Filière banane en Côte d’Ivoire : tous unis ?

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Dix ans de conflits et de guerre en Côte d'Ivoire, une décision de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2009 révolutionnant l'accès du marché européen en abaissant les droits de douanes des bananes latino-américaines, l'abandon de planteurs ivoiriens, les phénomènes climatiques majeurs dont les inondations de 2014… Mais la filière ivoirienne de la banane est debout, prête au renouveau.

Tout d'abord au plan quantitatif.  S'il n'y avait pas eu les pluies diluviennes en juillet 2014, on estime que la Côte d'Ivoire aurait dépassé le seul de production des 300 000 tonnes (t) mais des dizaines de milliers de tonnes ont alors été perdues. Côté export, 252 738 t sont parties vers le marché de l'Union européenne (UE) et 40 000 t vers la sous-région. Mais la production pourrait connaître une progression assez formidable ces prochaines années, avec l'augmentation des volumes sur les plantations traditionnelles, les nouveaux blocs villageois et l'arrivée dernièrement  d'investisseurs antillais, "il est fort probable que nous connaîtrons un quasi doublement de la production ivoirienne d'ici cinq  ans", estime Richard Mathys, directeur général de Wanita Freshfood et président de la Société agricole de Bandama, un des derniers planteurs "indépendants" ivoiriens.

En effet, face au challenge d'un marché européen libéralisé, les producteurs ivoiriens agrandissent leurs plantations pour réaliser des économies d'échelle, améliorent leurs rendements, créent de nouvelles stations de conditionnement. Deuxième facteur, sur financement européen, les planteurs locaux se voient accorder une deuxième chance dans le cadre du projet de l'Organisation centrale des producteurs-exportateurs d'ananas bananes (Ocab). Cette idée était née des réflexions des producteurs de l’OCAB lors du symposium de Grand-Bassam en octobre 2009. Ainsi des blocs de 250 ha à partager entre 10 jeunes entrepreneurs seront créés. Le 20 avril dernier, deux blocs, encadrés par des producteurs industriels –plantation, cable way, station de conditionnement, matériel végétal, recyclage de l'eau, entre autres – faisaient l'objet d'appels d'offres. Enfin, s'agissant des nouveaux opérateurs antillais, il s'agit plus précisément de la Société ivoiro-antillaise de production agricole (Siapa) avec 500 ha dans la région de Tiassalé et Bananes Antilles-Côte d'Ivoire (Banaci).

Ce renouveau se traduit aussi au niveau des marchés. Lorsque Bruxelles a instauré un système de licences pour tous les importateurs de banane dont les ACP, les planteurs dits "nationaux" en Côte d'Ivoire, c'est-à-dire ceux qui ne sont pas adossés à une structure internationale, ont été en difficulté. "A partir du moment où il y a eu plus de produit physique que de papier, le coût même de la licence a flambé et cela nous a empêché d'exporter vers l'UE", explique Richard Mathys.

La conquête de nouveaux marchés

Deux solutions se sont alors présentées aux planteurs ivoiriens le temps que l'UE revienne à un  système de libre accès pour les bananes ACP : la diversification vers d'autres spéculations comme le cacao, l'hévéa et d'autres fruits que la banane ; la conquête de nouveaux marchés, régionaux, comme le Bénin, le Niger, le Burkina Faso, le Mali, le Sénégal. "On a structuré les marchés des pays voisins qui ont un potentiel aujourd'hui d'environ 20 000 t de bananes par an et par pays", explique encore Richard Mathys. "Si on considère que l'Europe consomme environ 11 kg par habitant, le Nigeria avec ses 150 millions d'habitants est un marché de 2 millions de tonnes, grosso modo, alors que sa production recensée il y a quelques années n'était que de 500 000 t. Je pense qu'au niveau des deux interprofessions ivoiriennes, l'OCAB et l'OBAM-CI, nous avons intérêt à nous regrouper et réfléchir à structurer ces marchés", poursuit l'opérateur.

