Jean-Michel Mahé, Les Primeurs du Bénin : Aller vers des cultures bio… mais écologiques

 Jean-Michel Mahé, Les Primeurs du Bénin : Aller vers des cultures bio… mais écologiques
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Pour Jean-Michel Mahé, CEO de la société française Divatec, “on n’investit pas sur du rêve“. Et le potentiel qu’il a perçu au Bénin méritait bien d’y développer une ferme-pilote de maraîchage qui aujourd’hui est en pleine expansion. En mars, les premiers produits ont été récoltés, à raison d’une tonne par semaine. Il s’agit maintenant d’atteindre 3 tonnes/jour pour le marché local haut de gamme mais aussi en produits courants en contre-saison. Un “maraîchage traditionnel nantais” qui fait ses preuves au Bénin, avec des technologies innovantes. Jean-Michel Mahé, fervent défenseur des circuits courts, est favorable à une charte bio locale tenant compte de “la pression sanitaire sur le monde tropical“. “L’agriculture biologique n’est pas toujours écologique“.

 
Quel est le concept de votre entreprise Divatec, notamment celui développé en Afrique ?

J’ai créé la société Divatec en 2006 qui est basée à côté de Nantes avec la volonté de me spécialiser dans l’équipement pour le maraîchage dans différents métiers que sont l’eau, l’électricité, l’informatique, etc. J’ai un BTS d’horticulture et mon associé John Guitteny est spécialisé, lui, dans l’électro-technique.

Notre volonté était de nous spécialiser dans ce domaine du maraîchage dans une des régions les plus dynamiques de France en la matière. Très vite, Divatec a prospéré et nous sommes maintenant une  quarantaine de personnes à y travailler en France.

Très vite, cette ultra spécialisation a conduit des clients étrangers à venir nous chercher et nous avons ainsi travaillé au Portugal, en sous-traitance en et au Congo, à l’île Maurice, en Nouvelle Zélande et dernièrement au Québec sur des problématiques de fertilisation de cannabis médical, très spécifique.

Donc on s’est retrouvé, petite entreprise française, propulsé à l’export. Lors d’un de mes déplacements au Bénin, j’ai découvert un véritable nouvel eldorado. On se rend compte qu’il y a beaucoup de choses à faire et qu’il n’y a pas de raison de ne pas y arriver.

Au Bénin, vous avez une filiale donc vous ne vous positionnez pas comme sous-traitant comme ailleurs …

Oui car, à un moment, je me suis dit qu’il fallait structurer cette démarche export. Après plusieurs déplacements au Bénin pour mieux m’imprégner du pays, j’ai fini par décider de créer une nouvelle entité en France qui s’appelle VegInnov dédiée à la mise en place de fermes clef en main en Afrique de l’Ouest.

Concrètement, je me suis vite rendu compte que le seul savoir-faire ne suffisait pas -on n’investit pas sur du rêve- et qu’il fallait démontrer sur place en créant une ferme-pilote. Nous avons donc créé de toute pièce Les Primeurs du Bénin (SPB) ;nous avons recherché le foncier, levé tous les freins administratifs et financiers, etc.

Quel a été votre investissement ?

Aujourd’hui, on s’est limité à un million d’euros car, dans le cadre de notre étude de faisabilité réalisée en 2018, nous n’avions pas anticipé la fermeture des frontières du Nigeria et encore moins la Covid.

Où en êtes-vous aujourd’hui ?

En juin 2018, nous avons décidé d’investir dans une étude de faisabilité. En août 2018, j’ai dépêché un VIE au Bénin à temps complet.  Toute la partie administrative et financière nous a pris un an. En août 2019, nous avions toutes les autorisations et étions prêts à démarrer. Les travaux ont démarré en septembre 2019 et nous avons commencé à semer et planter les nouveaux légumes en mars 2020. Là, nous commençons à monter en puissance : actuellement, nous ne sortons qu’une seule tonne par semaine mais mon objectif est de sortir 3 tonnes/jour dans les trois mois à venir.

Qu’avez-vous comme produits ?

