Pour préserver la biodiversité, il faut regarder toute la chaîne cacao/chocolat. Pas seulement le producteur, selon l’IDDRI

 Pour préserver la biodiversité, il faut regarder toute la chaîne cacao/chocolat. Pas seulement le producteur, selon l’IDDRI
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L’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI), think tank français, vient de publier une étude intitulée Les chaînes de valeur agricoles au défi de la biodiversité : l’exemple du cacao-chocolat “. L’étude, co-rédigée par trois chercheurs, Frédéric Amiel, Yann Laurans et Alexandre Muller, a pour objectif d’évaluer “les risques que fait peser la culture du cacao sur la biodiversité non seulement à travers la déforestation, mais également au niveau des parcelles de culture.”

Nous reproduisons ci-dessous le résumé de cette étude qui souligne qu’il faut regarder l’ensemble de la chaîne de valeur cacao/chocolat et non seulement la partie de la production et des pratiques des cacaoculteurs.  Sont passées en revue les pratiques culturales, certes, mais aussi la pertinence des différentes initiatives du commerce équitable, produit bio, certification et les multiples initiatives des entreprises. Un regard vertical passionant.

 

“Le cacao figure, au même titre que l’huile de palme, le caoutchouc ou le soja, parmi les commodités alimentaires régulièrement pointées pour leur contribution à la déforestation tropicale. Entreprises et gouvernements ont ainsi, ces dernières années, multiplié les annonces promettant une évolution des pratiques vers un secteur plus durable avec un objectif « zéro déforestation ». La plupart de ces initiatives sont exclusivement concentrées sur la question des techniques agricoles mises en œuvre par les producteurs de cacao ; cependant, compte tenu de la spécificité des grands cycles du cacao, il est nécessaire d’envisager la question de l’impact de la filière cacao/chocolat sur la biodiversité au niveau de la chaîne globale de valeur.

Confrontée, d’une part, à l’augmentation continue de la demande globale et, d’autre part, aux menaces associées au changement climatique, au vieillissement des plantations et au développement de nouvelles maladies, la production de cacao se retrouve aujourd’hui au cœur des enjeux liés à la déforestation et au développement de l’agriculture. […]

La perspective adoptée dans cette étude, dite des chaînes globales de valeur, permet, au-delà des questions légitimes des impacts directs des modes de production sur les écosystèmes, de poser la question du rôle de l’ensemble de la filière dans la protection de la biodiversité.

En effet, les décisions prises à chaque étape de la chaine logistique de transformation et de distribution du cacao et des produits chocolatés ont un impact sur l’équilibre financier de la filière, mais aussi sur l’adoption par les différents acteurs de pratiques plus ou moins durables, ou compatibles avec des objectifs de durabilité.

La filière cacao/chocolat a connu au cours des dernières décennies des transformations importantes. D’une part, le jeu d’acteurs a profondément évolué au fil d’une série de fusions/ acquisitions et du désengagement des grandes marques de confiserie du secteur de la première transformation (broyage). Cette dynamique a conduit à réduire drastiquement le nombre d’acteurs intervenant dans le segment de la transformation en milieu de chaîne. La division par 4 du nombre d’usines de broyage en Europe au cours des dernières décennies a entraîné une faible adaptabilité de la filière aux contraintes de production durable, et conduit au maintien d’une surproduction structurelle de cacao au niveau mondial.

Dans le même temps, de nouveaux acteurs issus du commerce international des céréales ont introduit de nouvelles pratiques industrielles dans le segment du transport, du stockage et du broyage qui ont conduit à la recherche d’une plus grande homogénéité dans le marché de la fève de cacao.

Cette standardisation du produit sur le marché mondial s’est accompagnée d’une augmentation de la spéculation et d’une forte volatilité des prix internationaux sur les bourses de matières premières.

Des surfaces multipliées par 2,5 en 50 ans

Tirées par la demande mondiale, les surfaces dédiées à la production de cacao sont passées depuis les années 1970 de 4 à plus de 10 millions d’hectares. Une expansion qui s’est faite, pour la moitié au moins, au détriment des forêts naturelles. Peu d’études pourtant permettent d’établir avec certitude la part que le cacao a pris dans le phénomène de déforestation globale. Au niveau local, en revanche, l’impact de la culture de cacao est très bien documenté. Plusieurs études soulignent notamment la façon dont la recherche de gains rapides et d’une productivité maximum au cours des premières années de production a conduit de nombreux producteurs à défricher les forêts naturelles, à la recherche de la « rente forêt » promise par des sols fertiles et des conditions climatiques optimales.

En plus de ces pratiques de défrichement, la généralisation, notamment en Afrique de l’Ouest, de pratiques de culture dites « de plein soleil » à partir des années 1990 ont aggravé l’impact de la culture du cacao sur la biodiversité, en supprimant les strates de couverture forestière dans les parcelles et en encourageant également l’usage massif d’intrants chimiques sur les parcelles.

