Benoît Coquelet : FCFA 15 milliards investis en 2020 dans la filière sucre en Côte d’Ivoire

 Benoît Coquelet :  FCFA 15 milliards investis en 2020 dans la filière sucre en Côte d’Ivoire
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En  Conseil des ministres du gouvernement de Côte d’Ivoire le 29 janvier (lire  La Côte d’Ivoire renouvelle son interdiction générale d’importer du sucre), il a été présenté une étude sur “la rentabilité globale et le niveau de compétitivité des entreprises sucrières ivoiriennes, à partir d’une analyse de la structure des prix et de l’évaluation du coût à l’importation. Cette étude a été diligentée par le gouvernement et réalisée par la Cellule d’analyse de politiques économiques du Centre ivoirien de recherches économiques et sociales (Cires) appuyée par une équipe de consultants internationaux.

Il y est souligné “les contreperformances du secteur sucrier ivoirien, en dépit des chiffres d’affaires en constante augmentation des entreprises sucrières“, ainsi que “la baisse de compétitivité du secteur” qui serait dû essentiellement au “faible niveau d’investissements réalisés par les opérateurs de la filière et les coûts de production élevés du sucre en Côte d’Ivoire“.

CommodAfrica a interrogé Benoît Coquelet, directeur général délégué du groupe agro-alimentaire français Somdiaa et administrateur de la plupart des filiales sucrières du groupe dont, en Côte d’Ivoire,  Sucaf CI.

Quelle est votre réaction face à cette étude et ce Conseil des ministres ?

Le Conseil des Ministres a repris l’historique. Il est parti de l’époque où  l’écart entre le marché et les productions nationales des sucreries de Côte d’Ivoire était important et où il fallait redoubler d’investissement pour réduire et combler cet écart entre l’offre et  la demande. En conséquence, aussi bien chez Sucaf Côte d’Ivoire que chez Sucrivoire, nous avons entamé des programmes d’investissement extrêmement lourds d’abord au niveau agricole, puis au niveau industriel de manière à, d’ici 5 ans, combler ce déficit qui existe entre la production et la demande du marché (lire notre article en février 2018 : Les enjeux de l’investissement sucrier de FCFA 84 milliards de Somdiaa en Côte d’Ivoire).

Mais à ce Conseil des Ministres, on a l’impression qu’en matière d’investissements, vous pourriez faire davantage…

Je pense qu’ils partent de la situation à l’origine, lorsqu’il y avait des déficits importants et c’est sur la base de ces déficits que la filière sucre s’est engagée dans des programmes d’investissements d’extension importants. Il ne faut pas oublier d’où venaient ces entreprises lorsqu’elles ont été privatisées. La première étape a été de les réhabiliter aussi bien au niveau agricole qu’industriel. Ce sont des entreprises qui sont gourmandes en capitaux. Ensuite, la filière s’est mise d’accord avec l’Etat sur un contrat-plan pour poursuivre ces investissements, non pas de réhabilitation, mais d’extension afin d’augmenter les productions pour rattraper le marché. Mais ça prend du temps. Ce sont des réseaux d’irrigation à mettre en place, des villages à intégrer,  des stations de pompage, etc.

Donc il n’y a pas de critique actuelle de la politique des entreprises…

Il faut le prendre comme un aiguillon. On est dans le septentrional débat  entre le cours mondial  et le prix de revient des producteurs de sucre. Or, la plupart des grands pays producteurs de sucre subventionnent leurs filières, comme l’Inde par exemple. Ce n’est pas le cas en Côte d’Ivoire. Or,  avec une subvention d’Etat, vous avez des prix de revient qui ne sont pas les mêmes que là où la filière est 100% autonome. En Côte d’Ivoire, la filière ne demande rien à l’Etat.

Il faut rappeler que le cours mondial n’est pas un prix de revient. C’est le reflet d’un excédent ou d’un déficit entre l’offre et la demande. Récemment, l’offre était très excédentaire et donc le cours mondial était très bas. Les choses changent puisqu’on parle pour l’année prochaine d’un déficit mondial de 10 millions de tonnes de sucre et le cours mondial a repris $ 100. Mais ce n’est pas le prix de revient des producteurs qui a augmenté de $ 100 ! C’est simplement que les gens sont inquiets d’une possibilité de réduction de l’offre et donc ils se précipitent un peu pour acheter du sucre et mécaniquement cela fait grimper les prix. Nous, nous travaillons à le faire baisser pour être toujours plus compétitif.

Donc on peut interpréter ce communiqué de plusieurs façons. Mais pour les acteurs de al filière, je trouve qu’il reflète les discussions en cours depuis plusieurs années.

Quel est le montant des investissements que vous avez réalisés en Côte d’Ivoire ces deux dernières années ?

