Yanick Kemayou, Kabakoo Academies : Former à la manufacture agricole décentralisée et digitale

 Yanick Kemayou, Kabakoo Academies : Former à la manufacture agricole décentralisée et digitale
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Partir d’un problème de terrain et être formé à trouver des solutions pertinentes par des coachs du monde entier ; être accepté dans un cycle d’apprentissage alors qu’on ne sait que lire et écrire ; apprendre en s’évaluant ; favoriser la manufacture décentralisée et digitale en matière agricole, etc. Tels sont quelques un des traits caractéristiques de Kabakoo (“étonnement” en bambara) Academies dont le premier campus à ouvert à Bamako en juin 2018. Un concept éducatif révolutionnaire reconnu par l’Union africaine et l’Unesco et qui s’est vu décerner en janvier 2020 le label “école du futur” par le Forum économique de Davos.

Son initiateur, Yanick Kemayou, Camerounais, 35 ans, explique à CommodAfrica le concept et annonce une deuxième implantation à Accra en 2021.

 
En quoi consiste le concept de Kabakoo Academies ?

Nous voulons définir un nouveau modèle d’éducation adapté aux réalités africaines contre l’idée reçue selon laquelle le continent n’offre pas d’avenir à sa jeunesse.

Si l’on adopte une approche macro, on constate qu’en général, dans les questions éducatives,  les problématiques d’accès des enfants à l’école, de qualité des enseignants, du matériel pédagogique, etc.  priment sur la pertinence locale de l’apprentissage. Le problème est qu’aujourd’hui, on pense la formation en Afrique en termes de qualité et très rarement de pertinence. Ce qui explique qu’en Afrique, même ceux qui ont le privilège d’accéder à l’éducation se retrouvent dans une impasse lorsqu’ils arrivent sur le marché du travail local. J’étais moi-même dans ce cas. Je suis né au Cameroun et y ait fait mes études universitaires. Mais très vite j’ai réalisé l’impasse vers laquelle cela me conduisait. J’ai réfléchi et il y a quatre ans environ, je me suis dit que la solution était de créer une structure éducative basée sur la pertinence locale de l’apprentissage. C’est au cœur du concept de Kabakoo.

Pouvez-vous donner un exemple très concret ?

La pertinence des apprentissages donnés à Kabakoo repose sur le recours à une pédagogie active basée sur les problèmes locaux. Nous pouvons prendre l’exemple de, de la technique de l’impression 3D, Dans une école classique, on aurait un cours sur l’impression 3D et un autre cours sur l’utilisation des filaments 3D. Cependant à Kabakoo, on ne fonctionne pas comme ça, l’apprentissage n’est pas segmenté : la technique de l’impression 3D sera assimilée à la réponse à problème de la vie réelle. C’est-à-dire que l’apprenant est celui qui a identifié un problème dans sa ville, dans son quartier, dans sa communauté sur lequel il veut travailler ; l’apprentissage commence alors. Par exemple, si un apprenant veut imprimer en 3D des prothèses, il doit lui-même chercher les filaments nécessaires puis créer un prototype qui pourra être la base d’une solution pérenne développée localement.

Quel est l’âge des apprenants ?

Notre cible officielle était les 17 à 25 ans mais, en réalité, nous avons des apprenants de 16 à 35 ans.

Comment les sélectionnez-vous ?

On a des outils digitaux qui mesurent la persévérance et la motivation d’un individu étant donné que la pédagogie active est basée sur l’apprenant. D’un point de vue formel, il n’y a pas de pré-requis  on demande seulement de savoir lire et écrire. Dans les faits, la majorité de nos apprenants a le bac et 15%  le brevet.

Une “formation” ou un “apprentissage” dure combien de temps en moyenne ?

On peut parler de formation. Notre public est diversifié c’est-à-dire qu’une personne qui vient à Kabakoo ayant son bac ou un bac+3 voire un Master, pourra avoir les compétences recherchées au bout de 3 mois. Celui qui vient avec un CAP ou un brevet aura une formation qui peut aller de 8 mois à un an.

Comment la formation est-elle validée ?

Nous avons des outils pour suivre l’apprenant et chacun va à son rythme. Nous avons des plateformes digitales pour le suivi pédagogique. Concrètement, il y a une série de compétences sur lesquelles l’apprenant est censé évoluer à Kabakoo. Le but n’est pas de passer un test final mais d’acquérir des aptitudes comme, par exemples, savoir travailler et communiquer avec  ses pairs, savoir découvrir de nouveaux sujets, etc. Sur les plateformes, après chaque semaine d’apprentissage, chaque apprenant auto-évalue son évolution  dans les différentes compétences. Cette progression doit être évaluée par un ou plusieurs coachs. Nos coachs sont des professionnels travaillant dans des entreprises, des universités, etc. C’est une évaluation formative.

Où cherchez-vous ces compétences ?

Nous avons développé un réseau de coachs que nous appelons “coach” et non “mentor” car on estime que tout le monde apprend, même le coach est un apprenant avec une expertise dans certains domaines. Nous avons donc un réseau de coachs à travers le monde dans différentes filières d’expertises.

Notre modèle est hybride avec un “blended learning”. A Bamako, nous avons un campus physique mais 90% de nos ateliers se font en ligne avec des coachs qui sont en Chine, aux Etats-Unis, partout. Cela permet d’élargir le profil des enseignants et d’amener un éventail d’expertise qui serait impossible pour une école classique.

Combien y a-t-il de personnes sur votre campus physique à Bamako ?

Actuellement, il y a une cinquantaine d’apprenants. Certains viennent pour un mois pour un atelier sur un sujet précis mais nous avons aussi une promotion de 30 personnes qui reste 7 mois.

