoppé sur des sujets sensibles. Le cas de l’Afrique de l’Ouest est exemplaire : la forte mobilisation des organisations paysannes a permis de retirer une grande partie de l’agriculture du processus de libéralisation, afin de protéger ce secteur qui fournit 60% des emplois de la région. Que se passera t’il dans le cas d’une discussion directe entre l’Union européenne et l’Union Africaine ? Si fusionner les résultats des cinq négociations régionales des APE au niveau continental est complexe, en faire table rase nuirait considérablement à la légitimité et à la crédibilité d’une nouvelle négociations Afrique-Europe.

Alors que les présidences du parlement et la commission européenne seront renouvelées en 2019, l’accord de Cotonou, dont les APE sont le volet commercial, prendra fin en 2020. Il est donc temps pour l’Europe et l’Afrique de s’interroger sur les enjeux à long terme de leur relation commerciale. Dans un contexte où les enjeux sécuritaires et migratoire occupent le devant de la scène, ce questionnement ne peut pas faire l’impasse sur les impacts sociaux du commerce. Avant de rêver à un méga-accord, le temps est donc venu de montrer quelles plus-values peut avoir un partenariat commercial Afrique-Europe en matière de développement.

 

[1]¹ Cf. la Note de stratégie de la Commission économique pour l’Afrique des Nations uniespour le Sommet UA – UE de 2017.