Sur les deux dernières années, nous sommes à FCFA 35 milliards (€ 53,4 millions). C’est énorme (le programme sur 5 ans est de FCFA 84 milliards, soit € 128,2 millions, Ndlr). Car il ne s’agit pas seulement de produire plus de canne à sucre mais il faut être capable de la broyer dans des usines. Quand vous parlez d’investissements dans 1500 ha irrigués, ce sont des stations de pompage, des pivots, des aménagements des sols et bien évidemment des reclassements de population si jamais il y avait, précédemment, des populations sur les terres. Dans le cas d’espèce, il y avait quelques cases qui ont été reconstruites à quelques kilomètres ou centaines de mètres.

Ce sont des coûts très importants en dehors des coûts récurrents qui existent et qui font qu’on est toujours dans des degrés d’exigence de plus en plus élevés.

Sur 2020, le niveau d’investissement est de quel ordre ?

C’est FCFA 15 milliards (€ 22,9 millions) sur l’exercice 2020. C’est beaucoup d’argent car il y a les exigences environnementales, sociales, etc. de plus en plus élevées auxquelles on adhère. On participe à un certain nombre de certifications métiers, comme Bonsucro, qui s’ajoutent aux certifications ISO comme 9001, 22000 et autres, qui sont demandés par des clients internationaux comme Coca-Cola, par exemple. Et cela implique qu’on se mette en permanence à niveau et qu’on soit à la hauteur des exigences de ces clients. Et cela coûte de l’argent.

Par rapport à 2019 et 2021, ce niveau d’investissement est constant ?

Oui, c’est à peu près du même ordre. La partie agricole sera terminée en 2021 donc on sera plus sur des investissements de renouvellement que sur des investissements d’extension. A partir de 2021 et 2022, on va commencer à récolter la canne qui a été progressivement plantée. C’est en 2023 qu’on aura le plein de tous ces hectares supplémentaires qui ont été plantés.

Quel est le nombre d’hectares supplémentaires ?

Le nombre d’hectares supplémentaires irrigués est de 1500 ha et on a quelques centaines d’hectares de plantations villageoises supplémentaires. Au total, on sera à 2 000 ha de plus en quatre ans.

Et au niveau de investissements industriels, dont les bioénergies, où en êtes-vous en terme d’investissements ?

Les investissements sont importants aussi. Car pour irriguer des parcelles, il faut pomper de l’eau ce qui requiert de l’énergie. Donc nos investissements sont essentiellement tournés vers l’énergie de manière à réduire nos prélèvements sur la société d’électricité nationale, la CIE. Aujourd’hui, on est de gros consommateurs d’électricité en Côte d’Ivoire et notre objectif est d’augmenter notre auto-production à partir de la bagasse, le ligneux de la canne à sucre, ce qui nous permet toujours de travailler à réduire notre prix de revient.

Donc nous faisons toujours appel à la CIE mais de moins en moins, et on essaie de réduire notre dépendance.

A côté de cela, notre autre investissement est dans l’usine afin d’être à même de broyer cette canne supplémentaire qui va arriver car nous sommes contraints par la saison des pluies : il faut avoir fini notre récolte avant la saison des pluies.

Enfin, il y a l’investissement immatériel, dans la recherche variétale par exemple. Ce sont des travaux de longue haleine. On développe notre propre canne à sucre. On a une équipe  d’ingénieurs ivoiriens qui travaillent depuis des années pour obtenir une canne à sucre ivoirienne, qui nous donnerait des performances plus élevées au regard de l’environnement climatologique de la Côte d’Ivoire. Nous sommes liés à des centres de recherche comme le Cirad, par exemple. Cet investissement immatériel coûte très cher et c’est très long.

Quel est l’impact de tout ceci sur l’emploi ?

On continue à faire appel de plus en plus à des sous-traitants nationaux. Au niveau de l’irrigation, des montages de machines, on sous-traite en partie avec des entreprises ivoiriennes par exemple. Auparavant, c’était des entreprises françaises ou marocaines mais de plus en plus, ce sont des entreprises ivoiriennes à qui ont fait appel pour ces travaux exceptionnels. Il y a des chantiers que nous menons en interne et on fait appel à des sous-traitants pour les chantiers externes. Cela fait uen dizaine d’années que nous faisons cela et avec des succès.

Pour revenir à la logique de la question initiale, il est vrai que la compétitivité de ses sous-traitants n’est pas toujours la plus élevée mais à partir du moment où il y a une volonté, il y a  un chemin et c’est celui qu’on essaie d’emprunter. Nous on vend notre sucre à des clients et à des consommateurs ainsi qu’à des entreprises qui ont investi sur place et elles savent que notre sucre est plus cher que le sucre au cours mondial. Mais elles jouent la carte d’acheter local. Au niveau des sous-traitants, c’est la même logique. Et si on ne raisonne qu’en terme compétitivité par rapport à des cours mondiaux qui sont complètement déconnectés des prix de revient, cela ne peut pas marcher.

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