Marché et Justice dans le cacao : Etats-Unis vs. Côte d’Ivoire/Ghana

 Marché et Justice dans le cacao : Etats-Unis vs. Côte d’Ivoire/Ghana
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L’actualité est chaude dans le cacao…. Suite à l’annulation par la Côte d’Ivoire et le Ghana des schémas de durabilité que Hershey a conclu dans ces deux pays dans le cadre de son approvisionnement en cacao (lire nos informations hier Cacao : la Côte d’Ivoire et le Ghana sanctionnent Hershey et du 17 novembre Nouvelle pression de la Côte d’Ivoire et du Ghana sur le marché du cacao ?), les marchés à terme du cacao à Londres et à New York n’ont guère réagi.

A la clôture lundi et hier soir, Londres a perdu £ 7 puis encore £ 36 la tonne tandis que New York glissait de $ 11 lundi et de $ 48 hier. Pourtant, Hershey pourrait perdre sa licence d’opérer en Côte et au Ghana et donc d’exporter. Face à cela, la Côte d’Ivoire n’arrive pas à vendre. Habituellement, avant que la nouvelle campagne ne démarre, début octobre, elle a déjà pré-vendu toute sa récolte principale et 30 à 40% de celle intermédiaire qui démarre en mars. Or, cette année, pour la première fois depuis des décennies précise Reuters, il lui resterait 200 000 à 250 000 t invendues sur la principale qui est estimée par le négoce et l’industrie être de 1,6 million de tonnes (Mt) et n’aurait toujours pas vendu 90 à 95% de sa campagne intermédiaire estimée totaliser 500 000 t.

De leurs côtés, les traders et broyeurs en Côte d’Ivoire ne joueraient pas leur rôle habituel d’acheter l’excédent de cacao et le stocker car ils craignent que le LID ajouté au cours mondial feront que l’industrie mondiale cherchera à s’approvisionner en fèves ailleurs qu’en Afrique de l’ouest. La Côte d’Ivoire et le Ghana pèsent environ 62% de l’offre mondiale en fèves mais, face à des multinationales de cette taille, on ne saurait être trop prudent (lire nos informations :  Hershey, coupable de la guerre du cacao ?). Abidjan aurait donc déjà lâché un peu de lest en réduisant à $ 53 la tonne la prime payée sur le marché mondial pour du cacao de Côte d’Ivoire qui était d’environ $ 200 pour les livraisons entre janvier et mars (lire nos informations du 27 octobre : Les exportateurs de cacao demandent à la Côte d’Ivoire de réduire le différentiel).

Rappelons que c’est en novembre 2017 sous la houlette de la Fondation mondiale du cacao que l’accord tripartite, Cocoa & Forests Initiative (CFI), était signé afin de mettre un terme à la déforestation, promouvoir la restauration forestière et protéger la chaine d’approvisionnement du cacao. Hershey était alors la 31ème entreprise qui signait ce Cadre pour Action de la Côte d’Ivoire et le Ghana.

Il est à souligner que les clauses de ces schémas portent sur l’environnement et les droits humains -le travail des enfants- et non sur une garantie par les entreprises d’un prix payé aux producteurs (lire nos informations : Le différentiel cacao ne changerait guère la donne pour le producteur).Pour Hershey, la cause est claire (lire nos informations : Le torchon brûle entre Abidjan-Accra et les multinationales du cacao) : tout son cacao acheté dans la chaine d’approvisionnement ivoirienne et ghanéenne depuis le démarrage de la campagne 2020/21, donc depuis le 1er octobre, intègre la prime du LID. Mais « les fèves vendues avant la mise en place du LID n’inclurait pas la prime », souligne un porte-parole de Hershey à Confectioners (lire nos informations : La Chronique matières premières agricoles au 27 novembre 2020).

Inlassablement, la justice américaine se penche sur les cas Cargill et Nestlé

Outre-Atlantique, on se penchait aussi hier sur le cacao. Les neuf juges de la Cour Suprême des Etats-Unis (dont 6 maintenant sont conservateurs) ont examiné la demande du groupe Cargill et de la filiale américaine de Nestlé de casser la décision de 2018 de la 9th U.S. Circuit Court of Appeals de San Francisco. Celle-ci autorisait l’action en justice enregistrée en 2005 pour le compte d’enfants d’esclaves du Mali qui auraient travaillé sur des plantations fournissant en cacao les deux multinationales.

Le tribunal s’était appuyé sur l’allégation que les entreprises avaient donné « de l’argent de poche personnel » à des fermiers locaux pour s’assurer d’un approvisionnement bon marché en cacao, donc susceptible de recourir à une main d’œuvre esclave.Les deux multinationales auraient, alors, obtenu l’appui de l’administration Trump et de la Chambre de Commerce des Etats-Unis, entre autres milieux d’affaires. Rappelons qu’en juillet dernier, la Cour Suprême avait accepté d’être saisie du dossier (lire nos informations : Aux Etats-Unis, la Cour Suprême accepte de rouvrir la plainte contre Cargill et Nestlé sur les enfants esclaves dans le cacao).

Le point de droit à trancher par la Cour est de savoir si des entreprises américaines peuvent être traduites en justice aux Etats-Unis sur des accusations d’abus de droits humains qui ont eu lieu à l’étranger. Selon la loi Alien Tort Statute de 1789, un étranger peut poursuivre devant les juridictions fédérales américaines des auteurs de violations du droit international. Mais la loi ne précise pas si ces violations doivent avoir lieu ou non sur le territoire américain.

En l’espèce, toute la question est de savoir si la juridiction américaine est compétente ou non si ces violations ont lieu à l’étranger. Hier, certains magistrats de la Haute Cour se sont demandés si les termes de l’action en justice étaient bien clairs : s’agit-il bien de savoir sir ce sont les responsables des entreprises qui savaient que les fermes impliquées avaient recours à des enfants esclaves ?

« Après 15 ans, c’est trop que de demander que vous plaidiez spécifiquement que les défendants… qui sont devant nous ici, savaient précisément que des enfants esclaves étaient utilisés sur ces fermes ou ces coopératives agricoles avec qui ils faisaient des affaires », a déclaré le juge conservateur Samuel Alito, rapporte Reuters.

Si la cour était allée hier dans ce sens, elle aurait alors minimisé de façon générale la responsabilité des entreprises dans le cadre de cette loi. Certains magistrats n’ont pas voulu franchir ce pas. En effet, a indiqué le juge libéral Elena Kagan, que se passerait-il si des détenteurs d’esclaves, qui, normalement, pourraient être traduits en justice individuellement, constituaient une société qui, elle, pourrait ne pas être tenue comme responsable ? Difficile à concevoir, selon elle. Le juge Alito lui a prêté main forte dans son argumentaire, soulignant qu’on ne pouvait guère concevoir que la responsabilité d’entreprises américaines ne puisse pas être engagée alors que des conduites violant le doit international sont flagrantes.

Notons qu’à deux reprises, en 2013 et en 2018, la Cour Suprême avait réduit la possibilité pour des plaignants d’intenter des actions en justice contre des entreprises dans le cadre du Alien Tort Statute pour des actes commis hors des Etats-Unis. Mais, rappelle Reuters, jusqu’à maintenant, la Cour n’a jamais décidé qu’aucune action ne pouvait être intentée contre une entreprise en vertu de cette loi. Jusqu’à maintenant… Rappelons que depuis la décision de 2018 (5 pour et 4 contre), la Cour s’est « droitisée » avec la venue de deux nouveaux juges conservateurs, Brett Kavanaugh et, ces dernières semaines, Amy Coney Barrett.

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