Nous avons une trentaine de spéculations en cours. Les principales sont tomates, carottes, choux, haricots, pastèques, etc. Nous avons 4 à 5 produits que nous allons, bien sur, produire en grandes quantités. Nous souhaitons avoir une gamme complète donc nous ferons des produits africains, comme le gombo, l’amarante, etc.. mais en plus petits volumes. Car nous ne voulons pas concurrencer les productions locales. Nous voulons produire à contre-saison -lorsque les petits producteurs n’ont plus certains légumes- et se retirer sur la période où ils produisent.

Nous nous posons clairement en démonstrateur de savoir-faire pour pouvoir, demain, structurer une filière. Le prochain objectif, d’ici la fin de l’année, est de fédérer plusieurs petits producteurs à côté de nous et mettre en place une plate-forme de commercialisation sur Cotonou. Cela leur permettra de toucher plus d’argent de leurs productions en ayant un accès direct au marché.

Cette collaboration pourrait toucher combien de producteurs locaux ?

Nous avons un projet avec l’ambassade des Pays-Bas qui entend fédérer 40 à 50 producteurs autour de nous. Par la suite, on pourrait envisager reproduire une seconde ferme PDB à 50 km et recommencer à fédérer les producteurs autour de nous.

Avez-vous recours à des technologies particulièrement innovantes ou plutôt traditionnelles ?

Par rapport à ce qu’on voit en France, c’est plutôt du classique, tout en sachant que nous avons été obligés de gérer un certain nombre de problématiques que les producteurs, ici en France, ne gèrent plus comme la production de jeunes plants. Nous avons crée sur 1 000 m2 une pépinière pour produire nos propres plants de salades, piment, tomates, etc. Après, c’est du maraîchage un peu à la nantaise : nous avons fait venir un cultirateau pour dresser des planches pour faire du semis nantais : sur les planches, on vient fixer de petits arceaux et au dessus on met du filet d’ombrage pour protéger, par exemple, les carottes au semis pour la protéger des pluies trop fortes qui risquent de l’entrainer.

Donc on, vient avec un maraîchage traditionnel nantais et avec quelques technologies qui ne sont pas nécessairement répandues sur le continent africain comme le semoir pneumatique : il vient prendre graine par graine, l’aspire et la pose à l’endroit voulu. Tous les maraîchers français ne sont pas équipés de ce type de technologie.

Comment abordez-vous les problèmes en aval comme le conditionnement, la chaine de froid, etc. ?

Il y a un gros sujet, en effet. Aujourd’hui, vu la commercialisation, la chaîne de froid n’existe pas. Je dirais même que les “bonnes dames” qui vendent des légumes ne veulent pas de produits qui sont passés par le froid car ils s’abîment beaucoup plus vite.

Donc, je pense qu’on aura vraiment deux canaux avec un axe plutôt haut de gamme notamment dans la restauration, les hôtels, les supermarchés, etc.  

Nous voulons aussi nous développer sur le Nigeria dans la mesure où, a priori, les frontières devraient rouvrir assez rapidement à ce que j’ai compris : à partir d’octobre, sur certains produits, notamment les légumes, le Nigeria voudrait rouvrir car ils ont le même problème que les autres pays : à une certaine période, ils n’arrivent plus à produire pour approvisionner les marchés locaux, tout simplement.

Vous dédiez combien au marché béninois et combien au développement sur d’autres marchés ?

Au niveau du Nigeria, je veux m’interdire d’aller au-delà de 50% de ma production car le marché est trop sensible et fragile ; on n’est pas à l’abri d’une fermeture des frontières du jour au lendemain. En outre, le marché béninois est capable d’avaler la production de nos 10 ha. Trois tonnes/jour sur 11 millions d’habitants, ce n’est pas extraordinaire.

Avant, je m’interdisais de penser aux marchés du grand export. Mais j’avoue que dans le contexte de la Covid, je me pose la question de sécuriser une partie du chiffre d’affaires avec une partie de productions tropicales pour le marché européen. Il faut s’adapter.

En février dernier, vous étiez à la recherche d’investisseurs . En avez-vous trouvés ?

Concrètement, notre société VegInnov a plusieurs axes de développement. Le premier est de développer SPB  et donc, potentiellement, trouver des investisseurs pour agrandir la ferme. Aujourd’hui, j’ai quelques demandes d’investisseurs mais non encore validées. Nous recherchons entre € 500 000 et un million d’euros pour renforcer l’affaire et recourir à des techniques plus productives.

Le deuxième axe sera de trouver des investisseurs privés qui souhaitent faire la même chose chez eux, que ce soit au Bénin, au Togo ou en Côte d’Ivoire. Nous avons identifié à peu près tous ces pays  du littoral.

Le troisième axe sera  de chercher un partenariat public-privé  et proposer aux gouvernements la structuration de leurs filières  avec l’implantation de 4 ou 5 fermes sur leur territoire. Ce dossier a été déposé au Bénin et il est en cours d’étude.

Vous envisagez un déploiement sur la seule Afrique de l’Ouest ?

A aujourd’hui, oui. Notre entreprise n’est pas très importante donc je pense qu’il faut qu’on se concentre sur quelques pays. On regarde principalement le Togo, la Côte d’Ivoire, le Sénégal.

La situation politique en Afrique de l’Ouest ces dernières semaines vous inquiète ?

C’est un vaste sujet la politique en Afrique…!  J’évite de m’en mêler. Concrètement, cela m’inquiète sans m’inquiéter. Je pense qu’il faut qu’on soit capable de travailler sur plusieurs pays à la fois ce qui serait le gage de la stabilité pour une entreprise.

Recherchez-vous des partenaires parmi la diaspora africaine en France ?

Oui, bien sur. La volonté de SPB est de démontrer un savoir-faire. Mais une fois qu’on l’aura démontré et qu’on aura potentiellement vendu une ferme ou deux,  notre ferme démonstration n”aura plus de raison d’être. L’idéal serait alors de la transmettre à un Béninois.

Donc votre volonté à terme n’est pas tant de produire dans les pays de la région mais de vendre des fermes…

Tout à fait. Cette opération au Bénin est vraiment une vitrine.

Avez-vous démarché d’éventuels investisseurs parmi les Néerlandais ?

Je n’ai pas vraiment exploré cette voie. Les Néerlandais sont davantage dans une démarche de vendre leurs intrants et pas nécessairement d’investir dans une ferme. Ils l’ont fait au Kenya ou en Tanzanie pour produire de la rose mais je ne suis pas persuadé qu’ils cherchent des terres supplémentaires.

Il y a un énorme mouvement mondial vers plus de production locale. Ceci impacte-t-il votre raisonnement ?

C’est mon raisonnement depuis longtemps : produire en circuits courts. Quand je vois un produit bio qui traverse la planète par avion, je suis désolée mais ce n’est pas normal. Cela devrait même être interdit.

Faites-vous du bio au Bénin ?

Notre volonté est d’aller vers le bio. Mais entre la volonté et la capacité, il y a un monde. La pression sanitaire sur le monde tropical est vraiment très forte. J’ai peur que le cahier des charges des cultures biologiques tel qu’on le connait ne soit pas nécessairement facilement transposable. Il faudra potentiellement l’adapter, voire faire mieux que du bio parce que  le bio qui traverse la planète et tout sauf écologique. Aujourd’hui, l’agriculture biologique n’est pas toujours écologique. J’essaie de me constituer une filière pour rester sur du local.

Faudrait-il développer une charte précise, ouest-africaine ou béninoise, du bio ?

Ce serait, sans doute, potentiellement intéressant de créer une sorte de label adapté à la production tropicale. Car il n’y a pas d’hiver eu Bénin et sans les hivers tels qu’on les connait en France, les ravageurs sont beaucoup plus menaçants. C’est plus compliqué de les contrôler.

A mon avis, une des solutions pour demain sera de produire sous abri, anti-insectes. Dès qu’on est en plein champs, il est difficile de produire sans produits phytosanitaires. Et dès qu’on est sous abri, on limite ces ravageurs et on peut se passer plus facilement de la chimie. Comme des énormes moustiquaires, des abris insect-proof. On en développe avec un partenaire français, IDMAT.

Pour conclure, on peut dire que l’agriculture peut rapporter de l’argent en Afrique et que cette activité peut avoir  un impact social tout autour.

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