La part de l’apprentissage qui se fait en réseau représente quelle part de l’enseignement ?

Le campus au départ est conçu comme un “makerspace”, à mi-chemin entre l’école ou l’université classique et le laboratoire d’idée citoyenne. Car à Kabakoo, tous les projets sur lesquels les apprenants travaillent sont collaboratifs ; le projet n’est pas validé si un apprenant n’a pas pu convaincre un autre apprenant de travailler sur ce même projet.

Cela permet aussi d’améliorer les compétences de collaboration, de présentation, de communication. Nous nous situons dans la logique de transferts de compétences, tout en tenant compte des compétences locales. Nous sommes convaincus à Kabakoo que l’Afrique a une chance de faire dialoguer des compétences high-tech de la Silicon Valley, de Sacley, de Shenzhen, avec des compétences en local.

Quel est votre schéma financier ?

Nous avons ouvert en juin 2018 et les 18 premiers mois ont été totalement gratuits car nous voulions tester le modèle pédagogique. L’idée était d’accueillir le plus grand nombre d’apprenants pour tester les différents formats car ce que nous faisons est très innovant : une personne qui sait juste lire et écrire, qui ne parle pas anglais, va apprendre à utiliser une imprimante 3D en un mois. C’était ambitieux et on pensait que c’était malhonnête de demander aux gens de payer.

Une fois les différents concepts testé, nous avons établi nos cursus et avons commencé à les vendre aux agences nationales et internationales. Notre premier client a été l’Agence nationale pour l’emploi des jeunes au Mali.

Que faites-vous ou aimeriez-vous faire dans l’agriculture et l’agroindustrie ?

Le cœur de métier de Kabakoo est l’apprentissage pour la manufacture décentralisé et  la production à petite échelle. Quant l’apprenant trouve un problème sur lequel il veut travailler, il a carte blanche à partir du moment où le projet entre dans un des quatre domaines suivants : l’agriculture, la santé, l’environnement, l’art et la culture.

Dans l’agriculture en Afrique, la manufacture décentralisée est plus appropriée que la manufacture à grande échelle. Par exemple, 40 à 50% des récoltes sont perdues en Afrique par manque d’usines de transformation locale et d’infrastructures pour transporter les récoltes des villages vers les bassins de consommation. La transformation décentralisée est une hypothèse que l’on se doit de considérer. Car actuellement, elle est mieux adaptée au contexte africain que ce qu’on essaie de faire depuis des décennies, à savoir la manufacture à grande échelle avec une intensité capitalistique extrême. D’autre part, une manufacture à grande échelle suppose une infrastructure routière. Or, moitié des routes africaines ne sont pas asphaltées. A Kabakoo, nous pouvons former des entrepreneurs à la manufacture décentralisée et digitale qui pourront construire des mini usines en zones rurales et semi-urbaines.

L’Afrique a la chance que la révolution industrielle n’ait pas pris, permettant une manufacture décentralisée. On n’est plus obligé d’avoir une usine qui va transformer deux tonnes par jour mais on peut avoir des unités pour transformer 200 kg par jour. C’est plus facile d’alimenter une mini-usine au solaire qu’une grosse usine. Donc ce sera plus facile de former des jeunes qui vont rester dans ces zones.

En matière agro, les apprenants ont travaillé sur deux projets sur lesquels ils sont sur le point de trouver des premiers clients. Un groupe a travaillé sur une solution d’irrigation automatique et qui permet à celui qui fait du maraichage d’installer une solution d’irrigation low-tech gérée par son smartphone. Un autre groupe a travaillé sur la base de l’intelligence des objets et sur des capteurs de données environnementales : ce sont des capteurs qui sont implantés dans un champ et permettent de donner des informations en temps réel. Nous allons également avoir des apprenants qui vont travailler sur des utilisations agricoles des drones dans les formations à venir.

A vous entendre, on a l’impression que vous êtes plutôt un incubateur de start-ups…

Non, nous sommes en amont de l’incubateur de start-ups. Aujourd’hui, ce ne sont pas les incubateurs qui manquent en Afrique. Le problème c’est que les résultats des incubateurs ne sont pas toujours probants. Chez nous, l’apprenant sait qu’il y aura plusieurs solutions voir prototypes pour un problème précis et s’il veut ensuite intégrer un incubateur, il aura plus de chance de réussir.

Vous êtes Camerounais. Pourquoi ne pas avoir développé Kabakoo au Cameroun ?

Il y a deux ans, lorsque j’ai décidé de me lancer, j’ai regardé quel était l’espace le plus propice pour tester mon idée. Le Mali s’est imposé pour deux raisons : premièrement, Bamako est la ville africaine avec la plus forte croissance démographique donc on peut y observer toutes les différentes tensions qui existent ailleurs sur le continent. Deuxièmement, pour réaliser un projet il vaut mieux tester ses hypothèses dans un environnement presque hostile car cela permet d’en sortir des résultats robustes. Or, on travaille avec un réseau d’experts à travers le monde qui ne sont pas toujours francophones. A Bamako, peu de personnes parlent anglais ; parfois, elles parlent même mieux le bamanankan que le français. Donc si un modèle comme Kabakoo qui est basé sur un réseau international fonctionne à Bamako, il fonctionnera à Abidjan, à Dakar, à Accra. 

Vous êtes très focalisé sur le Mali pour l’instant…

Actuellement, 80% des apprenants sont Maliens. Mais il est intéressant de noter que de nombreux jeunes ne sont pas Bamakois mais viennent d’autres régions du Mali. Normalement, pour l’année 2021, nous allons ouvrir un campus au Ghana.

 

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