Philippe Chalmin : ces importations qui nourrissent les villes mais appauvrissent les campagnes en Afrique

 Philippe Chalmin : ces importations qui nourrissent les villes mais appauvrissent les campagnes en Afrique
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“C’est bien de nourrir les villes mais nourrir les villes uniquement avec des importations, cela pose des problèmes”, a déclaré à CommodAfrica le professeur Philippe Chalmin, en marge du lancement mercredi dernier du rapport Cyclope 2022 sur les marchés mondiaux des matières premières. La crise actuelle invite à remettre en place de vraies politiques agricoles de manière à soutenir les paysanneries, précise-t-il, mais sans remettre en cause la logique de marché et les mécnaismes de marchés à terme comme mécanisme de fixation des prix. Quant au fret, la crise a relancé la demande pour des « petits » vraquiers, “une niche sur laquelel on peut redevelopper.”

 

Quelles sont les options qui s’ouvrent à l’Afrique, plus spécifiquement l’Afrique francophone et de l’ouest, dans le contexte actuel d’augmentation des prix des produit alimentaires et de montée du protectionnisme ? Voire, les opportunités ?

Je pense que l’Afrique a pris conscience quand même de la dépendance dans laquelle elle s’est située en particulier sur ses importations de produits agricoles et alimentaires. S’il est un moment peut-être pour l’Afrique de remettre sur le dessus de la pile l’idée d’avoir de vraies politiques agricoles de manière à essayer d’atteindre l’autosuffisance alimentaire, cela me paraitrait tout à fait fondamental.

L’Afrique ne peut pas, à mon sens, continuer à se développer dans la dépendance alimentaire qui a été la sienne et qui l’est de plus en plus. C’est bien de nourrir les villes mais nourrir les villes uniquement avec des importations, cela pose des problèmes. Il est peut-être temps de profiter justement de cette alerte pour remettre en place de vraies politiques agricoles de manière à soutenir les paysanneries et -un peu comme l’avait fait la politique agricole commune européenne dans les années 60- permettre d’avoir et d’arriver à une meilleure autosuffisance alimentaire.

Maintenant, il est vrai que l’Afrique est touchée par l’augmentation de ses prix. Pour toute l’Afrique qui n’a pas de ressources énergétiques, c’est aussi l’augmentation des prix de l’énergie et -ce n’est pas négligeable- l’augmentation du prix des engrais.

Qu’entendez-vous par de « vraies politiques agricoles et alimentaires » ? C’est du protectionnisme, c’est un mix de protectionnisme et de libéralisme ?

C’est probablement un peu de protectionnisme, c’est surtout être capable de garantir aux paysanneries des prix suffisamment rémunérateurs pour les inciter à pousser leur production. C’est probablement de la subvention pour les engrais car ça, il y en aura besoin surtout dans l’immédiat, mais c’est aussi -et je le répète- ne pas chercher à dépendre d’importations qui, certes, permettent de nourrir les villes mais qui, quelque part, appauvrissent les campagnes.

Si on regarde un produit d’exportation comme le cacao, la Côte d’Ivoire et le Ghana ont instauré un différentiel de revenu décent de $ 400 mais son impact a été contrecarré par un mécanisme de marché puisque le différentiel d’origine a été abaissé pays qui a chuté drastiquement. Alors, que faire ?

C’était une stratégie totalement absurde. J’en suis désolée de le dire mais, à un moment donné, un prix c’est la rencontre d’une offre et d’une demande. Si le prix du cacao n’a pas bougé c’est que on a une offre qui s’est révélée soit à l’équilibre, soit excédentaire, qu’on ait été obligé de convenir qu’on n’avait pas eu d’augmentation de la demande suffisante pour tenir compte de l’augmentation de la production à laquelle on a assistée.

Alors, dire qu’on va demander $ 400 de plus, même quand on est la Côte d’Ivoire et le Ghana, ça n’est pas suffisant et on l’a bien vu. Non pas au niveau des sociétés de trading mais au niveau des chocolatiers, c’est-à-dire des industriels, eux auraient pu peut-être accepter cette idée mais si tant est d’ailleurs que l’utilisation de ces $ 400 supplémentaires soit véritablement retombéseau niveau des producteurs ce qui, à l’expérience, ne s’est pas toujours passé.

Vu la crise actuelle, pensez-vous que les marchés à terme, donc des marchés financiers, soient encore la meilleure façon de fonctionner sur un marché mondial produits alimentaires ?

C’est peut-être le pire des systèmes mais on n’a pas trouvé mieux. Si vous oubliez cette idée de spéculation, à un moment donné, le prix est le résultat de la somme des anticipations que tout le monde imagine de ce que sera demain le rapport entre l’offre et la demande. Nous spéculons tous… A partir du moment où nous sommes sur des marchés par essence instables, nous sommes dans un raisonnement qui, par essence, est spéculatif.

Quelle incidence la crise des conteneurs a eu sur le vrac et quelle incidence le redéveloppement du vrac aurait-elle sur les filières de matières premières agricoles ?

Cela n’a eu aucune conséquence sur le vrac car, normalement, ce sont des navires qui sont totalement différents.

Alors c’est vrai que cela a relancé la demande pour des « petits » vraquiers qui, jusque-là, étaient des petits navires qui avaient plutôt tendance à disparaitre, en dessous même des « handy size ». D’ailleurs, pour exporter du café du Vietnam, on a réarmé des navires qui avaient été pratiquement abandonnés puisque toute le monde était passé au conteneur.

Donc ça peut se faire. Je ne suis pas sûr que ce soit totalement dans le sens de l’histoire mais pourquoi pas ? Il y a peut-être une niche sur laquelle on peut redévelopper mais ça implique aussi toute une main d’œuvre considérable. Je ne suis pas sûr qu’on pourra le faire.

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