Pourquoi cette nécessité de se regrouper? "L'important est par exemple d'arriver à collecter l'ensemble de nos productions et à faire du ferroutage pour aller de Côte d'Ivoire au Burkina Faso, du Burkina au Mali, de Bobo Dioulasso à Ouagadougou et de Ouaga à Niamey.  Par le rail jusqu'à Ouaga et par la route dans les autres directions. Il faut du ferro routage pour développer les 3 pays en hinterland. L'avantage serait aussi de reprendre des plateformes logistiques ou des chambres froides construites ici et là au fil de projets et souvent laissés à l'abandon, et les remettre à niveau. Avec les investissements des groupes Bolloré et autre, on va pouvoir rentrer plus en profondeur dans l'hinterland avec le rail et dynamiser nos ventes. Si la profession banane est unie, on pourra massifier les volumes et négocier de meilleurs taux de fret rail."

Améliorer la compétitivité ivoirienne pour les marchés européens

Ceci dit, l'UE demeure le marché de prédilection pour les bananes ivoiriennes mais aussi mondiales. Un marché de 5,7 Mt avec une croissance annuelle de 353 000 t, selon Fruitrop, la revue spécialisée du Cirad. En 2014, la consommation moyenne par habitant européen a atteint le record de 11,2 kg, soit 600 gr de plus entre 2013 et 2014 et 900 gr de plus entre 2012 et 2014 !

Mais pour y tenir et maintenir son rang, il faut gagner des points de compétitivité : le carton de bananes ivoiriennes rendu Europe donc CIF (coût-assurance-fret) serait entre € 10 et 11, selon les plantations, contre environ € 8 pour les bananes dollar. Lorsque les bananes latino-américaines étaient soumises à un droit d'entrée de € 170-180, les bananes ivoiriennes demeuraient largement compétitives. Mais à € 75, voir à zéro, la concurrence devient insoutenable.

D'où le travail majeur de gains en productivité en Côte d'Ivoire ; la généralisation du cable way (voir notre profil métier), notamment dans les plantations du Nord, sont aussi un vecteur important de productivité car il réduit le recours aux tracteurs et donc au gasoil, à la construction de pistes et de routes et à leur entretien. Au  niveau de l'irrigation aussi des progrès majeurs peuvent être réalisés afin de contrôler l'eau, l'évaporation, faire de la "fertigation" (épandage d'engrais à travers l'eau). Un poste très important reste également la professionnalisation de la main d’œuvre, en particulier dans les stations de conditionnement. D'autre part, pour maximiser la rentabilité d'une station de conditionnement, il faut au moins 200 ha de plantations, donc il faut renforcer les producteurs, leur permettre d'avoir accès  à des financements à taux réduits et non les 10-11% proposés actuellement en Côte d'Ivoire par les banques commerciales.

Renforcer les capacités de production des producteurs actuels permet aussi d'améliorer leurs capacités de négociation  face aux centrales d'achat. "Si vous faites 5 000 à 6 000 t, vous ne les intéressez pas. A 20 000, 30 000 ou 40 000 t, vous commencez à les intéresser. Donc, en tant qu'indépendant, on a l'obligation d'arriver à un minimum de volumes pour rester en compétition sur ce marché européen qui est le plus rémunérateur", explique encore Richard Mathys.

Ailleurs qu’en l'Afrique de l'Ouest et l'UE, les bananes ivoiriennes sont confrontées à la rude concurrence des pays d'Amérique latine. C'est le cas de toute l'Afrique du Nord. Quant au Moyen-Orient, le transport prend environ 30 jours alors que le temps d'acheminement "compétitif" est de 20 jours : là, les bananes ivoiriennes sont en concurrence avec celles des Philippines.

Quid du prix?

Ceci dit, depuis deux à trois ans, les producteurs vendent à des prix corrects, relativement stables ce qui leur permet de réinvestir, selon Philippe Mavel, représentant Europe de l'Ocab. Le kilo de banane verte à l'importation sur le marché européen s'est établi à un peu plus de € 13 le carton en moyenne en 2013 comme en 2014, selon le baromètre de référence du centre agronomique de recherche français, le Cirad, mais a grimpé à € 16 le carton en avril cette année. Il faut remonter à 2012 pour retrouver de tels niveaux. Même Aldi, la grande chaîne de distribution discount, qui "fait" le marché de la banane en Europe, a augmenté de 13% son prix d'achat en avril, à €15,25-15,75 le carton, selon la revue spécialisée Fruitrop. En outre, Aldi aurait alors fixé ce prix pour le reste de l'année 2015, ce qui souligne que le géant de la distribution a voulu ainsi se couvrir de toute hausse à venir et prévisible de prix jusqu'à la fin de l'année.

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