Benoît Jobbé-Duval, ATIBT : « L’agroforesterie est l’avenir de la Côte d’Ivoire »

 Benoît Jobbé-Duval, ATIBT : « L’agroforesterie est l’avenir de la Côte d’Ivoire »
Partager vers

Forêt et agriculture se conjuguent de plus en plus en Afrique, s’appuyant sur deux instruments clefs que sont la certification et le développement de l’agro-foresterie. Dans un entretien à CommodAfrica, Benoît Jobbé-Duval, directeur général de l’Association technique internationale du bois tropical (ATIBT), explique qu’il a fallu construire une certification régionale endossée par le PEFC en Afrique centrale. C’est ainsi que cette région se retrouve depuis quatre ans avec le seul schéma régional au monde, tous les autres étant nationaux. A l’heure de la panafricanisation en marche, un schéma régional sonne juste.

D’autre part, l’ATIBT s’intéresse depuis quatre ans à l’agroforesterie sous l’impulsion de Benoît Jobbé-Duval, à l’origine plutôt « planteur d’arbres » que forestier. Pour un pays comme la Côte d’Ivoire, souligne-t-il, c’est l’avenir.

Où en est-on en matière de certification forestière en Afrique ?

L’ATIBT a un très fort engagement envers la certification. Une grande partie de notre travail est consacrée, d’une part, en amont de la filière à appuyer les entreprises forestières à aller vers la certification, que ce soit la certification de légalité avec des schémas comme OLB (Origine et légalité des bois), LS (Legal Source) ou TLV (Timber Legality Verification), d’autre part, à aller vers la certification de gestion durable comme FSC (Forest Stewardship Council) ou PEFC (Programme de reconnaissance des certifications forestières).

Concernant la certification, le label FSC est implanté en Afrique centrale depuis maintenant 18 ans. Ce schéma a permis de très belles avancées dans toute la sous-région, et couvre aujourd’hui 5,5 millions d’ha.   Un deuxième schéma, reconnu par le PEFC International, s’installe également en Afrique centrale de manière à ce que les sociétés aient un éventail de schéma à leur disposition. Le PAFC (Pan-African Forest Certification) Bassin du Congo est ainsi opérationnel.

Les schémas endossés par le PEFC sont des schémas nationaux. Mais il était difficile en Afrique centrale de pouvoir mettre en œuvre pays par pays des schémas PAFC nationaux, ne serait-ce pour des questions de coût d’accréditation des auditeurs. Donc nous avons œuvré à une mutualisation des moyens au niveau du Congo Brazzaville, du Gabon et du Cameroun.  

Aujourd’hui, le Cameroun, le Gabon et le Congo Brazzaville disposent du PAFC International de manière à pouvoir accéder à d’autres schémas de certification qu’ils n’avaient pas jusqu’à aujourd’hui.

La Côte d’Ivoire, qui a connu une très vaste déforestation au fil des décennies, recommence à s’intéresser à son couvert forestier et à sa filière bois. Comment très concrètement l’ATIBT œuvre-t-elle sur un tel pays ?

La Côte d’Ivoire est un pays très intéressant car elle possède la meilleure industrie de transformation du bois de toute cette vaste région que sont l’Afrique centrale et l’Afrique de l’Ouest. Mais la forêt est très mise à mal.

Mais ce n’est pas parce que la forêt est gravement atteinte qu’il ne faut pas soutenir les schémas de gestion durable, au contraire ! Et ce n’est pas pour cela qu’il ne faut pas œuvrer pour qu’il y ait une exploitation et gestion durable des ressources forestières puisque l’existence d’une gestion durable des forêts est, pour nous, un dispositif alternatif à la pure conservation pour lutter contre la déforestation.

C’est vrai qu’en Côte d’Ivoire, le challenge est extrêmement complexe du fait qu’il faut maintenir l’existence d’une industrie forestière pour donner de la valeur à la forêt et faire en sorte que celle-ci recommence à intéresser les Etats pour qu’ils ne convertissent pas à l’agro-industrie les dernières forêts d’exploitation de Côte d’Ivoire. La marge de manœuvre n’est pas très grande : il faut soutenir les bonnes pratiques, il faut condamner l’exploitation illégale et il faut œuvrer pour une meilleure reconnaissance et une bonne valorisation du bois certifié sur les marchés.

Pouvez-vous donner un ou deux exemples de ce que vous faites avec ou en Côte d’Ivoire pour atteindre ces objectifs ?

En Côte d’Ivoire, vous avez trois sociétés forestières qui ont des certificats de légalité et seulement trois. Nous souhaitons les mettre en avant comme étant des sociétés qui, dans un contexte ivoirien, sont à prendre comme exemple. Il faut encourager les autres sociétés à aller vers la certification. Sinon, tôt ou tard, la ressource va manquer en Côte d’Ivoire et toutes les sociétés vont fermer.

La réalité est que la marge de manœuvre n’est pas grande en Côte d’Ivoire. En même temps, il faut encourager ces sociétés à travailler aussi sur des bois de plantations. Il faut qu’elles adaptent leur outil industriel à des bois de petit diamètre et que, peu à peu, elles détournent leur regard de la forêt pour s’intéresser davantage au bois de plantation.

Que faites-vous pour changer ce regard ?

On les met en contact avec des bureaux d’études susceptibles de les accompagner dans ce changement. On fait aussi du plaidoyer pour que les initiatives de plantation se développent en Côte d’Ivoire. Ensuite, on appuie de toutes nos forces tous les schémas et tous les acteurs qui s’intéressent à la plantation en Côte d‘Ivoire pour qu’ils aient les moyens de leurs ambitions.

