Le prix mondial du café, si peu équitable

 Le prix mondial du café, si peu équitable
Partager vers

La 19ème édition de la quinzaine mondiale du commerce équitable a démarré samedi avec pour slogan : “Elevons la rémunération des producteurs, pas les températures !” Un slogan qui fait penser à la situation actuelle très difficile sur le marché du café, le café ayant été avec le cacao et le thé des produits phares du commerce équitable lors du lancement de ce mouvement  dans les années 80.

Hausse de 22% du commerce équitable en France

Aujourd’hui, en France, le commerce équitable, tous produits confondus, se porte à merveille. Il s’est d’ailleurs appairé avec le bio.  En 2018, le commerce équitable a enregistré une croissance exceptionnelle de 22% atteignant € 1,276 milliard de ventes. En outre, 84% des produits équitables sont également bio,  souligne le communiqué.  Le panier annuel moyen du consommateur français de commerces équitables a triplé en 6 ans et représente € 19. Selon Max Havelaar, la vente de bananes équitables a augmenté 36% l’an dernier pour atteindre plus de 64 000 tonnes (t), soit environ 10% du marché en France. Chez Carrefour, une banane vendue sur trois est équitable ; Monoprix et Biocoop se sont engagés sur du 100% banane bio équitable, et Leclerc, Aldi, Fraprix, Lidl, etc. font de même, souligne cbanque.com.

Autre particularité constatée en France, les ventes de produits équitables issus des filières internationales ont progressé de 17% et celles, plus récentes, issues des filières de commerce équitable “Made in France” ont cru de 34%. Ces dernières représentent désormais 34% des ventes totales du secteur. Car le commerce équitable n’est plus synonyme de produits provenant de pays lointains. En France,  une loi passée en 2014 a supprimé le lien entre “équitable” et la provenance géographique d’un produit. Et aujourd’hui, le consommateur conjugue volontiers équitable, local et bio.

D’autre part, un produit équitable n’est plus assimilé nécessairement avec un produit plus cher. A juste titre, apparemment. Monoprix a basculé 100% de sa banane en banane équitable, sans augmenter le prix (…) Pour des produits équivalents (conventionnels et équitables, ndlr), on peut être sur des prix similaires”, a expliqué sur Franceinfo Julie Stoll, déléguée générale de Commerce équitable France.

Le marché du café, loin de l’équité

Une évolution du commerce équitable à mettre en parallèle avec la situation critique que traverse le marché du café (lire notre article Le monde du café lance un cri d’alarme de Nairobi), pourtant un produit historiqment phare de ce commerce alternatif. Le prix du Robusta comme de l’Arabica sont à des plus bas historiques, l’un sur 9 ans, l’autre sur 13 ans (lire La Chronique Matières premières agricoles au 9 mai).

Evolution du cours mondial de l’Arabica à New York

Evolution du cours mondial du Robusta à Londres

Le kilo d’Arabica est actuellement autour de $ 1,98 le kilo sur le marché à terme à New York alors que le coût moyen de production au Costa Rica est  de $ 3,19 le kilo, selon Bill Murray, président de la National Coffee Association (Etats-Unis).

En Colombie, un pays phare sur la scène mondiale caféière, un producteur perçoit $ 209 pour 125 kg ( soit $ 1,6/kg) de café alors que ses coûts de production sont de $ 237, a indiqué la semaine dernière à Reuters le patron de la Fédération nationale (colombienne) des producteurs de café, Roberto Velez.  Il estime que le prix devrait être entre $ 1,40 à $ 1,45 la livre (lb) pour couvrir ces frais, auxquels il faut ajouter une marge pour le producteur afin qu’il puisse vivre de son activité.

Quant au Robusta, il cote à Londres $ 1,30 le kilo alors que le prix minimum garanti au producteur en Côte d’Ivoire est de $ 1,20 ; en Ouganda, n°1 africain du Robusta, les prix vont de $ 1,27 à $ 1,47. Les marges de manœuvre sont faibles, voire quasi inexistantes.

La colère gronde

La situation est tellement difficile que les producteurs se détournent du café. Ces 18 dernier mois, en Colombie, 40 000 ha de caféiers sur un total de 920 000 ha ont été abandonnés. Quelque 25 000 familles se sont tournés vers la production d’avocats, d’agrumes ou ont transformé leur fermes en lieu touristique.

Tant mieux pourrait-on penser, a priori, car d’une part, les caféiculteurs se tournent vers des cultures plus lucratives, d’autre part, cela réduit les volumes de café au plan mondial ce qui devrait faire remonter les cours. Mais, en réalité, ce n’est pas le cas, du moins en Colombie. Car en parallèle à la réduction de superficies, on assiste à une hausse des rendements. Donc il y a toujours autant de café sur le marché. Et cette situation pèse lourdement sur les finances publiques d’un pays comme la Colombie qui a octroyé $ 77 millions en soutien à la filière. Une somme considérable mais, visiblement, insuffisante car la colère gronde toujours parmi les caféiculteurs colombiens.

Nous constatons de l’instabilité sociale dans les régions caféières où les producteurs parlent de cesser leur activité et ils mettent une lourde responsabilité sur les épaules du gouvernement, qui pourtant tente de réduire l’écart entre les coûts de production et le prix international“, explique Roberto Velez. Rappelons que la Fédération colombienne avait proposé que les producteurs vendent leur café sans tenir compte des cotations sur les marchés à terme mais simplement en ajoutant leurs coûts de production et leur marge (cf. Le monde du café lance un cri d’alarme de Nairobi). Mais cette proposition n’a guère remporté d’adhésion, à ce jour.

En Afrique, le président kényan Uhuru Kenyatta est en train de réformer la filière et devrait lancer en  juillet un fonds renouvelable doté de $ 30 millions permettant aux producteurs d’être de suite payés,  à la livraison de leur café aux usines de transformation, alors qu’actuellement ils doivent attendre. La filière se libéralise avec la possibilité pour les producteurs, notamment les coopératives, de vendre directement leur café.

L’impact sur la déforestation

Lors du Sommet de la Rainforest Alliance Sustainability qui s’est tenu à New York la semaine dernière, Bill Murray s’est aussi inquiété de l’impact de ces faibles prix sur la déforestation au niveau mondial. Car, selon lui, de faibles prix incitent les caféiculteurs à accroître leurs superficies en coupant de la forêt pour faire plus de volume. Il s’est appuyé sur un document datant de 2014 et présenté à la conférence de l’International Coffee Science Association indiquant que le développement de la caféiculture pourrait détruire 100 000 ha de forêts par an. C’est le chat qui se mord la queue car davantage de déforestation entraine une aggravation du changement climatique qui, à son tour, impacte la culture du café en causant des phénomènes météorologiques extrêmes (inondation, sécheresse, maladies, gelées).

Pour contrer cela, Bill Murray dont l’association qu’il préside représente 90% du commerce du café aux Etats-Unis, en a appelé la semaine dernière à une plus grande aide internationale à l’égard des pays producteurs de café afin d’aider les caféiculteurs à se diversifier, à créer des infrastructures, etc. Un appel lancé alors que le président Donald Trump a récemment décidé d’exclure le Guatemala, le Honduras et le Salvador -tous producteurs de café- du programme américain Feed the Future tendant à développer l’agriculture dans les pays du Sud. Une mesure qui vient sanctionner ces pays pour les milliers de ses citoyens qui cherchent asile aux Etats-Unis.

Autres Articles

Leave a Reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *