Les engrais sur la sellette

 Les engrais sur la sellette
Partager vers

L’année n’a pas été de tout repos pour les agriculteurs de par le monde. Des conditions météorologiques défavorables, une chaîne d’approvisionnement perturbée, une pénurie de main d’œuvre, une forte demande en produits agricoles et des coûts qui flambent du transport à l’énergie jusqu’aux engrais. Une flambée des prix des engrais qui menace les prochaines récoltes, touchant particulièrement les petits agriculteurs,  et met en danger la sécurité alimentaire dans un contexte de forte inflation. Une flambée des prix remise en cause par des agriculteurs américains qui s’interrogent sur une manipulation du marché et interpellent la justice américaine.

Envolée du prix des engrais

La croissance du prix de engrais a été ces derniers mois vertigineuse avec des niveaux records atteint pour la potasse, le phosphate ou encore l’urée. Les prix du phosphate ont quasiment doublé et ceux de l’azote ont grimpé de 200%. Une flambée en partie consécutive à la hausse des prix du gaz naturel mais aussi à la réduction de la  production d’engrais dans certains pays et le freinage des exportations de d’autres pays, comme la Chine ou la Russie. Une offre contrainte qui s’accompagne d’une forte demande.

Le nouvel indice créé par la FAO pour mieux mesurer l’impact de la hausse des prix des intrants sur les prix alimentaires et ses éventuelles conséquences sur la sécurité alimentaire, le Global Input Price Index (GIPI) montrait que les prix des engrais avaient progressé de plus de 56% sur les douze derniers mois. Or, l’Afrique sub-saharienne est particulièrement touchée avec des taux de dépendance aux importations tant de phosphore que d’azote d’environ 70% (Lire : La flambée des prix des intrants menace la sécurité alimentaire).

Certes de nombreux prix des produits agricoles ont eu aussi fortement augmenté.  Sur les douze derniers mois, le blé a grimpé de 53% sur Euronext, le maïs a gagné 41% à Chicago, l’huile de palme 52% en Malaisie, le soja 5% … Des prix élevés qui ont permis à de nombreux agriculteurs d’amortir le coût des engrais. Mais ces prix alimentaires au plus haut depuis dix ans selon l’indice de la FAO menacent aussi la sécurité alimentaire de millier de personnes.

Vers une baisse de l’utilisation des engrais

Cette hausse du coût des engrais laisse dans l’attentisme de nombreux agriculteurs qui retardent leurs achats dans l’espoir d’une baisse des prix. Un pari risqué compte tenu des disponibilités mais aussi de la chaîne logistique toujours perturbée.

L’offre d’engrais devrait demeurer étroite au début de l’année prochaine, selon des analystes interrogés par Reuters. Les agriculteurs d’Europe, d’Amérique du Nord et d’Asie du Nord doivent tous augmenter leurs achats avant les semis de printemps, tandis que les principaux producteurs que sont la Chine, la Russie et l’Égypte ont freiné les exportations pour assurer l’approvisionnement intérieur. “La plupart des stocks d’urée sont désormais sécurisés, ce qui signifie que les producteurs mondiaux seront ‘vendus’ jusqu’au 1er janvier“, indique Josh Linville, directeur des engrais chez StoneX Group Inc. Ajoutant “Les producteurs commencent la nouvelle année très bas sur les stocks d’invendus et ils devront répondre à  une demande mondiale importante au premier trimestre, alors que les États-Unis, le Canada, le Brésil, l’Europe et l’Asie s’apprêtent tous à acheter. »

Pour de nombreux petits agriculteurs, ils n’auront d’autre choix que d’abaisser l’utilisation des engrais.

La division antitrust du ministère américain de la Justice interpellée

Aux Etats-Unis, Family Farm Action Alliance, regroupant plus de 6 000 agriculteurs et membres ruraux, a sollicité, dans une lettre, la division antitrust du ministère américain de la Justice l’appelant  à mener une enquête sur le secteur très consolidé des engrais pour suspicion de pratiques anticoncurrentielles.

« Les récents prix record des engrais coïncident étrangement avec une augmentation des revenus que les agriculteurs tirent des cultures de base comme le soja et le maïs. Alors que les sociétés d’engrais prétendent que ces prix sont le résultat de pénuries et de prix élevés du gaz naturel, leurs propres rapports annuels et trimestriels réfutent ces affirmations et révèlent qu’elles disposent d’une capacité supplémentaire qu’elles n’utilisent pas » observe Family Farm Action Alliance. Le groupe dénonce également la concentration du secteur.

Depuis les années 1980, la consolidation de l’industrie américaine des engrais a réduit le secteur de 46 à 13 entreprises. Aujourd’hui, indique l’alliance, deux entreprises Nutrien Ltd et Mosaic Co approvisionnent l’ensemble de l’Amérique du Nord en potasse tandis que quatre sociétés représentaient 75% de la production et la vente d’engrais à base d’azote en 2019. Les quatre entreprises dominantes dans ce secteur sont CF Industries, Nutrien, Koch et Yara-USA, souligne Family Farm Action Alliance. Elle ajoute « Selon les experts, des abus de marché sont probables lorsque le taux de concentration des quatre premières entreprises dépasse 40 % ».  Selon Philip Howard du Groupe international d’experts sur l’alimentation durable, mentionné dans le communiqué,  « Si ces sociétés d’engrais lient le prix de leurs produits à la capacité de payer des agriculteurs plutôt qu’à l’offre et à la demande, cela équivaut à un exercice de quasi-monopole ».

 

Autres Articles

Leave a Reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *