Le grand retour du Cirad en Côte d’Ivoire

 Le grand retour du Cirad en Côte d’Ivoire
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Hier, au Salon international de l'agriculture (SIA) à Paris, le ministre ivoirien de l'Agriculture, Coulibaly Mamadou Sangafowa, et le président directeur général du Cirad, Michel Eddi, ont signé un accord cadre  signalant le retour de l'organisme de recherche agronomique français en Côte d'Ivoire.  Un véritable tournant compte tenu de l'importance de l'Afrique, notamment de l'Afrique de l'Ouest dans les activités du Cirad, explique Michel Eddi à CommodAfrica.

 

Quelles sont vos priorités pour 2016 en Afrique, plus précisément en Afrique de l'Ouest?

Pour le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), le continent africain constitue évidemment une cible prioritaire de partenariat et de développement d'activités avec les institutions des pays du continent. Il s'agit d'essayer de contribuer, du mieux qu'il se peut, au développement agricole du continent mais aussi au développement économique en général, compte tenu de la place importante que tient l'agriculture dans tous ces pays.

Que représente l'Afrique dans votre activité globale ?

Tout d'abord, c'est une priorité politique de la coopération française. Donc, en tant qu'instrument de la politique de coopération de la France à l'étranger, le Cirad s'inscrit dans les orientations que le ministère des Affaires étrangères nous donne en la matière. Et nous sommes aujourd'hui présents au Salon international de l'agriculture (SIA) comme chaque année, avec l'Agence française de développement (AFD) qui a, de ce point de vue, la même priorité que nous. Donc, tant du côté de l'expertise scientifique et technique que des moyens de financement, la priorité à l'Afrique est effectivement au centre de la politique d'aide publique au développement de la France.

Pour le Cirad, cela représente le principal domaine de coopération. Pour exercer ce métier de coopération au Sud, nous avons la capacité et l'aptitude d'expatrier des chercheurs, des scientifiques, qui sont présents chez nos partenaires, qui vivent avec nos partenaires, qui travaillent avec eux et qui, effectivement, tous les jours, sont là avec eux pour faire que les objectifs de la programmation que nous arrêtons conjointement, produisent les résultats attendus par eux de manière à pouvoir contribuer au développement de leur agriculture.

Dans le dispositif de partenariat, nous avons 200 chercheurs présents en permanence à l'étranger dont plus d'une centaine en Afrique. Ils sont présents dans les institutions de recherche, l'enseignement supérieur, les universités, les ministères, auprès des filières professionnelles, puisque notre partenariat est éminemment diversifié. Il s'intéresse à tous les segments de la chaîne de valeur, de la production jusqu'à la mise en place des outils de politique publique en appui aux Etats, et peut apporter une expertise dès lors que ceux-ci la souhaitent.

"Une recherche agronomique africaine

mieux organisée que la recherche européenne"

En Afrique de l'Ouest, quelle est votre présence actuellement ?

Sur la centaine de chercheurs présents en Afrique globalement, l'Afrique de l'Ouest et l'Afrique du Centre représentent environ 80% du dispositif. C'est d'abord un partenariat à caractère historique même si, aujourd'hui, le Cirad a vocation à intervenir sur l'ensemble du continent et pas simplement sur l'Afrique francophone. Nous sommes aussi présents en Afrique de l'Est, en Afrique australe, en Afrique lusophone.

L'Afrique est dans une dynamique continentale, avec une organisation de la recherche agronomique qui se fait par sous-région et à l'échelle du continent. De ce point de vue, la recherche agronomique africaine est bien mieux organisée et structurée que la recherche européenne. Donc, nous travaillons à tous les échelons puisque la problématique est, en gros, des problématiques de développement local mais qui doivent aujourd'hui s'inscrire dans des démarches qui sont globales.

En 2015, quel a été pour vous le grand évènement ou le grand tournant?

De façon générale, au plan politique et donc dans celui de la recherche car les choses vont du même pas, le grand évènement pour moi est le retour de la Côte d'Ivoire sur les scènes politique, économique et partenariale. L'accord  cadre signé avec le ministre de l'Agriculture de Côte d'Ivoire lors de ce SIA est, pour moi, une étape supplémentaire  dans ce que nous allons pouvoir reprendre une coopération très active avec la Côte d'Ivoire.

Pour le Cirad, pour son histoire personnelle et institutionnelle, c'est un évènement particulièrement important : le Cirad est, en partie, née en Côte d'Ivoire. Pour des raisons qui tiennent à la situation du pays, nous avons dû le quitter et cela a été, pour une partie des scientifiques de la maison, quelque chose de difficile.

Aujourd'hui, à l'évidence, les conditions d'un retour, à la demande des autorités ivoiriennes, dans un cadre politique porté par les autorités ivoiriennes, partagé avec la coopération française, ce retour est possible.

Mais le retour est déjà effectif…

Oui, le retour est déjà effectif : nous avons, en 2015, réaffecté pour la première fois un chercheur en Côte d'Ivoire, François Ruff, qui travaille sur l'agriculture du cacao. J'espère qu'il est le premier d'une équipe de chercheurs du Cirad qui, en 2016, 2017 et 2018, vont pouvoir, aux côtés de nos partenaires ivoiriens, recommencer à travailler avec eux au développement d'une agriculture qui, bien évidemment, est au cœur du développement économique du pays.

Que comprend cet accord cadre signé au SIA avec le ministre de l'Agriculture?

Il comprend des éléments qui structurent le partenariat sur des questions que nos collègues ivoiriens se posent à travers les grandes filières agricoles que la Côte d'Ivoire souhaite développer. Nous avons eu des échanges très approfondis avec le directeur de l'Agriculture du ministère de l'Agriculture. Nous avons signé l'an dernier un accord cadre avec le Firca, le Fonds d'intervention agricole de Côte d'Ivoire. Donc nous mettons en place tous les cadres et tous les instruments pour relancer cette coopération.

Surtout sur l'agriculture d'exportation ou aussi sur le vivrier?

Tout les secteurs sont concernés. Le vecteur du partenariat est la demande de nos collègues ivoiriens. Et je comprends que la Côte d'Ivoire affiche des ambitions fortes en matière de la culture d'exportation du cacao, mais aussi sur le vivier, sur la banane, sur le plantain, etc.

Que représente financièrement la reprise da la coopération avec la Côte d'Ivoire pour le Cirad ?

Je n'en sais rien. Ce sera à la hauteur des ambitions portées par nos partenaires ivoiriens. A mon avis, il n'y a pas de plafond. Plus il y aura de moyens, plus il y aura d'activité. Pour parler de manière réaliste, il ne suffit pas d'avoir des projets, encore faut-il avoir les moyens de ces projets et donc il faudra dégager ensemble ces ressources. Il se trouve que les négociations entre les autorités ivoiriennes et françaises sur les C2D, les contrats de désendettement développement, ont permis de dégager des enveloppes importantes sur le volet agricole et sur le volet enseignement supérieur. Et nous comptons bien à travers ces financements, à la demande des autorités ivoiriennes, trouver les ressources et les moyens pour relancer cette coopération.

En terme de recherche, qu'est-ce qui a été le plus marquant en 2015 ?

C'est dans le champ de la lutte contre les parasites et les zoonoses. Notre collègue Jérémy Bouyer, un jeune chercheur qui travaille dans le domaine de la santé animale, a mené ses travaux au Sénégal en partenariat avec l'Isra (Institut sénégalais de recherches agricoles) et a obtenu la première bourse ERC. L'European Research Council est une institution européenne qui fournit des bourses aux meilleurs chercheurs européens. Ses travaux portent sur l'élimination des vecteurs des trypanosomiases et des maladies vecteurs touchant des troupeaux de la région. Il s'agit de la première bourse ERC du Cirad en lien avec l'ISRA et nous en sommes très fiers.

"une localisation où la sécurité est la mieux assurée"

Quelles sont vos priorités pour 2016 sur l'Afrique de l'Ouest ?

Sur l'Afrique de l'Ouest et sur 2016 –le pas de temps de la recherche et de l'innovation étant un peu long, on s'inscrit dans la durée. Nous nous inscrivons dans la continuité de ce que nous avons déjà conduit autour des principales spéculations de l'agriculture de ces pays.

En Afrique de l'Ouest, nos priorités thématiques fortes portent sur la riziculture irriguée, les cultures vivrières et horticoles dans les zones de Delta comme le fleuve Sénégal, les céréales sèches avec l'arachide, le sorgho ou le mil, le coton pour les régions du Mali et du Burkina qui travaillent sur ces questions.

En terme de pays de localisation, nous sommes aujourd'hui dans des conditions où les situations de sécurité des populations et donc, de facto, de nos expatriés présents sur le terrain, posent question. Il est vrai que nous sommes conduits à essayer de continuer à développer nos relations avec tous les pays du continent et tous les pays d'Afrique de l'Ouest, mais en étant plus fortement localisé dans les pays où la sécurité est la mieux assurée.

De ce point de vue, nous sommes présents au Sénégal avec 20 chercheurs sur le terrain, au Burkina Faso avec une quinzaine de chercheurs mais, malheureusement, moins aujourd'hui au Mali, au Niger voire au Tchad, où nous intervenons à travers des missions et une présence sur le terrain qui est ponctuelle.

En tous cas, nous embrassons la sous-région avec ses organisations, le Conseil Ouest et Centre africain pour la recherche et le développement agricoles (Coraf) avec la Cedeao avec laquelle nous intervenons en appui, avec nos dispositifs de partenariat qui sont des dispositifs régionaux et qui ont vocation à ne pas simplement s'inscrire dans un pays mais dans la totalité de la région. Dans la région, nous avons un dispositif sur la pastoralisme qui embrasse tous les pays de la zone et qui s'inscrit d'ailleurs dans une programmation que la Banque mondiale, à travers le Praps (Projet régional d'appui au pastoralisme au Sahel), est en train de soutenir en appui aux politiques des Etats.

La concurrence des instituts de recherche d'autres pays –américains, européens, etc.– est-elle forte et met-elle un peu de côté le Cirad ?

Au plan de la recherche, je ne le crois pas. Si tel était le cas, mon sentiment est que dans le domaine de la recherche, même si nous vivons dans un monde qui est de plus en plus compétitif, la coopération entre nous, y compris entre institutions du Nord et du Sud, reste un vecteur important. Les questions à traiter face notamment aux changements climatiques, sont tellement considérables que nous n'avons ni le temps, ni les moyens, ni les forces de nous disperser. Ce qui est à faire en peu de temps est à une hauteur de tâche qui suppose que tout le monde se retrousse les manches.

"Bâtir un grand programme Union européenne-Union africaine"

Travaillez-vous, en Afrique de l'Ouest, avec les Allemands, les Américains, les Asiatiques…?

Non, pas suffisamment. Il est vrai que les coopérations restent des coopérations qui sont plutôt des échanges nationaux à travers les Etats. Néanmoins, à travers les orientations régionales et sous-régionales de la recherche africaine, nous nous retrouvons parfois en coopération avec la coopération allemande. Il est vrai que nous recherchons actuellement les voies et les moyens de bâtir un grand programme Union européenne-Union africaine autour des voies de l'intensification écologique des agricultures africaines, dans leur diversité – cultures vivrières, cultures d'exportation, cultures de rente, agricultures familiales, agricultures plus industrielles. Nous voulons en faire un élément et un vecteur très important d'une politique de co-développement  entre l'Europe et l'Afrique.

Travaillez-vous avec l'Inde qui a une recherche agricole très développée?

Très peu. L'Inde est un continent en soi, qui dispose des ressources nécessaires et pour lequel la coopération reste un vecteur minoritaire de son activité. Je ne crois pas que l'Inde ait une attente aussi forte que d'autres pays partenaires de la France dans ce domaine là, et veuille faire appel à la coopérations et aux compétences du Cirad.

Quel est, selon vous, le handicap majeur pour les instituts de recherche africains ?

C'est une question de ressources et la première des questions pour un institut de recherche, c'est la ressource humaine. Evidemment, un chercheur c'est un investissement qu'on fait sur le long terme. C'est une compétence et une capacité qui prend des années et des années à se développer, une formation doctorale à laquelle s'ajoutent 10 années pour devenir un expert dans son domaine. C'est un investissement lourd.

Nous sommes une industrie de main d'œuvre et la seule vraie ressource –qui est notre richesse, c'est la compétence de nos scientifiques. Il en est ainsi pour le Cirad ; il en est de même pour nos partenaires africains. A une période où les moyens font un peu défaut, il est vrai que renouveler la compétence, augmenter les moyens y compris en faveur de la recherche agronomique, constituent pour ces pays un gros enjeu. Après, il y a les moyens de fonctionnement. Mais si vous n'avez pas la compétence, cela ne sert à rien d'avoir les moyens de fonctionnement.

On essaie d'attirer les jeunes vers l'agriculture à travers l'Afrique. Beaucoup de jeunes s'intéressent-ils à la recherche agricole?

Face à la poussée démographique et au nombre croissant d'étudiants qui entrent dans l'enseignement supérieur, je ne vois pas un horizon d'attrition des compétences ou des gens qui pourraient être intéressés par nos métiers. Mon espoir est que nous ayons les moyens de les accompagner jusqu'au niveau de la formation de chercheur.

Des bourses pour les jeunes chercheurs

Que leur proposez-vous à ces jeunes ?

Des bourses d'échange et un système entre la France et ces pays pour faire venir de jeunes scientifiques dans nos laboratoires. Nous en accueillons plus de 1 000 par an dans les laboratoires du Cirad. Si on peut amplifier ces moyens, ce serait bienvenu. Lorsque je rencontre des ambassadeurs représentant notre pays dans les pays africains, je leur dit que s'il y a des crédits qu'ils doivent à tout prix sanctuarisés et préserver dans les moyens d'intervention dont ils disposent, ce sont les bourses d'échange pour les jeunes scientifiques afin qu'ils puissent venir chez nous et que les nôtres puissent aller chez eux. Mais c'est plus simple pour nous que pour eux. Il faut donc réserver des crédits à pouvoir permettre l'accueil de ces scientifiques dans nos laboratoires.

Souvent la question de l'octroi de visa se pose pour de jeunes étudiants africains. Pouvez-vous influer sur ce point?

Ces pression se sont heureusement exercées il y a maintenant plusieurs années. Dès 2012, le gouvernement français a pris des mesures qui ont permis que l'accueil des scientifiques étrangers, en particulier les scientifiques africains, se fassent maintenant dans des conditions que je qualifie de quasi normales. Même si la situation globale aujourd'hui liée aux actes terroristes que connaît notre pays, mais pas seulement pour ces jeunes collègues scientifiques venant d'Afrique ou de l'étranger, mais de façon générale, pour les échanges entre les pays, posent aujourd'hui question. Mais du point de vue des échanges scientifiques, les choses ont été faites et bien faites par le gouvernement français en 2012.

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