Favorisez-vous certaines essences à croissance rapide comme le teck, ou prônez-vous une politique de diversification dans la replantation pour préserver des essences tropicales ?

Le teck est arrivé en Côte d‘Ivoire il y a déjà très longtemps mais ce n’est aps une essence locale, autochtone.

Nous prônons le développement d’essences autochtones de manière à ce qu’on puisse reconstituer le couvert forestier au travers d’essences qui ne sont pas venues d’ailleurs. Le teck a démontré en Côte d‘Ivoire son adaptabilité -le teck est une essence qui est très bien valorisée par les marchés – et il a aussi des qualités forestières importantes. C’est un rempart, par exemple, contre les incendies. Les plantations de teck ne brulent pas bien. Mais il ne faut pas que tout devienne du teck. Il faut diversifier les essences.

Lesquelles, par exemple ?

Le cedrela, par exemple, s’adapte très bien et des sociétés en ont fait des plantations. Au bout de 20 ans, vous pouvez avoir des parcelles qui sont prêtes à être exploitées. Donc vous avez des cycles relativement courts et au bout de 20 ans, vous avez des diamètres assez exploitables.

Le Ghana a une gestion forestière assez poussée avec un beau commerce extérieur notamment vers ses voisins africains. Etes-vous très présents au Ghana ? En Guinée Conakry ?

L’ATIBT s’intéresse au Ghana qui est essentiellement dans des activités forestières de plantation. Mais nous n’avons pas beaucoup d’échanges, ni avec le Ghana, ni avec la Guinée Conakry. L’ATIBT, c’est surtout la Côte d’Ivoire mais aussi le Cameroun, le Gabon, le Congo Brazzaville, la RDC aussi et on s’y intéresse de plus en plus en raison de l’importance de sa forêt pour le climat de notre planète.

L’ATIBT est une petite association et on essaie d’aborder beaucoup de thématiques. Aujourd’hui le Ghana fait partie des objectifs de développement en intégration que nous avons surtout depuis que l’organisation qui réunissait les associations professionnelles d’Afrique de l’Ouest -Global Timber Forum- n’existe plus. Donc nous essayons d’aider les associations professionnelles des pays qui avaient des liens avec le GTF et on essaie de trouver les moyens de fédérer et de mieux faire travailler ensemble les associations professionnelles des différents pays. C’est une partie du travail de l’ATIBT que de mettre en contact et de faire travailler ensemble des associations professionnelles.

L’agroforesterie es en plein essor. Quelles sont vos actions concrètes pour la promouvoir et quelle est votre analyse de son développement ?

Cela fait quatre ans que l’ATIBT s’intéresse à l’agroforesterie. Les pays emblématiques de l’ATIBT -Cameroun, Gabon, Congo- ne sont pas des pays où il y a beaucoup d’espaces pour la plantation. Ce sont des pays à couvert forestier important donc c’est surtout la gestion durable des forêts naturelles qui était notre priorité.

Qu’est-ce qui vous a fait basculer il y a quatre ans ?

Je suis, à l’origine, plutôt un planteur d’arbres ; je ne suis pas forestier d’origine. Pour cela et pour d’autres raisons, peu à peu, une logique de plantation s’est mise en route à l’ATIBT.

Intéresser à la plantation les concessionnaires forestiers en charge de la gestion durables des forêts naturelles, n’était pas évident. Tout simplement, car leur contrat avec l’Etat lorsqu’ils prennent en charge une concession forestière ne leur permet pas de mettre en œuvre des activités qui ne portent pas sur la gestion durable de la forêt naturelle. Même dans les zones qui seraient dégradées, ils ne peuvent pas mettre en œuvre un autre modèle économique que celui de la concession classique. Cela ne fait pas partie de leur mandat et cela ne faisait pas partie, non plus, de leurs connaissances.

Maintenant, on a mis en route au Cameroun un projet dans le périmètre de quatre sociétés concessionnaires et on a amené ces sociétés à s’intéresser à la replantation des zones dégradées, à la replantation et à l’enrichissement de trouées d’abattage de manière à rétablir l’équilibre entre certaines essences sur lesquelles la pression était exercée.

Dans le cadre d’un projet dans lequel le ministère des Forêts du Cameroun est associé, on a amené ces sociétés à travailler ensemble avec les institutions de recherche et à acquérir des connaissances en matière de pépinières, de plantation, de manière à préparer l’avenir et, peu à peu, que ces concessionnaires aient une expérience de planteur.

L’agroforesterie, c’est l’association d’essences ligneuses à d’autres essences ligneuses ou non ligneuses et certains de ces concessionnaires travaillent sur des modèles cacao-bois d’œuvre pour, peu à peu, développer ceci dans la périphérie de leur concession et accompagner des populations autochtones sur ces modèles de cacao associé au bois d’œuvre.

L’agroforesterie est l’avenir de la Côte d’Ivoire. Si on parle d’agroforesterie, en Côte d’Ivoire, il faut mettre des arbres au milieu des cacaoyères et dans le reste des pays du Bassin du Congo, là où la forêt est dégradée, il faut mettre du cacao dans la forêt. A chacun des modèles il faut une réponse adaptée car on ne peut pas comparer la Côte d’Ivoire au Gabon, par exemple. Mais l’avenir est en partie dans l’agroforesterie et il faut s’y intéresser.

Autres Articles

Leave a Reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *