Pierre Ricau : « Quant on compare les taux du fret, il y a vraiment un énorme avantage pour les transformateurs africains de cajou »

 Pierre Ricau  : « Quant on compare les taux du fret, il y a vraiment un énorme  avantage pour les transformateurs africains de cajou »
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La campagne de commercialisation de la noix de cajou en Afrique de l’Ouest s’est terminée fin septembre. Elle fut bonne avec une production de plus de 2,2 millions de tonnes et des prix rémunérateurs pour les producteurs. Du côté de la transformation, cette année a été exceptionnelle avec une prime pour l’origine Afrique consécutive à la flambée des taux de fret de l’Asie. Retour sur cette campagne avec l’interview du spécialiste Pierre Ricau,  Senior Market Research Analyst chez Nitidae

Quel premier bilan pouvez-vous nous donner sur la campagne d’anacarde qui vient de se terminer en Afrique de l’Ouest ?

La campagne 2021 a été bonne, après deux campagnes difficiles pour les producteurs. Cette année, les prix minimas fixés par les gouvernements dans les différents pays ont été respectés. Les producteurs ont pu vendre en moyenne à plus de FCFA 300 par kilo, et jusqu’à  FCFA 400-450  dans certaines zones. C’est nettement mieux que les années précédentes où la moyenne des prix payés aux producteurs se situait à FCFA 150- 200 le kilo. Et puis, contrairement à ce qu’on attendait en début de campagne, finalement la production a été bonne. Pour la deuxième année consécutive, la production de cajou en Afrique de l’Ouest a dépassé les 2 millions de tonnes (Mt).

Ce sont les conditions météorologiques qui ont été finalement meilleures ?

Le facteur de fonds c’est l’augmentation des superficies et le résultat des importantes vagues de plantation autour des années 2010-2011 qui se sont poursuivies à l’exception des zones de production où il n’y a plus beaucoup de foncier disponible comme le Zanzan en Côte d’Ivoire, les Hauts Bassins au Burkina Faso, la Casamance au Sénégal. Les arbres ne rentrent en production que 4 à 5 ans après et les rendements des arbres augmentent jusqu’à 15 ans. Beaucoup d’arbres sont encore jeunes. Au moins 40% du verger est encore en croissance de rendement. N’kalô estime que d’ici 10 ans on devrait atteindre 3 Mt de production de cajou en Afrique de l’Ouest.

N’kalô estime que d’ici 10 ans on devrait atteindre 3 Mt de production de cajou en Afrique de l’Ouest.

La production a pu être écoulée facilement compte tenu des problèmes logistiques ?

En effet, la grosse crainte cette année était par rapport à la logistique et l’exportation des noix de cajou vers l’Asie.  Mais finalement les exportateurs s’en sont assez bien sortis. Les gros pays producteurs se sont tournés avec succès vers le vrac et ont évité d’être trop dépendants des flux de conteneurs.

Le coût a été plus élevé ?

Le coût du vrac n’a pas changé et l’exportation en vrac est en général plutôt moins onéreuse que le conteneur. Le problème du vrac est que pour remplir un mini vraquier c’est 5 000 tonnes et pour le rentabiliser il faut au minimum 4 000 tonnes. Ce qui est quasi impossible pour un exportateur. Mais, ils ont réussi dans la plupart des pays à se regrouper et les transitaires ont aussi bien joué leur rôle en mettant des cloisons à l’intérieur des vraquiers pour séparer les lots des différents exportateurs.

Qu’en est-il pour les amandes ?

Pour les amandes, on reste sur du conteneur. Et la c’était la bonne nouvelle pour les exportateurs africains.  Même s’ils ont subit des retards à l’expédition et que la logistique d’exportation n’a pas été facile, cela n’a rien à voir avec les difficultés rencontrées par les transformateurs vietnamiens. Les exportateurs africains se sont positionnés comme  des fournisseurs plus fiables, plus surs en termes de délais  d’expédition que les transformateurs vietnamiens et en plus ils ont bénéficié d’un écart du prix du fret gigantesque.

L’épicentre du problème de conteneur c’est la Chine. Pour la Chine, on a des conteneurs qui peuvent monter à  $20 000 vers les Etats-Unis notamment. Le Vietnam, qui n’est pas loin,  a aussi un gros déficit de conteneur et subit des coûts énormes. L’inde, qui est un peu plus loin, souffre moins et elle dispose d’une balance commerciale moins  exportatrice nette. Quant on compare les taux du fret, il y a vraiment un énorme  avantage pour les transformateurs africains de cajou. Cela a rebattu les cartes et poussé de nombreux importateurs à diversifier leur source d’approvisionnement.

La transformation  en Afrique a aussi augmenté ?

C’est très variable suivant les pays. Nous avons la Côte d’Ivoire et le Nigeria où il y a un développement à toute vitesse de la transformation. En Côte d’Ivoire,  avec la politique massive de soutien, des dizaines d’usines s’ouvrent chaque année. Quant au  Nigeria, on observe l’ouverture de quelques usines mais surtout une dépréciation du naira qui a fortement renforcée la compétitivité à l’exportation des usines nigérianes.

Nous avons la Côte d’Ivoire et le Nigeria où il y a un développement à toute vitesse de la transformation.

Au Burkina Faso et au Ghana, il n’y a pas beaucoup de nouvelles usines mais celles existantes font une bonne campagne avec une capacité de production utilisée à 70 -80% cette année contre 50% auparavant.

Avec cette montée en volume de la production de l’Afrique de l’Ouest et en parallèle la forte hausse, même si elle est peut-être majorée, de l’approvisionnement en noix du Cambodge par le Vietnam,  et des difficultés pour le Vietnam pour écouler ses amandes, est-ce que l’Afrique ne risque-t-elle pas de se retrouver avec des stocks très importants de noix de cajou brutes l’année prochaine ?

C’est un risque avec la production énorme du Cambodge. Cette campagne toute la production africaine de noix de cajou est partie. On s’imagine que les stocks au Vietnam sont gigantesques. Comment  vont-ils les gérer ? Le marché continu de croître. Mais ils démarreront certainement l’année prochaine avec des très hauts niveaux de stocks. Et c’est un risque pour la prochaine campagne.

On devrait avoir une réponse très prochainement avec l’ouverture de la campagne en Tanzanie et au Mozambique ?

Les premiers prix offerts pour l’origine tanzanienne sont au même niveau que ceux d’Afrique de l’Ouest en fin de campagne donc élevés. Et il semble avoir de la demande. Il y a une incertitude sur les statistiques cambodgiennes. Passer de 200 000 tonnes à 1 million de tonnes de production d’anacarde, cela ne s’est jamais vu.  Est-ce qu’ils ont vraiment produit 1 million de tonnes ? Si oui est-ce une augmentation ou une partie de ce volume passait déjà  en contrebande ? Est-ce que les douaniers ont fait une faute de frappe ? Un grand mystère !

L’amande ouest-africaine va-t-elle garder son avantage l’année prochaine par rapport à l’amande vietnamienne avec une régularisation à moyen terme du fret ?

Même si d’ici à la prochaine campagne, la situation est revenue à la normale ou tout du mois que l’écart du coût du conteneur a beaucoup diminué, l’intérêt des importateurs américains et surtout européens à se diversifier sur l’Afrique est structurel. Une fois qu’ils ont commencé à travailler avec des fournisseurs africains,  ils vont continuer.

l’intérêt des importateurs américains et surtout européens à se diversifier sur l’Afrique est structurel.

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