Billet d’humeur : lorsque ‘Envoyé Spécial’ se penche sur le cacao

 Billet d’humeur : lorsque ‘Envoyé Spécial’ se penche sur le cacao
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Comme beaucoup de Francophones -même si la diffusion a été interrompue en Afrique par la société de production “pour protéger localement certains intervenants“, j’étais hier soir devant mon écran pour regarder l’émission d’Envoyé Spécial sur France 2 consacré au travail d’enfants dans des plantations de cacao en Côte d’Ivoire. J’en avais été informée le matin même dès 6h50 sur France Inter par Dorothée Barba comme étant une émission à ne pas manquer et, rebelote ce matin, toujours sur France Inter avec la même  Dorothée Barba qui s’interrogeait si, après avoir visionné le reportage, elle n’allait pas arrêter de manger du chocolat en 2019.

Peut-être le faudrait-il. Je l’ignore. Mais ce qui m’a surtout interpellée hier est le doigt mis sur la racine du mal : les Burkinabè qui vendent leurs enfants pour travailler dans les plantations  de cacao en Côte d’Ivoire sont mûs par la pauvreté.

De là, deux constats peuvent être faits. La pauvreté est toujours criante pour bon nombre de Burkinabès alors que la communauté internationale déverse depuis plus de 50 ans des millions, voire des milliards, d'”aide au développement”. Peut-être faudra-il, à un moment ou un autre, s’interroger, faire un audit géant, mondial, sur la pertinence de cette aide, où va-t-elle, à qui profite-elle, pour quels résultats.

Le deuxième constat -notamment en sortant des fêtes de fin d’année où les chocolats gourmets, de luxe, très coûteux, ont honoré bon nombre de tables- est la pauvreté de ceux situés tout en amont. Justement, ces coupeurs de cabosses.  Pourquoi Envoyé Spécial  s’est-il concentré exclusivement, dans son émission, sur un pays producteur, en l’occurrence la Côte d’Ivoire ? Pourquoi ne pas avoir décortiqué la filière du cacao/chocolat ? Pourquoi ne pas zoomer sur le fait que le prix du cacao à l’échelle internationale est fixé sur des marchés boursiers, des places financières, avec des acteurs qui spéculent sur le cacao comme on spécule sur le dollar ? Comment un pays producteur peut-il faire pour asseoir une stratégie de développement alors que ses finances publiques dépendent tant  de revenus découlant des marchés financiers.

Ce coup d’éclairage aurait peut-être conduit, ce matin, Dorothée Barba -dont, par ailleurs, j’apprécie énormément les chroniques- à évoquer la finance internationale au lieu du seul chocolat. La finance internationale qui, par ailleurs, aurait pu faire un lien direct avec l’actualité des gilets jaunes.

Alors, pourquoi ne pas déconnecter la fixation du prix du cacao des marchés boursiers ? Parce qu’il faut pouvoir hedger, se couvrir en cas de baisse des prix ? Mais, s’il n’y a plus de spéculation, il y aura moins de raisons de hedger. La faillite de l’accord international du cacao dans les années 70 est due essentiellement parce que le mécanisme régulateur régulait à partir d’un prix international fixé sur un marché boursier, volatil et spéculatif.

 Il faut, me direz-vous, maintenir les marchés à terme car il faut pouvoir se couvrir contre les risques de fluctuation des productions -surtout à une époque où les risques climatiques, notamment, sont légion- et donc de l’offre et de la demande. Mais, dans un cas de figure de prix fixe, rémunérateur, à chaque échelon de la chaîne de production, on n’a plus besoin de se couvrir. Et si une année, à cause de l’harmattan, de maladies ou autres fléaux, les volumes  de production baissent, il existe des stocks de fèves qui se maintiennent, au moins d’une année sur l’autre, voire plus. Et il est rare d’assister à plusieurs années de suite de catastrophe naturelle réduisant la récolte de cacao.

Au fond, la vraie question est de savoir s’il n’y a pas une hérésie à connecter, en direct, des pays parmi les plus pauvres au monde à des structures financières les plus sophistiquées au monde. Peut-être Envoyé Spécial verra-t-il en ce billet une suggestion.

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