Seule l’agroforesterie complexe à fort ombrage serait efficace

L’impact de la culture du cacao sur la biodiversité est donc fortement dépendant des méthodes de production choisies, et l’on peut distinguer au moins cinq grands modes de culture, en fonction du niveau d’ombrage et de la complexité du couvert forestier. Seul le plus complexe de ces modes de culture, dit agroforesterie complexe à fort ombrage, permet en partie de compenser la perte de biodiversité liée au développement de la culture du cacao, sans pour autant pouvoir être comparé à un écosystème de forêt naturel. Ce modèle est quasiment absent d’Afrique de l’Ouest, de loin la première région de production de cacao dans le monde, et se retrouve essentiellement dans des zones historiques de production en Amérique latine. Ce constat plaide donc pour une adaptation des efforts de durabilité des filières à la réalité géographique des différentes zones de production.

 

Pour répondre à ces enjeux, la filière cacao a développé plusieurs stratégies. Parmi les principales, le recours à la certification (équitable, bio, Rainforest/UTZ), ou le déploiement de « politiques d’entreprises », ou engagements volontaires. L’analyse de ces différentes initiatives au moyen de l’évaluation par la théorie du changement permet d’appréhender la façon dont elles entendent répondre au défi de la durabilité du secteur. Les hypothèses sur lesquelles elles s’appuient pour transformer le secteur ont été comparées aux résultats effectifs disponibles dans différentes évaluations.

Aucune initiative réellement satisfaisante

Le commerce équitable a rempli un rôle de pionnier indéniable dans la construction d’un discours sur la durabilité du secteur agroalimentaire. Il a permis une véritable sensibilisation des consommateurs. Mais son modèle basé sur le paiement d’un prix minimum reste limité par la difficulté à s’affranchir complètement des fluctuations du marché mondial du cacao dans un contexte concurrentiel caractérisé par une surproduction de cacao, y compris équitable.

 

Autre pionnier de la certification, le mouvement bio obtient de bons résultats en termes de préservation de la biodiversité au niveau de la parcelle de cacao. En revanche, les cahiers des charges prennent peu, ou pas en compte les paysages environnants, et donc la question de la déforestation. De plus, le modèle économique de la filière bio est fortement dépendant de l’existence d’une demande spécifique, prête à payer un prix significativement supérieur à celui des produits conventionnels. Or l’augmentation de la part de cacao bio sur le marché semble s’accompagner d’une baisse de l’écart de prix observé avec le marché conventionnel.

La certification Rainforest/UTZ prend plus directement en compte le risque de déforestation. Cependant, les études disponibles mettent en évidence une mise en œuvre partielle des engagements du cahier des charges. Conséquence entre autres de la possibilité offerte aux plantations et entreprises labélisées d’adopter une approche progressive dans la mise en œuvre des pratiques durables. De plus, l’accent mis sur la question de la productivité des parcelles, au détriment parfois des critères environnementaux, pose la question d’une instrumentalisation du label par l’aval de la filière à des fins d’augmentation de la productivité.

Le rôle central de la productivité est également caractéristique des engagements volontaires d’entreprises. Ces engagements présentent un manque général de cohérence dans leur approche, dû à la superposition d’engagements pris au fur et à mesure des campagnes de la société civile sur les enjeux sociaux et environnementaux de la production de cacao. Il en résulte une théorie du changement qui repose presque exclusivement sur l’augmentation de la productivité à l’hectare. En plus de négliger certains leviers d’amélioration comme le prix d’achat ou l’adoption de pratiques agroécologiques, cette stratégie repose sur des ententes excessivement optimistes en termes de gains de productivité. Il semble peu probable que ces gains puissent être suffisants pour répondre à l’ensemble des défis sociaux et environnementaux de la filière.

Ne pas se focaliser sur la seule production

Globalement, l’ensemble des initiatives de durabilités étudiées pour la filière cacao/chocolat ont en commun de se focaliser sur l’échelon de production et les pratiques des cacaoculteurs. Ces stratégies ne prennent pas en compte les dynamiques connues de déplacement des zones de production de cacao qui expliquent en grande partie la déforestation liée à cette culture.

Ce faisant, la filière évite de poser la question d’une réelle transformation de l’ensemble de la chaîne de valeur, et pas seulement de son échelon productif. Il apparaît donc nécessaire que l’ensemble des étapes de la chaîne de valeur, y compris la transformation et la production, adaptent leur modèle aux contraintes d’un cacao durable, c’est à dire d’un cacao mieux tracé et plus rémunérateur. Mais aussi que l’ensemble des acteurs de la filière se préoccupent de maintenir un niveau de demande supportable pour les écosystèmes actuels de production, afin d’éviter qu’un boom de production de cacao, dans de nouveaux bassins forestiers, comme en Afrique centrale par exemple, n’entraîne une fois de plus une vague de déforestation dans des écosystèmes sensibles.”

 

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