“La magie du chocolat : chaque fève, chaque origine, a sa particularité”, selon Franck Kestener

 “La magie du chocolat : chaque fève, chaque origine, a sa particularité”, selon Franck Kestener
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Au Salon du Chocolat la semaine dernière à Paris, le chocolatier Franck Kestener, Meilleur Ouvrier de France en 2004, champion du monde de pâtisserie en équipe en 2006, est revenu pour CommodAfrica sur un certain nombre d’idées reçues en matière de chocolat – plus il est noir, meilleur est-il ; la pénurie annoncée de cacao ; etc. – soulignant à quel point la qualité de la fève, le travail en amont est primordial. Ce qui fait l’excellence en matière de chcolat, c’est comme le vin, ce sont les mélanges. Et le défi pour un chocolatier est la stabilité du goût. D’où l’intérêt pour les producteurs de se regrouper en copératives.

 

Qui a-t-il de nouveau  dans les goûts des amoureux du chocolat ?

Les gens aiment bien avoir des choses originales, qui sortent de l’ordinaire : un assemblage de saveurs originales ou des matières premières qu’on n’a pas l’habitude de retrouver dans un ‘moment chocolat’. C’est l’avantage du bon chocolat : dans une boîte de bonbons, on trouve plus facilement quelque chose qui va nous tenter.

C’est vous, chocolatier, qui forgez le goût, qui l’orientez, ou est-ce le consommateur que vous devez suivre ?

J’essaie de faire mes propres créations et d’influencer mes clients à goûter ce vers quoi j’ai envie d’aller. Je ne vais pas suivre une mode. A une époque, il y a eu la mode des piments, mais je ne suis jamais entré là-dedans. Je reste sur des choses que j’aime bien. Nos dernière créations sont avec de la verveine, du sirop d’érable, un bonbon à la rose et à la fraise.

C’est très aromatisé…

Les gens aujourd’hui s’intéressent davantage à des goûts boisés, fumés. Ils arrivent à accéder à quelque chose qui est un peu plus fort ou atypique. Avant, ils recherchaient un goût chocolat, je ne dirais pas neutre, mais presque. Nous, nous les éduquons à goûter les terroirs, à leur faire comprendre  que chaque terroir à un goût différent, un peu plus fruité, un peu plus acide, un peu plus boisé. Il y a dix ans, les personnes auraient trouvé certains chocolats trop forts alors qu’aujourd’hui ils aiment ça.

A une époque, il y avait une grande différence entre les goûts anglo-saxons, de chocolats au lait, noisettes, etc. et un goût peut-être plus “français”  de chocolat noir, aussi pur que possible. Qu’en est-il maintenant ?

Il y a 15 à 20 ans, on a voulu défendre en France le chocolat noir. Mais on est parti sur une mauvaise base, en faisant croire que plus on mangeait noir, fort en cacao, meilleur c’était. Alors que maintenant, on éduque les gens vraiment sur l’origine. Car on peut faire un très bon chocolat, un peu moins cacaoté, dans les 65 à 70%, qui va être un goût très intéressant. Parallèlement, on pourra en faire un très mauvais à 80%. Suivant l’origine, comment la fève a été travaillée, fermentée, torréfiée, etc. on peut avoir des différences notables.

Donc ce n’est plus tellement la teneur en cacao qui importe…

Tout à fait. Ce n’est pas la teneur en chocolat qui est le plus important ; on peut en faire un excellent, avec une origine exceptionnelle et le faire un peu moins cacaoté. Car peut faire un chocolat 73% et avec un ou deux pourcent d’une fève exceptionnelle, ce ne sera plus le même produit. C’est toute la magie du chocolat : il faut trouver son équilibre entre chaque fève, chaque origine, pour en tirer le meilleur. Ce n’est pas forcément parce qu’on va le travailler au pourcentage maximum en cacao que ce sera le meilleur.

Les 100% d’une origine font-ils les meilleurs chocolats ou est-ce mieux de faire des mélanges ?

