Le cyclone Enowa à Madagascar affectera le marché de la vanille, mais “sous condition”

 Le cyclone Enowa à Madagascar affectera le marché de la vanille, mais “sous condition”
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Le cyclone Enowa, qui a sévi il y a un mois à Madagascar, fera-t-il encore grimper les cours de la vanille ? Ce serait effectivement la conséquence logique car les dégâts sont importants dans la Grande Ile, premier producteur mondial de la gousse. Mais on a des difficultés à chiffrer avec précision l'ampleur des dégâts et leur incidence. Surtout, l'évolution des prix de la vanille n'est plus tant déterminée par l'offre, les grands industriels modifiant leurs recettes et donc leur demande suite à des années de prix élevés.

 

Cela fait un mois maintenant que le cyclone Enowa a sévi à Madagascar, s'engouffrant le 7 mars à l'aube notamment dans la ville d'Antalah, dans la région de Sava à Madagascar.  Sava est la plus importante région de production de la vanille sur la Grande île, représentant 800 à 1 000 tonnes (t) sur une production nationale variant, selon les estimations et les années, de 1 300 à 2000 tonnes (t). 

Selon la Plateforme nationale de la vanille (PNF) à Madagascar, sur les 33 345 ha en production à  Sava, 15 257 ha auraient été "versés par le vent", soir 45,76% du total. Dans le district d'Antalah qui compte 16 700 ha de vanille, 11 857 ha soit 71% ont été impactés ;  dans le district d'Andapa,  849 ha sur un total en plantations de vanille de 5 310 ha qui sont touchés, soit près de 16% alors que les deux autres districts, Sambava et Vohemar, ont été beaucoup moins endommagés, à hauteur de 12% et moins de 1% respectivement.

Face au cyclone, des gousses récoltées totalement immatures

Un bilan spectaculaire des superficies atteintes au Nord du pays, mais à quel point la production de vanille per se est-elle touchée?  "Une partie est impactée par le cyclone par ce que les lianes ou les gousses ont été détruites, souvent immergées dans l'eau et donc elles ont pourri", note un opérateur qui requiert l'anonymat. "Si ce sont les gousses qui sont tombées, ce n'est pas trop grave dans la mesure où l'année prochaine, il pourrait y avoir des fleurs à nouveau qui pourront être pollinisées. Mais si les plants ont été arrachés, c'est plus grave car l'impact sera à plus long terme. "

"Mais  il y a un autre impact, qu'on n'arrive pas à connaître aujourd'hui," poursuit-il, "c'est dans quelle proportion les paysans ont préféré récolter de façon prématurée les gousses, même totalement immatures, plutôt que perdre leur production. Ce qui peut se comprendre."

Des gousses qui devraient être récoltées, normalement, fin juin-début juillet. Donc, même totalement immatures,  ces gousses cueillies début mars vont être préparées et mélangées probablement à d' autres gousses de la récolte 2017. Or, leur taux de vanilline est excessivement bas, "en dessous de 0,5", estime-t-il. " C'est comme tous les fruits : ils prennent la quintessence de leur maturité sur les derniers mois, semaines et jours. Et, là, on enlève ces derniers mois à cette gousse."

Pour mesurer l'impact réel, encore faut-il recenser les plants de vanille impactés. Et, comme chacun sait, les statistiques ne sont pas le fort de la filière vanille à Madagascar… Cela d'autant plus que les prix élevés de la vanille ces deux à trois derniers années, ont conduit les producteurs malgaches à développer leurs plantations.  Mais on ne sait pas exactement de combien. Certains estiment que la récolte 2017 s'annonçait record, à 3 000 tonnes (t). Une destruction de 450 à 500 t dans la Sava donnerait une production malgache à 2 500, donc semblable à celle estimée pour l'année dernière. "J'ai plutôt tendance à penser que cela va impacter la prochaine récolte mais pas forcément celle d'après. Mais sous conditions", confie l'opérateur.

De la vanille très humide aujourd'hui proposée

Pour l'heure, des producteurs détiennent encore de la vanille de la campagne dernière. De la vanille gardée en sachet, sous vide -malgré l'interdiction- pendant plusieurs mois  et, par conséquent, qui est très humide. Ceci dit, elle est aujourd'hui tout de même proposée à environ $ 530 le kilo.

"A Madagascar, les échanges se font autour de 1,5 million de francs malgaches ($ 457) pour des vanilles qui ont 30% d'humidité donc  pour lesquelles il va falloir perdre encore au moins 20%. Donc ça vous amène à des vanilles autour de 1,7 million à 1,8 million, ce qui,  ramené au taux de change actuel, vous conduit à des vanilles exportables à plus de $ 500."

La notion 100% Madagascar disparaît

Le cyclone Enowa intervient alors que nombre d'analystes et observateurs considéraient que la hausse des prix, depuis 2015, arrivait au bout de son cycle. Rappelons que la hausse avait démarré avec le blanchiment dans la filière vanille des capitaux émanant du trafic de bois de rose à Madagascar, essence de bois dont l'exploitation et la commercialisation sont mondialement interdites (lire nos informations). 

Avant le cyclone, les spécialistes de la filière considéraient qu'après deux années de hausse, les prix devaient redescendre, soit fin 2017, soit assurément en 2018 (lire nos informations). Enowa obligerait-il à réviser ce scénario ? Ce n'est pas certain….

En effet, aujourd'hui, sur le marché mondial, ce ne serait plus les vendeurs mais les acheteurs qui feraient la loi. La baisse de qualité de la vanille et surtout l'envolée des prix ont conduit les acteurs finaux à reformuler leurs recettes.

 "Là où les industriels faisaient des extraits de vanille et des formulations avec une vanille à 1,6% de taux de vanilline ou 1,4 ou 1,3, aujourd'hui, ils sont capables de faire des formulations avec des vanilles à 0,5 ou 0,6 ou 1%.  Ils s'adaptent. A noter que c'est beaucoup plus facile pour les Américains de s'adapter car ils ont une législation beaucoup plus permissive : quand ils vendent une infusion 300 gr équivalence gousse, si la gousse fait 0,5% en taux de vanilline, eux prendront 300 gr de 0,5 alors qu'en Europe, en tous les cas en France, c'est beaucoup plus compliqué", poursuit l'opérateur.

On ne connaît pas ces nouvelles recettes, chaque industriel les gardant jalousement sous secret, et, par conséquent, on ne peut pas mesurer l'impact qu'elles auront sur la demande mondiale et donc sur les prix.

Outre le taux de vanilline, la demande pour des origines est en train de changer. "On a aujourd'hui des demandes où la notion d'origine 100% Madagascar n'existe plus. On nous donne la possibilité de transgresser cela sous couvert d'avoir des prix inférieurs avec des mélanges d'origines car cela répond à une problématique budgétaire du côté des industriels. " Ce qui impacte le prix de la vanille produite ailleurs. "On demande davantage de vanille d'Indonésie, dont les prix sont autour des $ 400-450. Donc il n'y a plus guère de prime pour la vanille malgache, et ce d'autant plus que sa qualité n'est plus nécessairement supérieure aux autres origines."

Madagascar condamné à la vanille ?

Mais cela ne veut pas dire pour autant que la demande de vanille à Madagascar va s'effondrer. Car, contrairement à ce qui s'était passé en 2003-2004, lorsque la vanille est passée de $ 500 suite au cyclone Gafilo, puis avait chuté à $ 60 puis à $ 20 car l'offre était devenue pléthorique, aujourd'hui, trois des cinq plus gros opérateurs mondiaux -Symrise, Givaudan, Firmenich- se sont installés sur place, à Madagascar, et ont crée des usines d'extraction.

"Vous avez donc maintenant 3 des 5 plus gros qui sont installés à Madagascar, qui achète eux-mêmes la vanille localement pour remplir leurs usines d'extraction. Le marché sait pertinemment que ces industriels vont devoir acheter, sur place. C'est pourquoi je ne pense pas qu'il puisse y avoir un décrochage comme en 2003-2004." Et ce d'autant plus que ces industriels n'auraient pas ou peu de stocks, la vanille étant si chère.

Pour l'heure, les grands acheteurs ne sont pas vraiment sur le marché. Ils attendent la nouvelle récolte et/ou sont en bout de course de leur budget.

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