La vulnérabilité de l’Afrique face à la Thaïlande aux manettes du marché mondial du riz

 La vulnérabilité de l’Afrique face à la Thaïlande aux manettes du marché mondial du riz
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C’est la guerre du riz et le premier impacté est l’Afrique puisque le continent en est toujours le premier importateur malgré quasiment une décennie de politiques déclarées d’autosuffisance rizicole (cf. Va-t-on manquer de riz ?).

Depuis le début de l’année, les prix du riz sur le marché international ne cessent d’augmenter et sont à leur plus haut niveau depuis juin 2018, a souligné la FAO dans son dernier rapport mensuel d’indice des prix alimentaires publié début avril (cf. Les prix des produits alimentaires ont baissé de 4,3% entre février et mars). Selon l’International Grains Council (IGC), le cours mondial du riz serait à son niveau le plus élevé en six ans. Jeudi dernier, le riz thaïlandais de référence, le 5% brisures de riz blanc, se vendait entre $ 560 et $ 570 la tonne, son niveau le plus élevé depuis avril 2013, il y a sept ans…. Il était encore $ 468-$ 496 la semaine du 23 mars (cf. La Chronique Matières Premières Agricoles au 2 avril 2020).

Pourtant, vient de réaffirmer la FAO, on ne manque pas de riz au niveau planétaire. Selon l’IGC, les stocks de fin de campagne 2019/20 totaliseraient 177 Mt et grimperaient à 185 Mt fin 2020/21 ; ces stocks représentent 35% de la consommation mondiale annuelle. Mais plus de 40% des stocks de riz se trouvent bel et bien dans les entrepôts des principaux pays exportateurs et non sur les bateaux, coronavirus obligent…

Or, actuellement, la Thaïlande, deuxième exportateur mondial de riz derrière l’Inde, reste quasiment le seul acteur majeur sur le marché international devenu à sa merci et sur lequel règne une grande confusion.

En effet, l’Inde, premier exportateur mondial, a déclaré le 24 mars un confinement général pendant 21 jours, entrainant des pénuries de main d’œuvre et des problèmes logistiques. Les exportateurs indiens ne travaillent plus et les négociants ne signent plus de nouveaux contrats ; ils ne communiqueraient même plus de prix, selon Reuters… A la fin de la semaine dernière, 400 000 t de riz non-basmati et 100 000 t de basmati, soit l’équivalent des expéditions sur mars et avril, étaient coincés dans la filière ou aux ports en raison du confinement. L’Inde exporte du riz non basmati essentiellement au Bangladesh, au Népal, au Bénin et au Sénégal. Notons qu’avant le confinement, l’Inde vendait sa variété de riz étuvé 5% brisures à environ $ 365 la tonne FOB. Cette même qualité que la Thaïlande propose aujourd’hui à $ 560-$570…

Au confinement indien s’est ajoutée la décision la semaine dernière du Vietnam -3ème exportateur mondial derrière l’Inde et la Thaïlande- d’interdire toute signature de nouveaux contrats le temps de s’assurer que l’approvisionnement local est suffisant pour couvrir sa demande nationale. Notons que sur les quelque 5 Mt de riz exporté par le Vietnam, 60% vont à d’autres pays asiatiques et 22% à l’Afrique.

Ailleurs, lundi dernier, le Cambodge a annoncé interdire toute exportation de riz blanc et paddy pour assurer sa sécurité alimentaire nationale durant toute la pandémie.

Les cartes entre les mains de la Thaïlande….

La Thaïlande se trouve donc, actuellement, en positon de force sur le marché rizicole mondial, quasiment seul en lice, renversant la situation qui prévalait jusque là. En effet, la fermeté de sa monnaie, le baht, et la sécheresse depuis novembre avaient considérablement restreint les perspectives rizicoles du pays. Rappelons que le pays produit environ 20 millions de tonnes (Mt) par an, en consomme 10 Mt, le reste étant exporté. Cette année, cet excédent ne serait que de 8 Mt, estime le président honoraire de l’Association thaïlandaise des exportateurs de riz, Chookiat Ophaswongse, et les exportations tomberaient à 7,5 Mt étant donné le manque de compétitivité du riz thaïlandais. Car, en face, la production indienne est record et la récolte d’hiver-printemps au Vietnam très abondante. Mais dans les entrepôts…. Et depuis le début du mois de mars, les grands supermarchés sur la place mondiale se seraient rués sur le riz thaïlandais

…ou de la Chine ?

En réalité, c’est la Chine -sans surprise-  qui tient les cartes maitresses. Le ministère du Commerce en Chine a assuré en fin de semaine dernière que les volumes de céréales en général et de riz en particulier étaient suffisants pour couvrir la demande intérieure et ce, même sans importations. Sa production en 2019 aurait été de 209,6 Mt, en baisse de 2,52% sur 2018, et sa consommation de 158 Mt en baisse de 500 000 t, précise Wang Liaowei, senior économiste au China National Grain and Oils Information Centre. Le géant asiatique -plus précisément le gouvernement chinois- détiendrait les deux tiers des stocks mondiaux de riz, selon Rabobank. Ouvrir les vannes ou non devient alors une décision éminemment politique. Selon Peter Clubb, analyste à l’International Grains Council, les exportations chinoises de riz devraient augmenter progressivement au fur et à mesure que son économie se stabilise.

Quid de l’Afrique ?

La situation de l’Afrique est la plus fragile (cf. L’USDA révise à la baisse ses prévisions d’importations de riz en Afrique). Malgré les annonces politiques fracassantes et répétées de hausse de production pour atteindre l’autosuffisance cette dernière décennie, on en est encore loin. L’Afrique sub-saharienne, qui est la troisième région consommatrice de riz au monde et affiche la plus forte progression de sa demande, représente encore un tiers des importations mondiales. Si ses achats ont baissé en 2018, ils auraient progressé de 3,6% en 2019 à 17,4 Mt contre 16,7 Mt en 2018, selon Patricio Mendez del Villar, chercheur au Cirad et responsable d’Osiriz.

Il est, évidemment, difficile de se prononcer sur 2020 car outre l’impact du coronavirus et en fonction de comment se dessinera l’après coronavirus, la fermeture des frontières terrestres du Nigeria depuis août 2019 impactait déjà les chiffres d’importations africaines de riz du continent. En février, Patricio Mendez del Villar soulignait que “les entrées de riz thaïlandais et indien, via le port de Cotonou au Bénin, restent encore limitées à moins de 10 000 t par mois contre 15 fois plus en temps normal. En 2020, les importations africaines de riz pourraient être revues à la baisse par rapport aux précédentes prévisions.” Et, a fortiori, à cause du coronavirus. Mais à quel prix en terme d’alimentation ? Car rappelons que la vulnérabilité de l’Afrique sub-saharienne est due à ce qu’elle  détient les plus faibles stocks de céréales (estimés à 2,43 Mt de riz fin 2019/20 pour tout le sous-continent) au monde au regard de sa consommation car les budgets des Etats sont faibles et les capacités de stockage limités.

On peut seulement espérer que le registre “après le coronavirus plus rien ne sera comme avant” s’applique à l’Afrique et au riz.

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