Parfois, l’assemblage peut être meilleur. L’équilibre est important. C’est comme le vin : parfois un assemblage de cépage donne quelque chose de meilleur. C’est un produit vivant, ça pousse.

Certaines années, le cacao est plus brut, plus acide, ou plus fruité. Ce qui est très compliqué dans le cacao, c’est d’essayer de retrouver une régularité.

Cette difficulté à trouver une stabilité du goût est liée à des facteurs de production ?

On peut déterminer une origine, du Venezuela par exemple, mais dans le Venezuela, vous avez plein de variétés d’arbres. Il reste alors à déterminer avec les fabricants s’ils ne prennent qu’une variété de fèves ou un lot venant du Venezuela. On fait alors un début de petit assemblage et cet assemblage peut être régulier si plusieurs producteurs se mettent ensemble, forment une petite coopérative et fournissent quelque chose de régulier.

Comment faites-vous pour vous approvisionner en cacao?

Je travaille avec un faiseur en cacao basé à Avignon, la maison de Loisy, la Chocolaterie de l’Opéra. iIs travaillent à façon pour moi et pour d’autres artisans. Leur travail est d’aller sur le terrain, de trouver des fèves, de nouer des relations commerciales fortes avec les producteurs, d’établir un accord de principe pour avoir une régularité d’année en année. C’est un vrai travail. Mois je suis artisan chocolatier : je transforme la matière, je la sublime en bonbons . Je ne fais pas le tour du monde pour chercher les fèves, faire le suivi, les analyses, les transformer. C’ est un autre métier.

On vient de démarre la campagne cacao en Côte d’Ivoire et le planteur a obtenu une hausse de son prix garanti qui est passé de FCFA 700 (€ 1,06) à FCFA 750 (€ 1,14)le kilo cette campagne. Lorsqu’on voit, au Salon du Chocolat, les prix, que peut-on en penser ?

Nous sommes tributaires du marché. Il y a un développement qui est en train de se faire avec les pays émergents , la Chine, etc. qui cherchent à manger aussi du chocolat. Mais on est loin de ce que certains industriels font circuler comme rumeur, qu’on est en pénurie, etc. Ce sont de fausses idées, ce n’est pas vrai. Ce sont peut-être eux qui seraient en pénurie car ils utilisent de très gros volumes pour l’industrie, pour la biscuiterie, etc. Donc, pour eux, c’est peut-être inquiétant mais pas pour nous, artisan. Car du chocolat haut de gamme, on en trouve. Nous sommes sur de plus petits volumes.

Nous, nous essayons d’avoir un côté commerce équitable , que le producteur ait un prix plus juste. Ce n’est pas seulement pour l’inciter à faire de la qualité mais aussi, tout simplement, qu’il ait envie de continuer à avoir envie de produire du cacao. Car certains préfèrent aujourd’hui tout raser et faire du poivrier, plus rentable aujourd’hui que la fève de cacao. Ce qui est important pour nous est de perpétuer quelque chose de noble. Il est certain que si on ne s’intéresse pas à la fève, nous derrière, nous connaitrons des difficultés.

Les pays producteurs comme la Côte d’Ivoire, le Cameroun, le Ghana, le Nigeria, veulent développer leur production de chocolat notamment pour leur classe moyenne qui a un pouvoir d’achat, qui aime le chocolat. Quels seraient vos conseils?

Peut-être l’organisation de manifestations comme le Salon du Chocolat, ce qui permet de mettre en avant leur propre chocolat. Le côté étonnant dans ces pays est de produire du cacao mais de ne pas en connaître le goût.

Des Ivoiriens ou Ghanéens vous ont-ils déjà approché pour développer quelque chose là-bas?

Non, des producteurs nous ont proposé de vendre en direct leurs fèves. C’est d’ailleurs quelque chose que je compte faire d’ici l’année prochaine : aller chercher mes fèves et avoir quelque chose d’atypique.

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